Très bien. C'est donc que je vous aurai mal compris.
Au Collège des Bernardins, le Président de la République, nous a demandé d'exprimer notre sagesse et d'être dans l'interpellation. J'ajouterai une troisième exigence, à mon avis très importante, celle de la dimension prophétique. Soeur Emmanuelle est par exemple une prophète assez considérable, et l'abbé Pierre s'est avéré un prophète tout à fait remarquable lorsqu'il a fait son appel au vitriol pour ceux qui mouraient de froid dans Paris. La dimension prophétique est légitime du moment qu'elle s'accompagne de respect et de douceur et qu'elle évite toute violence. Or, la religion a parfois pour mission d'interpeller de façon prophétique, c'est-à-dire avec force. Je me souviens de cette parole prophétique du pape Jean-Paul II en Irlande quand, au milieu de son discours, il s'est écrié : « La violence ne résoudra jamais la violence ! » Voilà une parole prophétique : arrêtons la violence ce que la violence elle-même ne peut faire – par le pardon. L'interpellation est parfois incisive et peut faire mal à ceux qui l'entendent, mais elle invite à la réflexion et, conséquemment, à se défaire des idées arrêtées. De telles prophéties méritent donc d'être entendues.
Au sujet de la tolérance, je dirai qu'il ne faut en effet jamais juger les personnes, particulièrement lorsqu'elles souffrent. Mais dans le cas qui nous occupe, il s'agit d'autre chose, il s'agit de penser une loi. La loi, par définition, concerne le bien commun. Si une loi ne vise pas le bien commun mais consiste, comme je l'ai dit, en une juxtaposition d'articles faisant droit à des intérêts particuliers, quelque chose ne va pas. Porter un jugement sur cette loi devient possible alors qu'il n'est pas admissible, encore une fois, de juger des individus. C'est pourquoi j'ai rappelé qu'en cataloguant certaines personnes comme des « progressistes » et d'autres comme des « conservateurs », on les juge, et que ces jugements sont ineptes dans la démocratie qu'est notre République.
Vous avez aussi parlé de l'intérêt de l'enfant et du don de gamètes, de la paternité biologique et de la paternité de celui qui aime. Mais un principe cardinal de notre République est la protection du plus faible. Si l'on abandonne ce principe, que va-t-on protéger ? Les intérêts économiques ? Car, il faut le dire, le marché de la procréation est un marché considérable et en plein développement. Qu'allons-nous défendre, l'intérêt de l'argent ou l'intérêt du plus faible ? Il nous faut faire un choix drastique, un choix prophétique, celui de protéger le plus faible car telle est la mission de la République. Vous avez dit que, d'après notre Constitution, la République est « laïque » avant être « sociale ». Pour ma part, je pense que le mot le plus important de la devise « Liberté, Égalité, Fraternité » est celui de fraternité car il n'y a pas de liberté sans fraternité. La République sociale, qui a été créée juste après la Seconde Guerre mondiale, est précisément la protection du plus faible. L'enfant est le plus faible. Et je suis un peu navré de ce qu'a déclaré le Conseil d'État au sujet du droit de l'enfant car, en reprenant le texte du doyen Jean Carbonnier, j'ai pu vérifier que celui-ci n'a aucunement écrit que l'intérêt supérieur de l'enfant dont il est question à l'article 3 de la Convention internationale de l'Organisation des Nations unies était une « formule magique » sans valeur : ce que le doyen Carbonnier indique ainsi, c'est que l'interprétation qui est faite de cet article capital est incertaine et qu'il importe d'en avoir une compréhension raisonnable.
Il nous faut également réfléchir à ce qu'est l'intérêt de l'enfant. Je pense que le fait que certains enfants naissent en n'ayant pas les mêmes chances que les autres est un problème de notre République. Or, je ne sais pas si le fait qu'un enfant ait un père et une mère, alors qu'un autre enfant n'a pas de père et un troisième pas de mère par une décision a priori, prise avant leurs conceptions, ne crée pas pour ces trois enfants une inégalité d'emblée. Naissent-ils égaux ? C'est là pour moi une vraie question qui concerne l'intérêt des plus faibles.
Concernant la loi Claeys-Leonetti, le rapport de l'Inspection générale des affaires sociales (IGAS) montre que le « mal-mourir » en France ne vient pas de cette loi mais de la frilosité des programmes de soins palliatifs qu'a mis en place notre pays. Une loi a été votée qui prévoit que ces soins soient dispensés à tous ceux qui en ont besoin. Pour autant, tous les Français n'ont pas accès à ce droit.