Nous voici, cet après-midi, réunis pour discuter de nouveau de ces deux textes, au terme d'un processus législatif qui aura été relativement court, puisque neuf mois tout au plus nous séparent de leur présentation, le 21 mars dernier. Ce processus législatif aura donc été mené tambour battant et contre vents et marées, tant des oppositions nombreuses se sont fait entendre, qui ont franchi les lignes de partage politique traditionnelles.
Vous avez d'ailleurs pu le mesurer, monsieur le ministre, jusqu'au sein du groupe parlementaire que vous coprésidiez il y a encore quelques semaines : lors de plusieurs scrutins publics, tant sur des motions de rejet préalable et de renvoi en commission que sur des amendements ou sur les différentes versions du texte, douze de nos collègues membres du groupe UDI-Agir se sont exprimés par des votes similaires à ceux du groupe Les Républicains, reprenant nos doutes, nos interrogations ou nos réserves, bref, notre opposition.
Comme d'autres, j'ai déjà eu l'occasion de souligner que nos réserves ne concernent pas la reconnaissance de la complexité et de l'ampleur du sujet de la manipulation massive et virale de l'information avec la diffusion de fausses informations. Nous sommes au fait de la gravité et de la diversité des menaces qui pèsent sur nos démocraties, au-delà même de nos frontières. L'article 8 bis de la proposition de loi ordinaire évoque un vague « devoir de coopération », qui nous paraît être une coquille vide, par rapport à ce que nous sommes en droit d'attendre des plateformes dont il a déjà été abondamment question.
Nous souhaitons que notre pays soit, plus encore qu'aujourd'hui, aux avant-postes d'une initiative européenne forte. La révision de la directive européenne sur le commerce électronique a été évoquée : elle devrait finir par être modifiée afin qu'y soit inscrit un principe de responsabilité des plateformes. Je pense également aux réflexions et aux travaux engagés par les commissaires Julian King et Mariya Gabriel, qui finiront peut-être par se résoudre à proposer un projet de régulation européenne, lequel, je crois, sera éloigné des dispositifs que le groupe majoritaire La République en marche propose.
Nous sommes sceptiques et plus que réservés sur ces textes, à l'efficacité discutable mais dont les risques réels de dévoiement sont réels. Nous mettons de nouveau solennellement en garde contre les conséquences indésirables qu'ils contiennent en germe, comme l'atteinte à la liberté de la presse, à la liberté d'expression et à la liberté d'opinion ainsi que les risques d'autocensure et de « police de la pensée ». Telles sont, je le répète, les conséquences que nous voyons se profiler à l'horizon, et que des universitaires, des sociologues et des journalistes ont déjà eu l'occasion de souligner.
Après bien des réécritures, la définition de la fausse information, retenue dans la rédaction soumise à notre examen aujourd'hui, n'est toujours pas, à nos yeux, claire ni protectrice. Le référé en quarante-huit heures, que vous introduisez, ne permettra pas, à notre avis, d'établir avec certitude la nature inexacte ou trompeuse d'une fausse information ou si celle-ci est susceptible d'altérer la sincérité du scrutin à venir. Il est à craindre, de plus, non seulement que le juge ne puisse réussir, en quarante-huit heures, à prendre une décision, mais également que le tribunal de grande instance de Paris ne soit engorgé par les demandes de référés. Les risques multiples d'instrumentalisation et de dévoiement dans les deux sens nous paraissent également devoir être soulignés.
Le fait que la majorité parlementaire ait avancé à marche forcée pour faire adopter ces textes nous semble particulièrement regrettable, notamment en raison des messages très forts adressés par le Sénat. Il n'est pas habituel qu'à deux reprises, celui-ci refuse d'examiner un texte dans le cadre de l'adoption de deux motions tendant à opposer la question préalable. Deux de ses commissions, à la fois la commission des lois et la commission de la culture, de l'éducation et de la communication ont, à deux reprises, lancé un véritable avertissement au Gouvernement et à sa majorité, que ceux-ci n'ont malheureusement pas entendu.
L'avertissement a trait également à la manière dont le Gouvernement fait fonctionner nos institutions. À quelques semaines d'une possible, et même probable, reprise des travaux sur la révision constitutionnelle, je tiens à rappeler que la loi, si elle doit être l'expression de la volonté générale, ne doit pas être adoptée au forceps, par une majorité de députés issue de ce que les constitutionnalistes et les politologues nomment le fait majoritaire, pour être pleinement respectée et reconnue.