Que vous considériez que ce débat a lieu dans le cadre de la laïcité m'étonne car il se déroule en fait dans un cadre républicain ou, plus exactement, démocratique, ainsi qu'il en va dans d'autres pays comme l'Allemagne, l'Angleterre, les États-Unis, la Belgique ou la Suisse.
Nous avons également trouvé curieux, les représentants des autres cultes et moi-même, que les religions soient souvent entendues en bloc comme c'est le cas dans l'audition d'aujourd'hui : on réunit un rabbin, un pasteur – qu'on a d'ailleurs oublié ici d'appeler pasteur –, un archevêque, et M. Anouar Kbibech, qui n'est pas imam mais qui l'est presque... Je remarque qu'en revanche n'ont pas été invités à prendre place autour de cette table de représentants de la franc-maçonnerie, des syndicats, des médecins, des éthiciens ou de l'Université, comme si la religion était un « truc » dont on ne sait quoi faire. Or, nous nous exprimons ici en tant que citoyens et je crois important, dans ce pays, de parvenir à un vrai débat plutôt que de se contenter d'une cohabitation d'opinions qui ne se rencontrent pas. Nos concitoyens ne parviennent pas à comprendre qu'être religieux n'empêche pas d'être laïque. Mais la laïcité est un principe, non une catégorie ! Nous sommes à la fois chrétiens, juifs, musulmans et laïques.
J'en arrive à ma seconde remarque, qui sera moins critique. Avec la loi Claeys-Leonetti un équilibre a été trouvé, notamment en ce qui concerne la prise en charge de la fin de vie. Je suis, comme le rabbin Azoulay, très satisfait de cet équilibre qui prouve que la sagesse collective permet de s'arrêter aux justes limites. Car nous risquons sur certains sujets d'aller trop loin et de créer des déséquilibres. Je pense en particulier à la question de la GPA, pour laquelle nous ne disposons pas d'outils juridiques efficaces. La marchandisation du corps de la femme, la transaction financière pour l'acquisition de l'enfant et l'injustice qu'elle crée sont en effet des questions insuffisamment maîtrisées. Légaliser la GPA serait donc à mes yeux une décision risquée. Mais, pour autant, le problème subsiste puisque la GPA est pratiquée dans de nombreux pays. Nous sommes les uns et les autres opposés à cette légalisation pour laquelle la France n'est pas mûre. Néanmoins, l'absence de réponse qui est la nôtre sur la GPA, si elle nous dédouane provisoirement, est très insatisfaisante dans la mesure où les personnes qui voudront utiliser cette technique le feront de toute façon et où nous devrons reconnaître juridiquement les enfants nés selon ce mode de procréation.
De même, nous sommes d'accord les uns et les autres pour dire que le suicide assisté n'est pas une solution satisfaisante. Il est en effet à craindre qu'il produise une rupture de confiance entre les citoyens et le corps médical, dont la fonction n'est pas de donner la mort. Il serait terrible que nos anciens et les personnes en fin de vie se mettent à redouter que les médecins décident de leur faire quitter la vie parce qu'ils coûtent trop cher à la société. Mais, d'autre part, ne rien faire revient à encourager la situation actuelle où des personnes font pratiquer cet acte en Suisse ou en Belgique. Se taire sur ces problèmes est donc satisfaisant au plan de la philosophie, mais problématique au plan de l'éthique. La position dans laquelle nous nous trouvons, qui nous fait voir les risques sans trouver de solution, est véritablement très difficile.
Je voudrais ajouter quelques mots au sujet du suicide médicalement assisté. Dans le Livre des Juges, le roi Abimelech est amené à pratiquer une forme de suicide assisté. Ayant été blessé lors d'un assaut, Abimelech ne veut pas mourir dans la honte que serait pour lui le fait d'être tué par une femme, car c'est une femme qui a porté le coup qui l'a mortellement atteint. Il demande donc à son écuyer de le tuer, ce qui fait de sa mort un suicide assisté – cette expression est, par parenthèse, un oxymore puisqu'un suicide, lorsqu'il est assisté, ne saurait être un suicide. L'histoire d'Abimelech dépeint bien une réalité : quand la vie devient un piège mortel, insupportable et très douloureux – et peut-être avez-vous déjà eu l'occasion de vous trouver avec une personne dans cette situation –, que convient-il de faire ? La Fédération protestante de France, le CCNE et plus généralement tous les gens qui réfléchissent aux questions de bioéthique sont opposés au suicide assisté mais, à titre personnel, je comprendrais que dans certaines situations terribles cette hypothèse soit prise très au sérieux.
En résumé, je dirai qu'il n'y a pas d'une part des laïcs et d'autre part des religieux car, que nous ayons ou non une confession, nous sommes tous des citoyens s'efforçant de trouver ensemble des solutions. Par ailleurs, ne pas anticiper certaines situations qui concernent la bioéthique et attendre de subir la pression des faits pour avancer juridiquement n'est pas satisfaisant. La tension éthique est aujourd'hui très forte sur plusieurs sujets, et nous redoutons de nous laisser emporter par des impératifs techniques et économiques qui exercent une force de contrainte terrible.
Le 22/12/2018 à 22:53, Laïc1 a dit :
"Que vous considériez que ce débat a lieu dans le cadre de la laïcité m'étonne car il se déroule en fait dans un cadre républicain ou, plus exactement, démocratique, ainsi qu'il en va dans d'autres pays comme l'Allemagne, l'Angleterre, les États-Unis, la Belgique ou la Suisse."
C'est sûr que tout le monde sait bien qu'il n'y a aucun rapport entre la République et la laïcité... Mais quand on voit comment est traité le cochon dans les cantines scolaires, il est vrai qu'il y a une totale séparation de la dite République et de la laïcité, ou alors, plus simplement, disons qu'il n'y a plus de République dans les cantines scolaires.
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