Je prendrai les questions dans l'ordre.
S'agissant de l'innovation, il y en a de plusieurs types. D'abord, des innovations de processus dans notre façon de fabriquer nos programmes, comme c'est le cas du nouveau feuilleton quotidien pour lequel nos équipes ont mis en oeuvre les dernières pratiques ; elles ont ainsi pu réaliser un feuilleton de qualité. Ces innovations contribuent à enrichir le secteur audiovisuel de ces compétences, d'autant que les équipes de France Télévisions sont à la pointe des nouvelles techniques.
Nous sommes capables, comme nous l'avons prouvé avec Franceinfo, de fabriquer une chaîne avec des moyens radicalement différents de ce que nous pouvons mettre en oeuvre sur d'autres chaînes. Nous avons changé notre façon de travailler, avec des descriptions de métiers et de postes radicalement différentes. Nous avons ainsi pu lancer NoA, la chaîne de Nouvelle-Aquitaine, en réponse à un appel d'offres de la région. Construite par les équipes de France 3 Nouvelle-Aquitaine, nous avons démontré que nous étions tout à fait capables d'assurer des directs avec des iPhone, montés sur un ordinateur.
L'entreprise dispose, en son sein, de compétences et de savoir-faire qui lui permettent de faire radicalement différemment de ce qui était fait par le passé. Elle est capable de s'approprier toutes les nouvelles innovations numériques qui touchent les métiers de la télévision pour produire mieux, être à la pointe et efficace. C'est ce que nous avons cherché à mettre en oeuvre à Vendargues, et ce que nous allons continuer de faire.
Il y a, ensuite, un second champ d'innovations qui est beaucoup plus en rupture, et qui comprend la réalité virtuelle et l'intelligence artificielle. Nous disposons, là aussi, d'équipes en interne qui sont à la pointe de ces innovations. C'est ainsi que nous avons pu, lors de la journée du patrimoine, faire vivre à nos téléspectateurs les deux dernières minutes avant le lancement du journal télévisé (JT) du soir sur France 2.
France Télévisions a également travaillé avec des start-ups, les a incubées pour ensuite tirer parti de ce qui se fait, même si nous devons encore progresser et déployer une politique plus ambitieuse d'appropriation. Il serait même intéressant, mais on ne se l'autorise pas encore, d'investir dans certaines start-up.
L'idée de monter un laboratoire de contenus avec l'ensemble de l'audiovisuel public est une très bonne idée.
Concernant l'innovation managériale, France Télévisions est confrontée à cette évolution, comme toutes les entreprises au monde : comment être plus agile, travailler dans des délais plus courts tout en gardant une qualité et le plaisir, pour les salariés, de venir travailler chaque matin ?
Il s'agit donc d'une réforme culturelle profonde, à laquelle nous avons associé les salariés. La réforme métier qui est en cours touche toute la direction des programmes, puisque nous passons d'une polarisation par chaîne à une polarisation par genre ; c'est l'ensemble des salariés de la direction concernée qui travaille à cette réorganisation.
Par ailleurs, nous sommes beaucoup trop centrés dans nos décisions, nous ne déléguons pas suffisamment et, finalement, nous ne faisons pas suffisamment confiance aux managers qui, sur le terrain, sont les plus à même de prendre les bonnes décisions. Nous allons revoir tout cela, mais une telle révolution culturelle va prendre du temps.
S'agissant de France 4, la chaîne dédiée au jeune public, je vous l'ai dit, nous serons les premiers à basculer au numérique ; nous allons dans le sens de l'histoire. Si, en France, les enfants regardent encore la télévision traditionnelle, dans d'autres pays où les « GAFAN » sont bien plus présents, ils ont complètement basculé sur le numérique. Bien entendu, nous devons fournir une offre numérique de qualité et sécurisée ; c'est indispensable. À quel moment allons-nous basculer ? Le Gouvernement a décidé de l'arrêt de France 4 et de France Ô en 2020, ce qui nous laisse du temps pour dessiner cette nouvelle offre numérique, qui ne part pas de rien, puisque nous avons déjà des plateformes que nous allons redéfinir.
Vous avez parfaitement raison, madame Mette, de rappeler que nous devons absolument protéger le secteur de l'animation, qui est exemplaire, à la fois par sa qualité et son organisation. Nous nous y engageons. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle il existe déjà, sur nos autres chaînes, des offres d'animation que nous allons renforcer. Nous continuerons, par ailleurs, à maintenir nos investissements dans l'animation. Je voudrais tout de même ajouter, s'agissant des offres pour enfants et jeunes adultes, que ce n'est pas uniquement par les programmes qui leur sont spécifiquement dédiés que nous pourrons les toucher. Nous devons également les intéresser par des divertissements, des documentaires et de la fiction. Nous devons opérer un mouvement d'ensemble.
Quoi qu'il en soit, même si nous ne constatons pas encore un décrochage aussi fort quand dans d'autres pays, le jeune public regarde de moins en moins la télévision : les adolescents ne la regardent plus qu'une heure vingt par jour en moyenne. C'est la conséquence de l'équipement haut débit du territoire et de la démocratisation des petits écrans. Le numérique est de plus en plus attrayant pour les publics jeunes. Et quand un décrochage se produit, il est rapide et brutal. Nous devons donc nous y préparer.
S'agissant de France Ô, la problématique est un peu différente, car si l'offre était importante, elle l'était par défaut de notre capacité à parler des outre-mer sur les autres chaînes. Prenons l'exemple des événements de Mayotte, nous avons tous été choqués par le temps que nous avons mis à passer le sujet au journal télévisé de 20 heures. Ce n'est pas de la mauvaise volonté des uns ou des autres, mais par son existence, les autres chaînes se déchargent sur France Ô pour parler des outre-mer. Or les outre-mer doivent irriguer l'ensemble de nos journaux et de nos programmes. Sur cette question, une réflexion est en cours à la direction de l'information, avec Yannick Letranchant. Nous avons, en outre, nommé un correspondant outre-mer qui assiste aux conférences de rédaction des différentes éditions, pour que tous les journalistes aient le réflexe de se demander ce qui mérite d'être passé au journal télévisé.
Nous allons d'ailleurs avoir un bel exemple de coopération avec le référendum, ce week-end, en Nouvelle-Calédonie ; des sujets seront diffusés, évidemment sur France Ô, mais également sur Franceinfo et France 2. Nous enchaînerons sur un autre événement, la Route du Rhum, qui n'est pas un événement politique, mais qui est d'importance et qui mobilisera l'ensemble des équipes.
Dans le cadre de la nouvelle organisation de la direction des programmes, nous avons prévu une direction des programmes ultramarins. Nous souhaitons normaliser les outre-mer, ce qui n'a jamais été fait, France Ô étant un mauvais prétexte pour ne pas le faire. Tous les territoires doivent bénéficier d'une égalité de traitement.
Enfin, c'est symbolique, mais depuis fin août, nous diffusons la météo ultramarine avant le journal de France 2. Nous voulions envoyer un signe à nos publics ultramarins de l'Hexagone.
Vous m'avez également interrogée sur les coupes budgétaires et, pour résumer, comment nous comptions « faire plus avec moins ». C'est une question qui nous absorbe et très clairement, nous n'allons pas faire exactement la même chose. C'est tout l'enjeu des réformes que nous devons mettre en place. Il n'est pas question de ne rien changer, et de nous contenter de baisser les effectifs et les budgets. Je vous l'ai dit, nous disposons, en interne, de toutes les compétences nécessaires pour innover et faire différemment. Ma priorité sera de faire peser les efforts sur la structure, et toucher le moins possible à l'offre de programmes. Nous réfléchissons à comment réorganiser les fonctions centrales pour être plus efficaces et laisser le plus de moyens possibles aux équipes opérationnelles. C'est tout le sens de notre travail au sein de l'entreprise.
Je ne vous le cache pas, ce n'est pas facile, les coupes étant importantes. Vous avez cité le chiffre de 160 millions d'euros, mais en réalité ce sera plus. Avec la bascule sur le numérique, l'augmentation de charges, des salaires, des loyers, entre autres, un effort de 400 millions d'euros nous sera demandé. Mais je suis confiante, nous allons nous appuyer sur le savoir-faire et les compétences des équipes de France Télévisions, qui sont, par ailleurs, mobilisables et d'une agilité remarquable. Il faut le dire, les équipes de France Télévisions sont très compétentes et extrêmement férues d'innovations. Nous avons donc la capacité, en interne, de mener les réformes attendues et de dégager de nouvelles perspectives sur le numérique.
Quant à Salto, il s'agit d'une plateforme commune à TF1, M6 et France Télévisions qui sera, nous l'espérons, une alternative à Netflix, et qui ne concurrencera pas les offres gratuites des trois groupes. Je ne peux pas, aujourd'hui, vous en dire plus, puisque nous devons passer sous les fourches caudines de la direction générale « Concurrence » de la Commission européenne, et peut-être de notre Autorité de la concurrence. Je puis vous dire, en revanche, que tous mes collègues européens souhaitent faire la même chose, notamment les Britanniques, afin de proposer des alternatives aux médias globaux.
Monsieur Minot, s'agissant des territoires, l'idée n'est absolument pas de réduire notre présence. Bien au contraire, nous souhaitons proposer des offres de proximité. Pour ce faire, nous nous appuierons sur le maillage de France 3 et sur celui de France Bleu, qui est différent. Le mot d'ordre est de sortir le plus possible des grandes métropoles, en nous rendant dans les banlieues et les territoires ruraux, notamment, où les téléspectateurs ne nous voient pas assez. Nous voulons donc couvrir tout le territoire et rendre compte de ce qui s'y passe.
Alors bien sûr, nous ne ferons pas autant d'antennes que de départements, nous allons rester sur ce qui existe aujourd'hui, à savoir 24 journaux télévisés sur France 3, 44 journaux sur France Bleu. En revanche, nous allons démarrer des programmes en commun, une émission politique par région, une matinale de proximité, etc. Mais nous proposerons aussi des émissions économiques, culturelles et des grands événements. Nous dédierons, par exemple, une journée entière à un événement régional, avec des déclinaisons infra régionales. Cette évolution est en bonne voie, et je ressens une vraie envie des équipes de France 3 de remporter ce défi de la proximité.
Enfin, s'agissant du rapport Bergé-Bournazel, nous l'avons trouvé extrêmement complet, courageux et en même temps délicat dans sa formalisation. Trois points m'ont particulièrement intéressée. D'abord, l'idée de faire converger les fiscalités des acteurs nationaux et des acteurs mondiaux. Notre ministre de l'économie se bat en ce moment sur la taxation des « GAFAN », ce qui est plus que nécessaire et qui va se traduire par la transposition de la directive « Services de médias audiovisuels » (SMA) dans la future loi.
Ensuite, assouplir la réglementation publicitaire. Effectivement, nous sommes contraints sur nos marchés locaux et laissons les « GAFAN » prospérer, sans les taxer. Il est de notre intérêt collectif que TF1 et M6 se portent mieux.
Enfin, la proposition d'universaliser la redevance et le respect des contrats pluriannuels État-France Télévisions. Il est vrai qu'une entreprise lancée dans une réforme d'une telle envergure a besoin de visibilité, d'un cadre qui reste fixe pendant un certain nombre d'années, au risque de manquer sa transformation.