Toutes les études montrent en effet que la levée de l'anonymat du don de gamètes ne provoque pas, relativement, de diminution du nombre des donneurs mais que des donneurs d'un autre type se présentent : ce sont des hommes plus âgés, qui ont déjà une famille et non plus des étudiants. Je dis « relativement » car cela prend du temps, d'autant que la demande s'accroît. Il y a vingt-cinq ans, à l'hôpital universitaire de Gand, les traitements par sperme de donneur concernaient uniquement des couples hétérosexuels ; maintenant, je l'ai indiqué, 84 % concernent des couples de lesbiennes et des femmes célibataires. C'est dire que la demande de dons augmente indépendamment de la question de l'anonymat.
Sur le plan pratique, on importe en Belgique du sperme danois pour inséminer des Françaises… Ce n'est pas souhaitable et le gouvernement belge devrait faire un effort. En France, le système n'est pas parfait, certes, mais au moins est-ce l'Agence de la biomédecine qui organise ces choses. En Belgique, ce sont les centres de médecine de la reproduction qui recrutent les donneurs, et cela ne fonctionne pas très bien car nous n'avons pas le droit de faire de publicité ; c'est pourquoi, coincés, nous importons du Danemark. Ce n'est pas la solution de long terme si vous étendez l'accès à l'AMP.
Vous m'avez interrogée sur la défiance à l'égard de la recherche. Comment redonner confiance dans la recherche scientifique en général ? La réponse est extrêmement difficile quand les mêmes études sont parfois utilisées pour formuler des conclusions contradictoires. C'est que demeure toujours dans la science un élément d'incertitude : on approche la vérité. Mais on peut toujours manipuler, faire des méta-analyses en mettant des études de côté, et arriver à d'autres conclusions. On le voit en matière politique au niveau européen dans les études pharmacologiques, avec le glyphosate par exemple. On peut donc employer la science à différentes fins, si bien que le public constate que l'on peut parvenir à des résultats discordants sur la base des mêmes études et il ne le comprend pas. Il faut beaucoup plus d'éthique de la part des scientifiques et aussi de ceux qui utilisent des études pour mettre en avant leurs conclusions.
Membre du comité exécutif de la Société européenne de reproduction humaine et d'embryologie (ESHRE), je peux témoigner qu'il est difficile de lancer des études au niveau européen : on ne peut qu'observer les différences, car la diversité des législations nationales fait effectivement obstacle aux études transnationales. Dans un monde idéal, les États européens s'accorderaient sur ce qui est permis, et des États généraux européens de la bioéthique permettraient la convergence des législations. Mais il ne faut pas rêver : de grandes différences idéologiques demeurent en Europe. Elles font que le mariage pour tous est un problème pour certains pays et pas pour d'autres, de même que l'extension de l'accès à l'AMP. Le principe de subsidiarité fait qu'il faudra encore beaucoup de temps pour parvenir à la convergence.