Intervention de Marie-France Bellin

Réunion du mercredi 14 novembre 2018 à 9h40
Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire

Marie-France Bellin :

… et les ai poursuivies à la Pitié-Salpêtrière, à partir de la quatrième année. J'ai ensuite été interne des hôpitaux de Paris. Je me suis passionnée d'emblée pour la radiologie, discipline dans laquelle on voyait arriver, à l'époque, une nouvelle technique pratiquement tous les dix ans, avec l'échographie, le scanner et l'imagerie par résonance magnétique (IRM). À la Pitié-Salpêtrière, j'ai exercé les fonctions de chef de clinique assistant puis de praticien hospitalier. En 1996, j'ai été nommée professeur des universités-praticien hospitalier. En 2000, j'ai rejoint l'université Paris-Sud et l'hôpital Paul-Brousse, où je suis devenue chef du service de radiologie. À la suite de la fusion des services de radiologie des hôpitaux Paul-Brousse et Bicêtre, je suis devenue responsable d'un service installé sur deux sites, puis chef d'un pôle d'imagerie et médecine nucléaire.

Les praticiens hospitaliers-professeurs d'université ont une triple mission : les soins, la recherche et l'enseignement. Je suis membre d'une unité mixte de recherche associant l'université et le Centre national de la recherche scientifique (CNRS). Cette unité dirige des études à la fois cliniques et précliniques sur de nombreuses thématiques, dont l'imagerie des tumeurs. Mes travaux de recherche portent essentiellement sur l'imagerie abdominale, les comparaisons de stratégies diagnostiques, ou encore l'évaluation de certaines techniques, y compris les produits de contraste utilisés pour les examens radiologiques, et la tolérance à ces produits. Je suis l'auteure ou la coauteure d'une centaine d'articles scientifiques publiés en anglais et en français.

En ce qui concerne l'enseignement, j'officie auprès des étudiants en médecine à la faculté. Je fais également de la formation médicale continue. Je suis aussi coresponsable d'un diplôme interuniversitaire. J'enseigne en master de radiophysique médicale ; dans ce cadre, sont formés les radiophysiciens des hôpitaux, qui sont en charge de la radioprotection des patients. J'ai un goût particulier pour la pédagogie. J'ai ainsi exercé les fonctions de vice-doyen en charge de la pédagogie pendant huit ans, et suis toujours responsable pédagogique des deuxième et troisième années de médecine à la faculté de Paris-Sud.

J'ai également un goût particulier pour les responsabilités collectives. J'ai notamment été membre du Conseil national des universités et du conseil de gestion de ma faculté. Par ailleurs, comme beaucoup de mes collègues, je suis impliquée dans des sociétés savantes, au plan national et international – je préside ainsi, pour deux ans, la Société européenne d'uroradiologie.

Jusqu'à présent, mon monde était donc celui de la radiologie, même si je connaissais évidemment l'IRSN, qui est souvent sollicité par les hôpitaux pour des expertises.

Vous l'avez rappelé, madame la présidente, l'IRSN est l'organisme public d'expertise, de recherche et de surveillance des risques nucléaires et radiologiques. Son expertise porte sur quatre domaines principaux : la sûreté des installations nucléaires, des transports de matières radioactives et des déchets ; la protection des installations et des transports contre les risques de malveillance et de prolifération ; la protection de l'homme et de l'environnement vis-à-vis des rayonnements ionisants, ce qui inclut leur surveillance, y compris lors d'expositions médicales ; enfin, la gestion des crises radiologiques et nucléaires, dont on espère qu'elles seront les moins nombreuses possible.

En délivrant son expertise en toute indépendance et en apportant une aide à la décision aux autorités concernées, l'IRSN contribue aux politiques publiques et fait progresser la sûreté et la radioprotection, la sécurité en situation normale et en situation de crise.

Pour accomplir sa mission, l'IRSN dispose de 1 800 collaborateurs, dont 75 % se consacrent quasi exclusivement à la recherche ou à l'expertise. Le budget de l'institut était, en 2017, de 280 millions d'euros, dont 40 % consacrés à la recherche et 50 % à l'expertise. Le budget est constitué d'une subvention d'État, mais également d'une contribution des exploitants et de ressources propres, issues notamment de contrats et de projets de recherche.

L'IRSN exerce son expertise au profit notamment des pouvoirs publics, par exemple l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN), l'Autorité de sûreté nucléaire défense (ASND), ou encore des ministères, tels que ceux du travail, de la santé et de l'environnement. Comme vous l'avez rappelé, madame la présidente, l'IRSN a aussi rédigé un rapport sur l'entreposage des combustibles pour la commission d'enquête parlementaire sur la sûreté et la sécurité des installations nucléaires. Il a récemment rendu à l'Autorité environnementale un avis sur la gestion des déchets nucléaires.

Quels sont les atouts de l'IRSN ? Ils sont nombreux. D'abord, l'organisme associe étroitement recherche et expertise ; il opère dans l'évaluation, mais aussi dans la prévention du risque. Un autre de ses atouts est la pluridisciplinarité, la complémentarité technique couvrant tous les champs des risques nucléaires et radiologiques, aussi bien dans le domaine civil que dans celui de la défense. Il fournit une expertise indépendante du pouvoir décisionnaire. Son activité de recherche est reconnue, comme le traduisent les partenariats noués aux niveaux national et international. Sa réactivité et sa capacité de mobilisation témoignent de l'engagement de ses personnels. Il a un rôle moteur dans les échanges internationaux, en tant qu'organisme technique de sûreté (TSO) – rôle qui est incarné par de nombreux accords au niveau international et sa contribution aux travaux de l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA). Enfin, et c'est là un point important, au nombre de ses atouts, il convient de citer le dialogue avec la société civile, au plus près des territoires, pour intégrer les préoccupations des citoyens. Je voudrais d'ailleurs, à cet égard, rendre hommage aux précédents présidents – et présidentes – du conseil d'administration, qui ont porté cette ambition avant moi.

Dans les prochaines années, il est certain que l'IRSN va être confronté à plusieurs défis importants. Le premier concerne la recherche, dont la part dans le budget total de l'institut a diminué tendanciellement depuis plusieurs années. Le défi consistera à développer une recherche ambitieuse afin d'assurer la crédibilité et l'indépendance de l'expertise et du jugement de l'IRSN. Les recommandations du Haut Comité de l'évaluation de la recherche et de l'enseignement supérieur (HCERES), qui a évalué l'activité scientifique de l'institut, doivent contribuer à renforcer sa stratégie scientifique.

Le deuxième défi, lui aussi très important, a trait à l'expertise en matière de sûreté et de sécurité nucléaires, notamment s'agissant des nouvelles installations telles que le réacteur européen pressurisé (EPR), mais aussi avec les suites du retour d'expérience de l'accident de Fukushima et les mesures à prendre au sujet du parc nucléaire français. Il en va de même de la prolongation envisagée de l'exploitation de certaines centrales nucléaires, ou encore du projet de centre industriel de stockage géologique (Cigéo). Il convient également de citer les nouveaux enjeux de sécurité des installations et du transport des substances radioactives, notamment la cybersécurité et, plus généralement, la protection contre la malveillance. Enfin, le stockage des déchets à moyenne et haute activité et à vie longue constitue un sujet majeur, en termes d'expertise aussi bien nucléaire que géologique – puisqu'un stockage en couches géologiques profondes a été envisagé –, mais également en termes d'éthique, en raison de la durée de vie des radioéléments.

Le troisième défi concerne la radioprotection médicale et la multiplication des usages des rayonnements ionisants, tant pour les actes diagnostiques que pour les actes thérapeutiques. Au quotidien, dans les hôpitaux, la pression est de plus en plus forte pour réaliser des examens radiologiques, en particulier des scanners, de manière à asseoir très rapidement le diagnostic – particulièrement aux urgences, pour fluidifier la prise en charge. Cette tendance s'accompagne d'une augmentation du niveau global d'irradiation, comme l'ont montré plusieurs études. On relève ainsi un accroissement du nombre d'examens, en particulier les scanners réalisés pour le contrôle de pathologies devenues chroniques, par exemple les nombreuses tumeurs que l'on soigne mais qui nécessitent une surveillance très longue. Enfin, on observe le développement de la radiologie interventionnelle, qui se substitue souvent à des actes chirurgicaux, ou qui vient en complément. Elle permet de traiter des tumeurs par voie percutanée et de dilater les artères sans incision chirurgicale. Les risques d'irradiation liés à ces techniques sont évidemment importants – pour le patient, mais également pour l'opérateur, dont c'est le métier. Ils sont concentrés en particulier dans les services de radiologie, mais pas uniquement : ils existent aussi dans les blocs opératoires, avec la radiologie interventionnelle. Dans ce domaine, l'enjeu est également celui du développement de certaines radiothérapies beaucoup plus précises, qui consistent à délivrer des doses plus importantes sur des cibles restreintes. Elles nécessitent évidemment des personnels très vigilants et entraînés, en raison des risques d'erreur.

Le quatrième défi pour l'IRSN sera sûrement de maintenir son attractivité, en particulier s'agissant des recrutements, dans un contexte de reprise économique. Le recrutement de jeunes ingénieurs devient très concurrentiel. Le même phénomène se produit d'ailleurs à l'hôpital : nous avons du mal à fidéliser nos jeunes médecins. En nous fondant sur ces deux domaines, nous pourrons avoir un retour d'expérience. La priorité sera de proposer des parcours attractifs, de faciliter l'accès à des postes à responsabilité, de mettre en place un tutorat et un partage des connaissances – ce qui a déjà été fait à l'IRSN.

Le cinquième et dernier défi, très important à mes yeux, est celui du dialogue avec la société civile, pour répondre aux préoccupations de nos concitoyens, à leur demande croissante d'information et de participation, d'implication dans les décisions. Il faut poursuivre la politique volontariste de partage des informations et des connaissances qui a été menée à destination de publics très divers – en particulier les riverains des centrales, les associations ou encore les médecins. Cette interaction avec la société civile est une composante essentielle de la vigilance au risque ; elle contribue à une évaluation des risques aussi solide que possible. La gestion des risques doit être menée de façon appropriée et transparente au regard des enjeux et des différentes attentes de la société.

Je voudrais terminer en vous indiquant mes motivations pour présider le conseil d'administration de l'IRSN. Tout d'abord, j'éprouve un grand sentiment de fierté, car l'IRSN est une belle structure, qui a largement fait la preuve de son efficacité depuis sa création en 2002, à la fois au quotidien, avec l'excellence de ses missions d'expertise, mais également dans les situations de crise. C'est une structure qui est riche et complexe à la fois : riche, du fait de la diversité de ses missions, mais aussi complexe, évidemment, compte tenu des enjeux dans les domaines nucléaire et radiologique.

Par ailleurs, je retrouve dans l'IRSN des valeurs qui ont été les miennes tout au long de ma carrière dans les hôpitaux, des valeurs qui sont souvent partagées par les équipes soignantes, en particulier celle de l'expertise collective, qui progresse grâce au travail d'hommes et de femmes issus d'horizons différents. Je crois beaucoup à la transversalité et à la pluridisciplinarité. Dans les hôpitaux, cela passe par les réunions de concertation pluridisciplinaires, pour discuter des patients avec plusieurs spécialistes des pathologies. Cette démarche est également mise en oeuvre à l'IRSN.

La valorisation de la recherche est une autre valeur très importante. La recherche est gage de progrès ; elle nous invite à explorer des voies nouvelles, à discuter certains dogmes. Ce sera notre responsabilité collective de renforcer cette activité et de densifier les partenariats. Vous avez parlé de l'entre-soi, madame la présidente : l'ouverture est effectivement quelque chose de très important. Il faut développer le travail en équipe et mobiliser les équipes pour viser l'excellence – au service des patients, dans les hôpitaux, et des citoyens dans le cas de l'IRSN.

De la même manière, la transparence et l'ouverture à la société sont importantes, à la fois dans les hôpitaux, où l'on sait l'importance de dialoguer avec les patients et leur famille, et dans les domaines du nucléaire et de la radioprotection, car la demande d'explication et d'implication est forte de la part des citoyens. L'ouverture passe également par un IRSN au service du Parlement, pour éclairer vos travaux lorsque vous en exprimez le besoin et pour vous apporter une expertise quand vous la sollicitez. Enfin, l'ouverture à l'international est nécessaire, pour faire rayonner le savoir-faire des équipes françaises, mais aussi afin de bénéficier d'expériences différentes, d'expériences multiples, de créer des liens, pour une vigilance au risque sans frontières.

À travers la présidence du conseil d'administration de l'IRSN, en liaison avec les autorités de tutelle et avec le directeur général de l'institut, je souhaite accompagner ces évolutions pour faire face aux nouveaux défis et répondre aux besoins exprimés par les citoyens dans la période actuelle de démocratie environnementale renforcée et de développement du numérique. Une attention particulière sera donc accordée à la pédagogie de l'action, dans le cadre d'une politique volontariste d'ouverture à la société et de partage d'informations avec le grand public. Je veillerai – c'est également très important – à ce que l'IRSN dispose des ressources suffisantes pour demeurer innovant et agile, pour développer une recherche à la hauteur de ses ambitions, pour qu'il puisse préserver l'excellence de ses ressources humaines, maintenir sa capacité d'expertise et conserver un rôle moteur dans la gouvernance du risque.

En tant qu'experte des risques nucléaires et radiologiques, je souhaite porter les valeurs d'excellence, d'anticipation, d'indépendance et de partage qui sont également les valeurs et les axes principaux de l'IRSN, et le resteront dans les années à venir.

Voilà, mesdames et messieurs les députés, ce que je voulais vous dire en guise de propos liminaire. Je suis bien sûr prête à répondre à vos questions.

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