Intervention de Martine Leguille-Balloy

Réunion du mardi 6 novembre 2018 à 17h00
Commission des affaires étrangères

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMartine Leguille-Balloy, rapporteure :

Madame la Présidente, mes chers collègues, Notre commission est saisie du projet de loi autorisant la ratification de la convention n° 184 de l'Organisation internationale du travail (OIT) relative à la sécurité et la santé dans l'agriculture, adoptée le 21 juin 2001 et entrée en vigueur le 20 septembre 2003.

La santé et la sécurité des travailleurs constituent l'une des priorités de l'OIT, et le but de cette convention est d'apporter aux travailleurs agricoles des garanties minimales au moins équivalentes à celles des autres travailleurs. Le secteur agricole emploie près du tiers des travailleurs dans le monde (un peu plus de 30 % selon les dernières données disponibles), mais est aussi l'un des secteurs les plus dangereux pour ceux qu'il emploie. L'OIT évalue à plus de 170 000 le nombre d'agriculteurs tués chaque année, soit environ 50 % de tous les accidents du travail mortels. Le secteur agricole comporte en effet des risques particuliers, qui peuvent être liés aux produits chimiques, aux animaux ou encore aux machines et instruments utilisés, sans oublier les risques psycho-sociaux, qui n'épargnent pas les travailleurs agricoles.

Si les chiffres sont plus modestes en France, du fait d'une part réduite de travailleurs agricoles dans la population active (2,8 % en 2016, soit 754 000 personnes), on dénombrait malgré tout en 2016 selon la Mutualité sociale agricole 172 décès liés à des facteurs professionnels, 70 132 accidents du travail et 5 472 maladies professionnelles déclarées. Par ailleurs, sur 8 accidents mortels de jeunes travailleurs intervenus depuis le début de l'année 2018 en France, 5 ont eu lieu dans le secteur agricole.

Les différentes dispositions de la convention, qui portent notamment sur l'utilisation des machines (articles 9 et 10), le transport d'objets (article 11), les risques chimiques (articles 12 et 13) et les risques biologiques (article 14), intègrent aussi des préoccupations partagées par d'autres secteurs professionnels tels que la protection des jeunes travailleurs et la reconnaissance des besoins spécifiques des femmes.

Précisons d'emblée un point important : l'entrée en vigueur de la convention en France n'entraînera pas de modifications fondamentales du droit national, déjà largement conforme aux garanties apportées par la convention. Le niveau de protection élevé assuré par le droit national renvoie pour partie au respect des nombreuses dispositions européennes en la matière, portées par exemple par la directive cadre de 1989, par le règlement REACh de 2006 et le paquet pesticides de 2009 qui comprend deux règlements et deux directives.

Une seule modification était nécessaire pour assurer une totale conformité du droit français avec la convention, et elle est intervenue préalablement à la ratification, dans le cadre de la loi du 31 octobre 2014 d'avenir pour l'agriculture, l'alimentation et la forêt. Le processus de ratification de la convention par la France a été particulièrement long, ce qui s'explique en partie par la consultation des partenaires sociaux, et notamment de la FNSEA. Conformément au souhait des organisations patronales et salariales consultées, la loi du 31 octobre 2014 a permis de se conformer à l'article 6 de la convention. Cet article a pour visée de responsabiliser les agriculteurs en matière de coopération en santé et sécurité entre salariés agricoles et travailleurs indépendants en cas de co-activité. Avant l'entrée en vigueur de cette loi, les travailleurs indépendants n'étaient visés par cette obligation de coopération que pour certains secteurs particulièrement accidentogènes. Nous ne disposons pas encore de bilan chiffré sur les effets de cette réforme, mais on peut espérer qu'elle permettra de réduire le nombre d'accidents survenus dans les situations de co-activité des travailleurs agricoles.

D'autre part, la ratification de la convention par la France aura aussi et surtout une portée politique et symbolique qu'il est important d'avoir à l'esprit. La France est en effet l'un des membres fondateurs de l'OIT, agence spécialisée de l'ONU dont nous allons fêter les cent ans l'année prochaine, et qui a pour spécificité d'intégrer pleinement les représentants des partenaires sociaux des États membres dans son mode de fonctionnement. Vous savez certainement que l'OIT a été créée par un syndicaliste français en 1919 et qu'elle a été menée par la France pendant de très longues années. Il faut également savoir qu'en 2011, la France, qui dirigeait le G20, a voulu défendre absolument l'existence et l'importance de l'OIT pour que l'on ait une forme d'harmonisation sociale dans la mondialisation. Nous sommes le deuxième pays à avoir ratifié le plus de conventions de l'OIT. La France n'a pas ratifié les cent quatre-vingt-neuf conventions de l'OIT. Dans un contexte de ralentissement du rythme des ratifications, une avancée française pourra avoir une valeur de signal et pourquoi pas, un effet d'entraînement. La convention n° 184 qui nous occupe aujourd'hui n'a en effet été ratifiée que par 16 États à ce jour.

Ratifier la convention manifestera aussi notre attachement à la diffusion de garanties en santé et sécurité pour les travailleurs agricoles à travers le monde. En effet, si le niveau de protection assuré par la législation française et surtout par les directives et règlements européens est particulièrement exigeant, on constate encore d'importantes disparités au plan mondial.

Enfin, rappelons que la santé et la sécurité au travail, et plus spécifiquement dans le secteur agricole, continuent de faire l'objet d'une vigilance soutenue dans notre pays, les lois Egalim et PACTE le démontrent. Ce qui est très intéressant, c'est de mettre en parallèle ce que l'on vient de faire et ce qui était préconisé par la France en 2001. Depuis le début de la XVème législature, plusieurs lois et projets de lois ont pu se saisir de ces sujets : la loi pour l'équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire, le projet de loi relatif à la croissance et la transformation des entreprises, ou encore le projet de loi de financement de la Sécurité sociale pour 2019.

Ainsi, mes chers collègues, je vous invite à voter sans réserve en faveur de la ratification de cette convention. Je vous remercie.

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