Intervention de Pierre d'Ornellas

Réunion du mardi 30 octobre 2018 à 17h15
Mission d'information sur la révision de la loi relative à la bioéthique

Pierre d'Ornellas, responsable du groupe de travail sur la bioéthique au sein de la Conférence des évêques de France :

Les questions que vous posez sont effectivement abyssales. Entrons donc dans l'abîme, mais en restant synthétique. (Sourires.)

Votre question qui portait sur la liberté est essentielle. Pour Nietzsche, Dieu est méprisable car il est une ombre à ma liberté, et il faut donc que Dieu soit mort pour que je sois libre. Albert Camus, dont la pensée m'impressionne beaucoup, trouve dans La Peste une solution au problème de la liberté : l'amour pour les plus pauvres que le docteur Rieux va soigner. Ainsi, Albert Camus ne reste pas enfermé dans la dialectique nietzschéenne et, bien qu'agnostique, il trouve une solution remarquable qu'avec mon vocabulaire chrétien je nommerai la charité pour le plus faible. Je pense que l'existence de Dieu suscite la vraie liberté car Dieu est toujours en train de nous donner à nous-mêmes. Ainsi, plus l'on est face à Dieu, plus l'on est libre. Certains enfants reçoivent une éducation janséniste et sont sans cesse menacés d'être punis par Dieu, mais la peur de Dieu qui leur est inculquée est une pure hérésie ! L'acte créateur de Dieu consiste, en nous donnant à nous-mêmes, à nous faire progresser dans la liberté car il libère, peut-on dire, notre liberté de l'esclavage.

Vous nous avez interrogés sur le progrès médical. Je vous dirai qu'il importe surtout que tous, et pas seulement les habitants des pays riches, puissent en profiter. Cette année encore, je me suis rendu en Afrique, dans un village de brousse. Arrivé sur place, je salue tous les villageois qui sont impressionnés par ce blanc, de surcroît archevêque. J'aperçois alors une petite fille d'une dizaine d'années dont le visage est triste, ce qui est rare chez les enfants africains. Je m'approche d'elle et sa maman me dit aussitôt qu'elle va mourir car le médicament dont elle a besoin ne peut arriver dans le village. J'ai téléphoné à l'Ordre de Malte et à une autre institution qui m'ont dit ne pas disposer de circuit permettant que le médicament parvienne à cet endroit. Pour moi, on ne peut parler véritablement de progrès médical que s'il est vécu dans la solidarité. Des soins pointus qui ne sont accessibles qu'à quelques-uns constituent certainement un très grand acte médical faisant plaisir au médecin. Mais un authentique progrès médical est un progrès de la science thérapeutique qui nous concerne tous. En France, nous sommes très sensibles à cette manière de concevoir le progrès, comme le montrent par exemple les migrants malades que je rencontre à Rennes et qui bénéficient d'un accès immédiat et gratuit aux soins. Que ce droit existe est magnifique, et nous devons nous réjouir que notre pays permette ainsi le progrès médical.

Pour autant, la question demeure de savoir si l'usage de nouvelles techniques par la médecine relève nécessairement du médical. Cette question est très difficile. Nous pouvons prendre en compte la réflexion de Jacques Ellul, qui porte sur la technique en soi, mais aussi le chapitre sur la technique qu'a rédigé Benoît XVI, à qui je me permets de faire référence puisque mon frère le pasteur protestant l'a cité. Un grand défi pour la religion et la société est de parvenir à comprendre ce qu'est la technique. Elle nous joue des tours et nous sommes actuellement, par rapport à elle, dans une fuite en avant.

Je suis d'accord avec vous et je ne pense pas qu'il y ait d'égalité entre un couple homosexuel et un couple hétérosexuel. On peut parler d'équité, de fraternité, de solidarité mais pas d'égalité. Car si on considère qu'existe une égalité de tous les couples, la GPA sera nécessairement autorisée car interdire à deux hommes d'avoir un enfant serait dès lors une injustice.

Les droits de l'enfant sont, à mon avis, primordiaux. Il serait d'ailleurs intéressant d'interroger tous ceux qui, dans les cabinets médicaux ou dans les aumôneries, les accompagnent et connaissent les souffrances qu'éprouvent ceux de ces enfants dont les droits ne sont pas respectés. Il faut écouter les enfants comme des personnes humaines.

L'anonymat des donneurs de gamètes doit-il être maintenu ? Cette question pose des problèmes très difficiles. J'ai rencontré celui qui a réalisé la première grossesse par fécondation in vitro mais qui, contrairement à René Frydman et Jacques Testart, n'est pas devenu célèbre car cette grossesse n'est pas arrivée à terme. Il m'a raconté que les donneurs de sperme concernés étaient très désireux d'établir une relation avec la femme et l'enfant né de leur don. Il a donc inventé un circuit destiné à ce que la femme puisse sortir de l'hôpital sans que personne sache où elle va. C'est ainsi qu'a été peu à peu imaginé l'anonymat, dont le but est de protéger la relation entre l'enfant et ses parents. Si l'anonymat est supprimé, les donneurs vont-ils accepter de ne rien faire qui puisse troubler cette vie familiale ? Par ailleurs, quel va être le désir de l'enfant s'il sait l'identité de son père biologique ? Réfléchir sur l'anonymat oblige à tenir compte de ces questions.

Dans cette réflexion sur l'anonymat, la vraie question se situe selon moi en amont et concerne le don de gamètes. Lors d'une réunion sur la bioéthique à laquelle j'ai assisté à Rome, il m'a été expliqué que la République italienne n'avait autorisé le don de gamètes qu'en 2015 parce que ce pays avait longtemps jugé que les problèmes posés par ce type de don étaient trop importants. Je suis favorable au fait que l'enfant puisse connaître ses origines mais, en même temps, je souhaite que l'enfant et sa vie familiale soient protégés. À ce titre, je trouve très intéressantes les décisions de la Cour de cassation selon lesquelles l'enfant né de GPA à l'étranger est inscrit sur l'état civil et laissé dans sa famille, par exemple avec ses deux papas, au nom de l'intérêt supérieur de l'enfant. Ces notions d'intérêt supérieur de l'enfant et de protection de la famille doivent présider à cette réflexion sur l'anonymat. Je crois que nous avons pris la voie qui permettra de trouver la bonne solution, même si cette question est loin d'être simple. Car nous devrons aussi décider si l'enfant pourra, durant son adolescence ou à sa majorité, connaître ses origines. N'y aura-t-il d'ailleurs pas moins de donneurs si la connaissance de leur identité est obligatoirement connue ? Enfin, si certains donneurs acceptent d'être connus alors que d'autres le refusent, une inégalité naîtra entre les enfants car ils se trouveront dans des situations différentes.

L'une de vos questions portait sur le maintien des traditions religieuses dans la société actuelle. Je sens pour ma part qu'il nous faut intégrer dans la tradition religieuse, du point de vue de la révélation que Dieu fait, le pouvoir technique. Qu'est-ce que la technique ? J'aime particulièrement la réflexion de Jacques Ellul sur ce sujet. Le chapitre 6 de l'encyclique La Charité dans la Vérité de ce grand philosophe qu'est Benoît XVI pose également des questions extrêmement précises sur la technique.

Sur l'accompagnement, je comprends qu'une femme qui décide d'avoir un enfant seule s'en sente capable. Mais sommes-nous toujours lucides sur nos capacités ? Les études citées par le CCNE montrent que les familles monoparentales, qui sont principalement constituées de mères avec leurs enfants, sont très fragiles, bien plus que les autres familles. Si l'ouverture de la PMA aux femmes seules était décidée, il faudrait que des lois destinées à les aider soient également votées. Je me souviens avoir entendu sur Europe 1, lors de l'élection présidentielle, une femme qui faisait une proposition très astucieuse pour que la maternité et le travail puissent se conjuguer et que le fait d'avoir des enfants ne soit plus un obstacle à la carrière professionnelle des femmes. J'ai cherché à rencontrer cette femme car je pense que ce sujet est, en France, un vrai problème. L'Ille-et-Vilaine comporte 357 établissements catholiques ayant signé une convention avec l'État. Je reçois chaque année des femmes qui choisissent de devenir enseignantes et de quitter leur entreprise parce que le stress et la pression qu'elles y subissent ont rendu leur existence infernale en les empêchant de mener une vie familiale satisfaisante. En France, nous souffrons d'un manque d'accompagnement des mères qui travaillent et de leurs enfants, auquel il faudrait qu'une loi remédie.

Vous avez demandé ce qu'est la laïcité. Le frère de Daniel Cohn-Bendit, dont j'ai oublié le prénom, a fait un très beau dessin sur la laïcité au moment où a été décidé l'affichage de la charte de la laïcité dans les écoles publiques

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