Intervention de Mounir Mahjoubi

Réunion du mercredi 27 septembre 2017 à 16h25
Commission des affaires culturelles et de l'éducation

Mounir Mahjoubi, secrétaire d'état chargé du numérique :

Au sujet du très haut débit dans la région Grand Est, je ne peux faire d'annonce miraculeuse mais je peux vous rappeler la position du Gouvernement, qui ne souhaite pas que les modèles des RIP soient mis en danger et que les opérateurs qui n'avaient pas souhaité participer au dispositif viennent perturber un équilibre dans lequel des sommes importantes d'argent public ont été engagées, et auquel les élus locaux ont surtout consacré beaucoup de temps – qui, valorisé en termes monétaires, représenterait des montants énormes. En effet, la mise en place d'un RIP revient pour les élus à déplacer une montagne : il faut y consacrer de nombreuses heures supplémentaires, mobiliser les services et parvenir à rassembler tous les acteurs économiques locaux autour d'une même dynamique. J'ai pleinement conscience de cette question que nous avons plusieurs fois rappelée. Quant aux annonces qui ont été faites, nous avons entendu beaucoup de choses mais vu peu d'action – et nous ne le souhaitons pas. Nous avons été fermes sur ce sujet que nous surveillons quotidiennement et dont nous avons pleinement conscience.

Concernant la manière plus fluide et agile de déterminer les zones de blocage, qu'il s'agisse de zones blanches, grises, mi-blanches ou mi-grises, nous peinons à dresser une photographie de la situation. La semaine dernière, l'ARCEP a mis en ligne une carte de qualité du réseau mobile – voix et textos – qui n'existait pas auparavant. Dès sa mise en ligne, j'ai reçu de nombreux messages directs sur Twitter de personnes qui publiaient la photographie de la zone de la carte dans laquelle ils se trouvaient et, en regard, celle du nombre de barres de réception apparaissant sur leur téléphone ; oui, la carte est imparfaite. Elle est imparfaite parce qu'elle a été réalisée au niveau central à partir des informations qui ont pu être collectées et corrigées par des captations locales. Un travail est en cours avec l'ARCEP et l'Agence du numérique pour massifier la capacité à récolter les informations provenant des utilisateurs afin de dresser une cartographie plus précise et plus réaliste de leur état de connexion. Je ne saurais vous dire aujourd'hui quand ce chantier aboutira, mais ce fut déjà un immense succès pour l'ARCEP et ses équipes, qui se sont beaucoup mobilisées, que de parvenir à établir cette carte.

Lors du Plan Mobile lancé il y a deux ans, un outil de déclaration nourri par les préfets et les élus locaux avait été instauré. Cette première initiative fonctionne presque bien, mais elle n'est qu'expérimentale. Nous avons désormais beaucoup appris ; entre ces enseignements et les cartes de l'ARCEP, nous cernons mieux le sujet et allons pouvoir proposer des outils plus efficaces afin que chacun puisse alimenter ce type de cartes – les crowdsourcer – et ainsi identifier les zones lacunaires, de façon nuancée, la situation n'étant jamais toute blanche ou toute noire.

Qu'est-ce en effet qu'une bonne couverture de données ? Elle est à définir en fonction des usages : pour un adolescent qui souhaite regarder des films, une bonne couverture consiste à pouvoir visionner des vidéos en streaming, tandis qu'une personne qui se contentera de consulter ses messages voudra pouvoir charger ses réseaux sociaux rapidement ; l'une et l'autre activités ne demandent pas la même qualité de réseau. Nous travaillons sur ces sujets.

J'en viens au développement des start-ups et des territoires, dont je n'ai pas encore parlé car, comme je vous l'ai annoncé, la priorité va à la diversité. Même ainsi, le succès de la French tech tient à deux facteurs : sa présence dans les territoires et sa présence à l'étranger. Dans les territoires, l'initiative des réseaux French tech a été lancée voici dix-huit mois. Ces réseaux ont permis, à partir des métropoles, d'associer des villes plus petites et des territoires plus larges à cette dynamique sur des sujets spécifiques. C'est ainsi que des champions de la cybersécurité ont rejoint le réseau French tech et se trouvent en milieu rural. Concernant les silver techs – les technologies du « bien vieillir » –, le meilleur terrain de travail et d'expérimentation est précisément l'espace rural, comme pour les start-ups qui développent les technologies du déplacement multimodal ou qui travaillent dans le domaine de la santé connectée. Il n'est donc pas étonnant que plusieurs de nos belles start-ups soient aujourd'hui établies en milieu rural.

L'enjeu est donc de s'assurer que nous ne créons pas des écosystèmes circonscrits aux grandes métropoles et, plus précisément, à Paris. Certes, le plus grand incubateur du monde se trouve à Paris, ainsi que les cent plus grands incubateurs de France. Pourtant, certaines métropoles ont réussi à créer de véritables pôles d'attraction et je souhaite que nous multipliions les expériences de territoires ruraux qui, sans être trop éloignés d'une métropole, sont parvenus, grâce à l'installation du haut débit et à l'adoption d'une politique d'aménagement du territoire fondée sur l'accessibilité de la santé et des transports, à attirer des entreprises installées dans les métropoles et leurs salariés. L'agripôle proche d'Agen, par exemple, accueille des start-ups de l'agriculture et de la transformation des produits alimentaires et a réussi à attirer des citadins afin qu'ils s'installent massivement dans le territoire – moyennant plusieurs conditions : le très haut débit dans les logements et dans les entreprises, l'accès à l'éducation, l'accès aux transports et l'accès à la santé – à quoi il conviendrait d'ajouter l'accès à la culture, qui permet de maintenir dans les territoires les talents nécessaires à la création de ces start-ups.

Le fait est – et nous allons devoir nous atteler durablement à ce problème – qu'une start-up rurale qui réussit part s'installer dans une métropole et, si elle y réussit, finit par monter à Paris. Or, nous sommes parvenus à rompre cette tendance : Montpellier et Nantes, par exemple, sont deux villes dans lesquelles de grosses start-ups poursuivent leur croissance. Certaines de nos métropoles arrivent à faire grandir leurs start-ups et à les rendre internationales tout en les gardant dans leur territoire. C'est l'un des enjeux de notre action au cours des prochaines années que de parvenir à reproduire ce modèle en milieu rural, et la connectivité par le très haut débit y contribuera, de même que l'innovation dans le secteur médical. Je crois très fort à l'idée que nous pourrons créer non pas une seule Silicon Valley française – vous n'en aurez donc pas le monopole, monsieur Roussel… – mais plusieurs French Valleys partout en France.

En ce qui concerne la HADOPI, je lui laisse le soin de présenter les conclusions de la mission qu'elle a lancée sur l'évaluation de la performance du dispositif de riposte graduée. Cela dit, c'est vrai, ce dispositif ne va pas assez loin, car il n'est pas suffisamment efficace, notamment parce que la question du streaming n'est pas correctement traitée.

Tout à l'heure, j'ai évoqué le cybercrime, la cybersécurité et la cyberdéfense. Dans le domaine du piratage en ligne également, on assiste à une redéfinition des acteurs. Se sont créées, notamment autour du streaming, de véritables organisations mafieuses internationales qui mélangent souvent l'abus en matière de droits d'auteur, la pornographie et d'autres types de délinquance numérique. Mais, pour lutter efficacement contre le piratage, il faut agir dans deux directions : d'un côté, sensibiliser les familles et rappeler les interdits – et, à cet égard, les nouvelles options envisagées sont importantes –, de l'autre, s'attaquer de manière plus intelligente à ces opérateurs brigands. Ces derniers mois, plusieurs sites ont été fermés mais, pour y parvenir, il a fallu une mobilisation inédite des intelligences et des services européens. Face à des opérateurs de plus en plus organisés et technologiquement compétents, nous devons pouvoir créer les outils et l'organisation nécessaires pour répondre plus rapidement à leurs attaques permanentes – car un site de streaming qui met des contenus à la disposition de tous, massivement et gratuitement, c'est une attaque – tout en sensibilisant les familles, y compris par la sanction. Mais la question que nous devons nous poser ne doit surtout pas être celle du montant de la sanction, elle doit être celle de l'équilibre entre sanction et lutte active contre ces mafias numériques.

Par ailleurs, il est vrai que, dans certains territoires, les opérateurs traitent un peu moins rapidement qu'ailleurs la création et la suppression des lignes lors d'un déménagement. À Paris, cela ne pose pas de problème, mais je reçois régulièrement des plaintes émanant des territoires ruraux, et force est de constater que le flux y est parfois traité différemment, à la semaine par exemple. J'évoquerai cette question avec l'ARCEP et avec l'Agence du numérique, qui centralisent ces demandes, pour évaluer l'importance du phénomène et, le cas échéant, y apporter des solutions.

La question du QI et de la recherche rejoint ce que je disais en introduction à propos du numérique en tant que fait social. Un fait social doit être analysé pour être maîtrisé et compris. Or, vous l'avez montré, monsieur Attal, à travers les exemples que vous avez cités, les pays les plus avancés techniquement sont aussi ceux qui ont mobilisé les sciences humaines pour s'interroger sur l'avenir. Mais ces interrogations ne doivent pas porter uniquement sur les dangers et les limites du numérique, comme c'est encore trop souvent le cas des ouvrages publiés en France. Ce qui est intéressant, ce sont les analyses scientifiques critiques et les scénarios d'évolution envisageables. C'est un des éléments de la mission que nous avons confiée à Cédric Villani, à qui nous avons demandé d'identifier, dans la recherche française, les sujets sur lesquels nous devons nous mobiliser pour être certains de ne pas subir cette évolution. Or, ce n'est pas seulement la maîtrise technologique qui nous permettra de faire des choix. Nous devons aussi disposer d'analyses qui nous permettent à nous, responsables politiques, de discuter avec nos concitoyens pour qu'ils se saisissent de la question dans toute sa complexité.

En ce qui concerne l'influence des écrans sur le QI, je ne crois pas que les téléphones portables ou les tablettes présentent un danger spécifique pour les jeunes enfants. En revanche, ces objets sont suffisamment nouveaux et attirants pour qu'ils amènent à renoncer à la diversité des expériences de la vie qui feront d'eux un homme ou une femme. L'apparition de ces outils est trop récente – dix ans seulement – pour que nous ayons une expérience collective de leur gestion à la maison. Je suis certain qu'avec le temps, on adoptera les bonnes pratiques et que les limites imposées à l'usage de la tablette ou du téléphone seront bien vécues par les enfants alors qu'aujourd'hui, elles sont vécues comme des interdits difficiles à accepter. Encore une fois, le risque principal est qu'ils soient empêchés de faire autre chose et, à cet égard, une analyse des nouvelles pratiques par les sciences humaines ou une ethnographie du numérique seraient précieuses. Or, vous avez raison, monsieur Attal, il existe peu de publications sur le sujet, même si celles qui existent sont intéressantes. Je m'efforcerai donc d'encourager ce type d'études, comme j'ai souhaité que soit améliorée la pédagogie des sciences et du numérique.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Cette législature étant désormais achevée, les commentaires sont désactivés.
Vous pouvez commenter les travaux des nouveaux députés sur le NosDéputés.fr de la législature en cours.