Nous examinons aujourd'hui, en lecture définitive, deux propositions de loi dont l'objectif affiché est de lutter contre la manipulation de l'information. Cet objectif est louable. En effet, la prolifération d'informations fallacieuses dans le but d'influer sur le résultat d'une élection est protéiforme, tant dans l'intention qui la gouverne que dans son mode de diffusion. Ainsi, l'intention de diffuser une fausse information peut autant provenir d'un individu que résulter de l'ingérence d'un État étranger. La fausse information peut être relayée par des individus, mais également par plusieurs centaines voire plusieurs milliers de robots afin de démultiplier le nombre de personnes touchées. In fine, la complexité du problème auquel nous devons faire face provient, d'une part, de la facilité avec laquelle la fausse information se propage, et d'autre part, de l'instantanéité de l'accès à l'information.
Il nous est donc proposé de répondre à cet enjeu majeur dans le cadre de deux propositions de loi et à travers quatre objectifs.
Premier objectif : répondre à l'urgence par la création d'une procédure de référé en période électorale. Nous n'y sommes pas favorables, pour de multiples raisons.
Le juge est-il matériellement capable de déterminer, dans un délai de quarante-huit heures, la véracité d'une information ou son caractère fallacieux ? Cette interrogation se pose avec d'autant plus de force que l'on imagine le nombre de recours susceptibles d'être déposés en pleine campagne électorale !
Une autre interrogation doit nous ramener à la réalité : quelle sera l'efficacité de la décision de justice ? La rapidité avec laquelle se diffuse l'information ne permet pas d'endiguer sa propagation avant qu'elle ne produise ses effets. Dans la mesure où le juge n'aura pas les moyens de se prononcer en si peu de temps, le recours à un tel dispositif pourra même être contreproductif puisqu'il augmentera la publicité donnée à la fausse information dont on voudrait obtenir le déréférencement et qu'il renforcera son caractère vraisemblable. Dans le cadre d'une campagne électorale, la décision du juge de ne pas se prononcer risque d'être instrumentalisée et, paradoxalement, d'altérer bien davantage la sincérité du scrutin.
Enfin, comme l'a rappelé le Conseil d'État, il convient de veiller scrupuleusement à la subtile conciliation entre la liberté d'expression et l'endiguement impératif de la prolifération des informations fallacieuses.
Deuxième objectif : protéger l'indépendance et la souveraineté nationales. À cet effet, nous sommes favorables à l'introduction de prérogatives nouvelles dévolues au Conseil supérieur de l'audiovisuel, prévue au titre II. Dans un monde où l'information constitue un enjeu économique, mais aussi géopolitique et culturel, il est essentiel de pouvoir parer aux menaces et aux tentatives de déstabilisation provenant de médias sous influence étrangère. Il sera toutefois plus qu'opportun d'évaluer en temps réel l'efficience, la proportionnalité et les conséquences des dispositifs proposés.
Troisième objectif : renforcer la responsabilisation des plateformes en ligne, qui permettent la diffusion de l'information de manière instantanée et à grande échelle. Les mesures prévues à l'article 1er renforçant la transparence et celles prévues au titre II bis introduisant un devoir de coopération des plateformes en ligne vont bien dans ce sens. Même si elle n'est pas directement liée à ces propositions de loi, nous nous réjouissons qu'une mission ait été confiée à Emmanuel Hoog en vue de la création d'un conseil de déontologie de la presse. Le meilleur antidote contre les fausses informations reste une presse libre et indépendante : nous soutiendrons donc toute initiative visant à la renforcer.
Le quatrième objectif, le plus important à nos yeux, concerne l'enjeu majeur de l'éducation aux médias et de l'émancipation. À l'occasion d'un symposium organisé par l'UNESCO en janvier 1982, un ensemble de chercheurs venus de dix-neuf pays différents ont rédigé la déclaration de Grünwald sur l'éducation aux médias, selon laquelle « les systèmes politiques et éducatifs doivent assumer les obligations qui leur reviennent pour promouvoir chez les citoyens une compréhension critique des phénomènes de communication ». Trente-cinq ans plus tard, cette préoccupation est plus que jamais d'actualité !
Toute proposition visant à renforcer la capacité de discernement du citoyen, confronté à une masse toujours plus grande d'informations, va dans le bon sens. En effet, le dispositif le plus efficace n'est pas le recours toujours plus rapide au juge, mais parfois le choix de ne pas brider l'information.
À ce sujet, je note une forme d'incohérence : dans le projet de loi de finances pour 2019, le budget consacré à l'éducation aux médias et au décryptage de l'information est ramené de 13,5 millions à 12,1 millions d'euros, soit une baisse de plus d'un million d'euros. Or l'enjeu est essentiel.
Il est absolument fondamental de protéger la démocratie dans nos sociétés. Si nous partageons votre diagnostic, nous sommes toutefois résolument défavorables à l'instauration d'une nouvelle procédure de référé. Nous regrettons que le Gouvernement ait refusé de recourir à l'expérimentation sur ce sujet.
Le groupe UDI, Agir et indépendants votera majoritairement contre ces propositions de loi, comme il l'a fait en première et en nouvelle lectures.