Je vous remercie pour ce temps d'audition qui va me permettre de faire entendre la Fédération protestante de France, qui est la voix du protestantisme dans notre pays, sur quelques-uns des sujets que vous avez évoqués. Le champ de la bioéthique est en effet si vaste que les examiner tous demanderait beaucoup plus de temps.
Je précise qu'en participant au débat public dans le cadre de cette révision de la loi relative à la bioéthique, notre but en tant que protestants n'est pas d'imposer quelque idée mais d'interpeller nos concitoyens, qu'ils soient ou non croyants, sur les enjeux des choix effectués. Nous entendons ainsi contribuer à trouver des solutions respectant notre commune humanité. Nous considérons en effet que les choix qui concernent la bioéthique ne sont pas seulement des choix personnels, relevant de la morale individuelle, mais qu'ils sont aussi des choix sociétaux engageant notre conception de ce que Paul Ricoeur a appelé le « vivre ensemble ». Car si l'éthique a pour visée une vie bonne dans des institutions justes, les choix effectués en bioéthique posent la question de la société que nous voulons léguer aux générations futures. Comme nos interpellations sur l'éthique sociale et environnementale, nos interpellations sur la bioéthique reposent sur la conviction que la vie est un don de Dieu et que l'être humain est un être en relation : il faut par conséquent se soucier de la protection des plus faibles et ne jamais oublier la justice sociale.
Les récents progrès des biotechnologies ouvrent des possibilités nouvelles auxquelles il est d'autant plus difficile de ne pas céder en leur donnant libre cours que plusieurs pays proches ont autorisé des pratiques interdites chez nous et que les enquêtes d'opinion présentent les Français comme favorables à leur légalisation. Pourquoi ne cédons-nous pas à ces pressions ? Parce que tout ce qui est possible n'est pas forcément souhaitable, parce que la France n'a pas à suivre l'exemple de pays qui n'ont pas encore suffisamment évalué les conséquences de leurs choix, et parce que l'opinion majoritaire, si elle est un élément d'appréciation parmi d'autres, n'a pas toujours raison. L'actualité montre bien, dans le cas du Brésil, qu'une population peut majoritairement voter pour un candidat sans être dans le vrai.
Je parlerai en priorité de l'assistance médicale à la procréation (AMP). Les protestants sont favorables aux moyens modernes de contraception et ils ont également salué les avancées modernes de la médecine pour traiter l'infertilité. Nous ne rejetons donc pas systématiquement les techniques que permettent les avancées scientifiques dans le domaine de la procréation, mais nous souhaitons poser un certain nombre de questions qui sont autant d'interpellations. Le bien-être de l'enfant étant pour nous prioritaire, nous nous interrogeons sur les conséquences pour ce bien-être du découplage des parentalités génétique, biologique, sociale et légale rendu possible par les recherches scientifiques des dernières décennies. Nous nous demandons également si les diagnostics pré-implantatoires ne sont pas en train de dériver vers une forme d'eugénisme. Par ailleurs, faut-il encourager la congélation sociale d'ovules permettant aux couples de repousser l'âge d'avoir des enfants ? Et, en raison de la pénurie de dons de gamètes, faudra-t-il abandonner le caractère gratuit et anonyme des dons ? Enfin, comment gérer la tension entre le principe de l'anonymat des donneurs et le droit de l'enfant à connaître ses parents biologiques ? Nous avons sur tous ces sujets des avis que nous pouvons vous exposer.
Concernant l'extension de l'AMP aux femmes célibataires et aux couples de femmes, le protestantisme est, comme les autres confessions, traversé par des sensibilités diverses. Dans le cadre de la Conférence des responsables de cultes en France, nous discutons régulièrement de ces sujets avec certains des responsables auditionnés aujourd'hui mais aussi avec des représentants d'autres religions, comme monseigneur Emmanuel pour les orthodoxes ou des responsables du bouddhisme. Or, je prends à témoin M. Anouar Kbibech et Mgr Pierre d'Ornellas que dans chacune des confessions ont lieu des débats internes très vifs. L'indiquer me semble important car cela montre que n'existe pas sur certains sujets un front des religions. Toutes les confessions, je le répète, sont au contraire traversées par des questions et des doutes.
La question de l'extension de l'AMP ne fait pas consensus au sein du protestantisme. Toutefois, nous jugeons possible d'admettre son ouverture aux femmes célibataires et aux couples de femmes non pour des raisons techniques qui feraient juger souhaitable tout ce qui est possible, mais parce que la famille et le couple sont très importants pour le protestantisme. Nous sommes très attachés à l'altérité du couple et, pour nous, que l'homme et la femme soient tous deux responsables de l'enfant à venir est décisif. Cependant, la famille est aujourd'hui en mutation, le « faire famille » se déclinant désormais de façon très différente de ce qu'il en était pour les générations précédentes. Dans ce contexte, il nous faut de nouveau dire qu'une société qui aurait pour modèle la mère seule avec son enfant pose question. La pauvreté et l'état de précarité dans lesquels vivent les foyers monoparentaux sont d'ailleurs le signe d'une forme de détresse sociale. Pour le dire cum grano salis, l'imaginaire catholique de la Vierge à l'Enfant ne doit pas gagner dans notre société, mais c'est le couple, qu'il soit homme et femme, homme et homme ou femme et femme, qui doit fabriquer la société à venir. Et l'homme ne saurait être un petit Joseph falot à côté de la femme toute puissante !
Nous rappelons donc l'importance du couple, importance que la Bible met en évidence dans la Genèse avec Adam et Ève, mais aussi dans le Cantique des Cantiques. Je précise que ce couple peut ne pas être marié : Adam et Ève ne l'étaient pas. Mais c'est surtout la phrase de la Bible selon laquelle il n'est pas bon d'être seul qui est décisive pour notre tradition, comme elle l'est aussi, je crois, pour la tradition juive. Nous jugeons donc de beaucoup préférable que des couples de femmes, plutôt que des femmes seules, aient des enfants. J'ajouterai que la question de l'accès de l'AMP à des couples homosexuels ou à des personnes seules a en fait été posée dès 1985, lorsque le droit d'adopter a été accordé aux femmes seules. Du point de vue théorique, la question est donc résolue depuis longtemps et nous nous trouvons face aux conséquences de décisions prises bien avant nous.
En conclusion, je reprendrai à mon compte ce que disait le professeur André Dumas, aujourd'hui décédé, lorsqu'il insistait pour que la procréation médicalement assistée (PMA), qui n'est au fond qu'une parenthèse technique, ne soit pas idéalisée : si l'amour est là, si la parole affective est prononcée par les parents et si le récit de la naissance est raccordé à la suite des générations, alors la PMA est possible.
Tel est l'état de notre réflexion sur la PMA. Elle donne lieu, au sein du protestantisme, à des débats passionnants mais parfois très difficiles dans la mesure où, sur ces questions, il n'est pas possible de se borner à dérouler une doctrine préétablie. De façon générale, nous considérons aussi que l'éthique est aujourd'hui maltraitée par la double pression qu'exercent l'impératif technique et des revendications d'ordre économique.