Intervention de Didier Migaud

Réunion du mercredi 27 septembre 2017 à 17h00
Commission des affaires sociales

Didier Migaud, premier président de la Cour des Comptes :

Je suis heureux de vous présenter aujourd'hui notre rapport 2017 sur la sécurité sociale.

Ce rapport est établi, comme chaque année, dans le cadre de la mission d'assistance de la Cour au Parlement et au Gouvernement. Il est destiné à accompagner le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2018, qui sera prochainement déposé sur le bureau de votre assemblée, après son adoption par le conseil des ministres.

J'ai auprès de moi, pour vous présenter le travail de la Cour, Antoine Durrleman, président de la sixième chambre chargée de sa préparation ; Henri Paul, président de chambre et rapporteur général de la Cour ; Jean-Pierre Viola, conseiller maître, rapporteur général de ce rapport ; et Delphine Rouilleault, auditrice, rapporteure générale adjointe. De nombreux autres rapporteurs ont contribué à ce rapport.

Dans le prolongement de son audit général des finances publiques de juin dernier, comme de ses précédents rapports annuels sur la sécurité sociale, la Cour s'est attachée à approfondir l'analyse de la trajectoire financière de la sécurité sociale à l'horizon 2020 et de ses déterminants.

De cette analyse, la Cour a tiré quatre constats principaux. Tout d'abord, la Cour constate que la réduction du déficit de la sécurité sociale et le reflux de la dette sociale se sont poursuivis en 2016, ce qui témoigne d'efforts certains de maîtrise des dépenses. Toutefois – c'est le deuxième constat – la situation financière de la sécurité sociale n'est pas encore assainie, comme l'illustre l'annonce par le gouvernement d'un nouveau décalage, de 2019 à 2020, de l'objectif d'équilibre. Ensuite, le caractère incomplet et fragile du redressement financier appelle à engager ou à amplifier des réformes structurelles qui, lorsqu'elles sont mises en oeuvre, ont des résultats importants. Enfin, pour accélérer le retour à l'équilibre, il convient en particulier d'exploiter beaucoup plus activement les marges importantes d'efficience que recèlent les dépenses de santé prises en charge par l'assurance maladie. Cette année, la Cour illustre ces marges dans deux domaines : le médicament et les soins médicaux.

De ces observations découle en définitive un message central et essentiel : si les progrès que relève la Cour sont très lents et encore inaboutis, et si la persistance des déficits depuis 2002 fragilise cet instrument majeur de solidarité entre assurés sociaux et entre générations qu'est la sécurité sociale, cette situation n'a rien d'inéluctable.

Revenir plus rapidement à l'équilibre financier, éteindre totalement la dette sociale, éviter par la suite de retomber dans la spirale des déficits et de l'endettement est non seulement indispensable, mais est, selon nous, possible.

Je vais à présent revenir sur le premier constat de la Cour.

En 2016, le déficit de la sécurité sociale a poursuivi le mouvement de baisse progressive engagé depuis 2010, année où il avait atteint le niveau historiquement élevé de près de 30 milliards d'euros, dans le contexte de la crise économique.

Ainsi, le déficit agrégé de l'ensemble des régimes obligatoires de sécurité sociale et du Fonds de solidarité vieillesse (FSV) s'est établi en 2016 à 7 milliards d'euros, contre 10,3 milliards d'euros en 2015. Le déficit du régime général seul et du FSV, qui constitue l'essentiel des enjeux financiers, a été ramené pour sa part à 7,8 milliards d'euros, contre 10,8 milliards d'euros en 2015.

La Cour relève à cet égard cinq évolutions positives. En premier lieu, le déficit est revenu, pour la première fois, à un niveau inférieur à celui de l'avant-crise financière. Ensuite, pour la première fois également, la baisse du déficit a été pour l'essentiel de nature structurelle, indépendante de la conjoncture économique : le déficit structurel s'est réduit de 0,1 point de PIB. Par ailleurs, contrairement aux autres années, la réduction du déficit a été obtenue sans mesures d'augmentation nette des recettes. Pour la première fois encore, toutes les branches et le FSV ont vu leur solde s'améliorer simultanément. Enfin, grâce à la réduction des déficits, la dette sociale a confirmé le mouvement de reflux engagé en 2015 : elle a baissé de 5,3 milliards d'euros pour atteindre 151,1 milliards d'euros fin 2016.

Vous le voyez : la Cour met en lumière les progrès enregistrés en 2016, qui s'inscrivent dans une trajectoire de retour progressif à l'équilibre.

Toutefois, le report de 2019 à 2020 du retour à l'équilibre, annoncé par le Gouvernement en juillet dernier, témoigne du chemin qui demeure à parcourir pour assainir la situation financière de la sécurité sociale. Son déficit reste en effet très élevé. Il se réduit moins fortement qu'affiché et est de plus en plus concentré sur l'assurance maladie et l'assurance vieillesse. C'est le deuxième constat formulé par la Cour.

En ce qui concerne l'année 2016 tout d'abord, la Cour a établi quatre observations moins favorables que celles que j'évoquais à l'instant. Tout d'abord, le déficit a été minoré par un produit exceptionnel de contribution sociale généralisée (CSG) de 740 millions d'euros, dépourvu de base juridique, qui n'aurait pas dû être inscrit en recette de la branche maladie. Corrigé de cette écriture comptable, le déficit atteint en réalité 8,5 milliards d'euros, soit une diminution de 2,3 milliards d'euros qui est finalement du même ordre qu'en 2015. Ensuite, le déficit conserve toujours une importante composante structurelle. Ainsi, il aurait fallu environ 4 milliards d'euros de mesures supplémentaires de redressement pour parvenir en 2016 à l'équilibre structurel. En troisième lieu, comme c'est le cas depuis 2014, la réduction du déficit repose pour partie sur des recettes exceptionnelles, non reconductibles. Enfin, si le montant de la dette sociale se réduit, une partie de celle-ci n'a pas été transférée à la Caisse d'amortissement de la dette sociale (CADES) pour en assurer le remboursement, mais demeure portée par l'Agence centrale des organismes de sécurité sociale (ACOSS). La répétition des déficits annuels conduit à faire grossir cette composante de la dette, qui est exposée à la remontée des taux d'intérêt à court terme et dont le remboursement n'est pas organisé.

Plus particulièrement, le retour de la sécurité sociale à l'équilibre se heurte aux déficits persistants de l'assurance maladie et de l'assurance vieillesse.

En effet, la réduction du déficit de l'assurance maladie, corrigé du produit exceptionnel de CSG que j'évoquais à l'instant, se révèle très limitée – le déficit s'établissant à 5,5 milliards d'euros en 2016 contre 5,8 milliards d'euros en 2015.

Le déficit de l'assurance maladie représente désormais les deux tiers du déficit total de la sécurité sociale. Il y a deux ans, c'était moins de la moitié.

En 2016, la branche vieillesse du régime général est certes pour la première fois à l'équilibre depuis 2004. Mais le Fonds de solidarité vieillesse, qui finance une partie de ses dépenses, a toujours un lourd déficit. De ce fait, les retraites de base des salariés du secteur privé connaissent encore un important déséquilibre global, soit 2,8 milliards d'euros en 2016 après 4,2 milliards d'euros en 2015.

Pour ce qui concerne 2017, le déficit de la sécurité sociale va continuer à se réduire.

La loi de financement pour 2017 prévoyait un déficit du régime général et du FSV de 4,1 milliards d'euros. La commission des comptes de la sécurité sociale a revu cette estimation en juillet dernier dans le sens d'une aggravation. Néanmoins, selon les tendances les plus récentes, la progression des recettes sera en définitive plus forte qu'attendu et le déficit effectif proche de celui prévu à l'origine. Des chiffres plus officiels devraient être donnés demain, lors de la réunion de la commission des comptes de la sécurité sociale.

En tout état de cause, malgré d'importants transferts de recettes en provenance de la branche vieillesse – 1,7 milliard d'euros –, le déficit de l'assurance maladie continuera de constituer l'essentiel du déficit de la sécurité sociale. La dynamique des dépenses reste en effet forte.

En 2017, le taux de progression de l'objectif national des dépenses d'assurance maladie (ONDAM) a été relevé à 2,1 %, ce qui marque une rupture par rapport à la période récente au cours de laquelle il avait continûment diminué, s'établissant à 1,75 % en 2016.

En outre, la progression réelle des dépenses est pour partie masquée par les biais de plus en plus marqués qui affectent la sincérité de l'ONDAM. Les cas de figure sont nombreux.

Certaines dépenses sont rattachées à l'année suivante : c'est le cas d'une partie des dépenses des établissements de santé relatives aux molécules sous ou post autorisation temporaire d'utilisation (ATU), pour un montant de 180 millions d'euros en 2016. D'autres sont sorties de manière injustifiée du périmètre de l'ONDAM : en 2017, une partie des dépenses de médicaments est ainsi reportée sur un nouveau fonds de l'innovation pharmaceutique, à hauteur de 220 millions d'euros. En outre, les diminutions de charges liées à des contractions de dépenses avec des recettes sont prises en compte en tant qu'économies alors qu'elles n'ont en fait aucun effet sur le déficit de l'assurance maladie, puisque ses produits baissent aussi : c'est le cas de la part des cotisations des praticiens et auxiliaires médicaux conventionnés prise en charge par l'assurance maladie, pour 270 millions d'euros en 2017. Enfin, certaines dépenses sont reportées sur d'autres financeurs publics, pour 450 millions d'euros en 2017, ce qui ne réduit en rien le déficit des administrations publiques dans leur ensemble. Je pense en particulier au transfert à divers organismes hospitaliers de la contribution de l'assurance maladie au Fonds de modernisation des établissements de santé publics et privés.

C'est une part croissante des dépenses qui échappe ainsi à l'ONDAM. En définitive, quand on neutralise les effets de ces divers procédés, ce n'est pas de 1,8 % que l'ONDAM a progressé en 2016, mais de 2,2 %. Pour 2017, son augmentation prévisionnelle n'est pas de 2,1 %, comme affiché, mais de 2,4 %.

Dès lors, même si l'objectif a été respecté en 2016, pour la septième année consécutive, et le sera très probablement à nouveau en 2017, ce résultat a de moins en moins de portée.

La Cour ne peut qu'appeler à mettre fin aux pratiques qui affectent la sincérité de l'ONDAM. En particulier, toutes les dépenses de médicaments devraient être prises en compte dans l'objectif, alors qu'une partie d'entre elles en a été sortie par la création du fonds de financement de l'innovation pharmaceutique que je viens d'évoquer. De plus, ce fonds a été doté par un simple jeu d'écritures comptables, sans que lui soient apportées de véritables ressources.

Comme je l'ai évoqué, le Gouvernement a repoussé de 2019 à 2020 l'horizon du retour à l'équilibre des comptes sociaux, dans le contexte d'une dégradation à la mi-année 2017 des prévisions d'évolution des recettes par rapport à celles de la loi de financement pour 2017.

Par rapport aux prévisions d'avant l'été, la trajectoire financière de la sécurité sociale connaîtra cependant une amélioration, du fait d'une progression en définitive plus rapide de la masse salariale.

Mais il serait dangereux de faire reposer sur une embellie de la conjoncture le rétablissement pérenne de l'équilibre des comptes.

L'évolution des recettes n'est en effet pas le seul risque qui pèse sur un retour effectif à l'équilibre d'ici à 2020.

Tout d'abord, la progression des dépenses d'assurance maladie risque de s'accélérer en raison non seulement des augmentations tarifaires accordées aux professionnels libéraux de santé, tels les médecins, pharmaciens, chirurgiens-dentistes, et des augmentations salariales dans la fonction publique hospitalière, mais aussi d'un défaut persistant de maîtrise des dépenses de soins de ville.

Les dépenses de dispositifs médicaux, de transports, d'indemnités journalières et d'actes de spécialistes et d'auxiliaires médicaux augmentent à des rythmes de moins en moins soutenables. Le seul poste de dépenses maîtrisé aujourd'hui est celui des médicaments. Je vais y revenir.

L'évolution des dépenses de retraites est un autre facteur de risque. Le Conseil d'orientation des retraites, dans son rapport de juillet dernier, indique que l'augmentation des dépenses va s'accélérer à partir de 2018 et qu'en raison d'évolutions démographiques et économiques moins favorables, la situation des régimes de retraite va se dégrader beaucoup plus rapidement et plus profondément qu'il ne l'avait estimé l'année dernière.

Ces nouvelles projections, qui ne me surprennent pas, attestent du bien-fondé de la prudence à laquelle la Cour avait appelé dans son rapport de l'an dernier. Je rappelle qu'elle avait estimé que les perspectives financières du système de retraite qui avaient alors été rendues publiques étaient entachées de biais d'optimisme.

La Cour relève au surplus que la loi de financement pour 2017 a masqué la dégradation du solde de l'assurance vieillesse des salariés du secteur privé à partir de 2018. Elle souligne en effet que les prévisions établies dans l'annexe B de la loi, qui décrit l'évolution des agrégats de dépenses, de recettes et de soldes du régime général, de l'ensemble des régimes obligatoires de base et du FSV pour la période 2017-2020, ont intégré des transferts de recettes des trois autres branches de la sécurité sociale : maladie, accidents du travail et maladies professionnelles, famille. D'un montant de 3 milliards d'euros d'ici à 2020, ces transferts modifient très sensiblement les soldes prévisionnels des branches par rapport à leur évolution spontanée. Pourtant, aucun élément d'information n'a été transmis à leur sujet au Parlement dans l'annexe B. Ce dont la Cour fait état, c'est ainsi d'un défaut manifeste d'information du Parlement.

De manière générale, les transferts incessants de recettes entre branches et avec le FSV que prévoient les projets de loi de financement de la sécurité sociale, année après année, nuisent fortement à la clarté de la situation financière de la sécurité sociale et de ses branches.

Des économies supplémentaires sur les dépenses d'assurance maladie et d'assurance vieillesse apparaissent ainsi nécessaires pour revenir plus tôt à l'équilibre de la sécurité sociale, réduire au maximum l'accumulation de déficits laissés à l'ACOSS et faciliter ainsi le remboursement de la dette sociale correspondante.

Revenir plus rapidement à l'équilibre financier de la sécurité sociale, mais aussi éteindre la totalité de la dette sociale d'ici à 2024, date à laquelle est prévue l'extinction de la CADES, sont des objectifs essentiels. Je voudrais souligner qu'en 2016, le paiement des intérêts et le remboursement des emprunts contractés pour financer les dépenses sociales des années passées ont nécessité pas moins de 15 milliards d'euros.

La Cour appelle ainsi les pouvoirs publics à fixer sans attendre une trajectoire de remboursement de la dette sociale aujourd'hui laissée à l'ACOSS, en l'accompagnant de l'attribution des ressources nécessaires à la CADES.

Le caractère incomplet et fragile du redressement financier de la sécurité sociale appelle à engager ou à amplifier des réformes qui, lorsqu'elles sont mises en oeuvre, produisent des résultats importants. C'est le troisième des quatre constats du rapport. Et c'est encourageant !

On entend souvent dire que la France se réforme peu, dans le domaine de la sécurité sociale comme dans les autres. Cette assertion n'est pas exacte. Des réformes importantes et difficiles ont été faites. Elles obtiennent des résultats. Si j'ose dire, les efforts paient.

Dans son rapport de l'année dernière, la Cour avait ainsi souligné que les retraites de base et complémentaires des salariés du secteur privé avaient été réformées à plusieurs reprises depuis 1993 et que ces réformes avaient permis d'améliorer très nettement leurs perspectives financières, même si de nouveaux ajustements étaient à anticiper.

Ces nouveaux ajustements seront d'autant moins douloureux qu'ils auront été engagés sans attendre et que la gestion des retraites sera assurée avec toute la rigueur requise.

À cet égard, l'analyse par la Cour des conditions de versement des pensions aux assurés résidant à l'étranger – 6,5 milliards d'euros en 2015 – montre que les actions de contrôle mises en oeuvre sont nettement insuffisantes au regard des risques de fraude.

Afin de réduire ces risques, la Cour recommande de développer les échanges informatisés de données avec les régimes des pays représentant les principaux enjeux, de mutualiser les certificats d'existence entre les régimes de retraite et de développer des contrôles sur place, ciblés notamment sur les assurés les plus âgés. Vous avez un certain nombre de développements à ce sujet dans ce rapport.

Après les retraites, la Cour dresse cette année un premier bilan d'ensemble d'une autre série de réformes de grande ampleur, celles des soutiens fiscaux et sociaux aux familles, soit près de 60 milliards d'euros en 2015, engagées entre 2012 et 2015. Il s'agit de la baisse en deux étapes de l'avantage fiscal du quotient familial ; de la modulation des allocations familiales en fonction des revenus ; de la sélectivité accrue de la prestation d'accueil du jeune enfant et des fortes revalorisations de l'allocation de rentrée scolaire, du complément familial pour les familles nombreuses et de l'allocation de soutien familiale pour les familles monoparentales.

À partir d'études pour la plupart inédites, la Cour éclaire de manière détaillée les effets des réformes sur la situation des familles en fonction de leur revenu et de leur configuration. Conformément aux objectifs poursuivis par les pouvoirs publics, des transferts massifs sont intervenus dans le sens d'une redistribution nettement accrue entre familles aux deux extrémités de la distribution des revenus.

Notre système de prestations familiales a ainsi connu une mutation historique, qui le rapproche de celui de la plupart de nos voisins : la quasi-totalité des prestations est désormais placée sous condition de ressources ; les aides fiscales et sociales aux familles n'ont plus un caractère globalement croissant avec les revenus ; la fameuse « courbe en U », qui reflétait l'augmentation des aides avec celle du revenu, principalement par le jeu du quotient familial, est désormais aplanie, sans être pour autant parfaitement linéaire.

Mais notre politique familiale n'est pas exempte de limites, voire de contradictions, même après les réformes. La Cour a procédé à une mise en perspective internationale des aides aux familles qui montre que d'autres pays, au prix de choix plus affirmés, obtiennent parfois de meilleurs résultats en matière de réduction de la pauvreté ou de conciliation entre vie familiale et vie professionnelle.

À cet égard, l'objectif de création de 275 000 nouvelles solutions de garde entre 2013 et 2017 sera loin d'être atteint. La garde des enfants en bas âge à l'extérieur du cadre familial, en crèche ou par une assistante maternelle, connaît des disparités territoriales et sociales majeures, comme le fait apparaître notre tableau sur les disparités importantes dans les modes de garde des enfants de moins de trois ans, selon les revenus.

Plus généralement, les comparaisons internationales auxquelles a procédé la Cour mettent en lumière des questions essentielles pour les objectifs et les outils de notre propre politique familiale. Aussi nous appartient-il d'y répondre.

Faut-il mettre l'accent sur les prestations monétaires ou sur les solutions d'accueil pour permettre à un plus grand nombre de mères de travailler ? Faut-il privilégier l'universalité des prestations ou les cibler plus fortement ? Faut-il continuer à apporter un soutien croissant en fonction du nombre d'enfants ou mieux prendre en compte des charges liées à la venue d'un premier enfant ? Faut-il maintenir une dualité de la gestion des aides sociales et fiscales aux familles, assurées respectivement par une branche de la sécurité sociale et par le budget de l'État, singularité que nous ne partageons qu'avec la Belgique ?

La Cour appelle ainsi à mieux mettre en perspective les enjeux de la politique familiale, à établir plus clairement ses priorités et à mieux articuler en conséquence ses outils.

Les réformes structurelles intervenues dans les domaines des retraites et de la famille contrastent très fortement avec la forme d'attentisme qui prévaut trop souvent en matière d'assurance maladie, qui est en déficit continu depuis vingt-cinq ans, soit, je le rappelle, une génération entière.

Bien entendu, l'enjeu financier n'est pas un objectif en lui-même. Si la Cour réitère ses avertissements, c'est bien parce que la persistance des déficits, qui alimentent la dette sociale dans les conditions coûteuses que j'évoquais à l'instant et alors même que d'importantes marges d'efficience existent, risque de remettre en question l'efficacité des politiques publiques que porte la sécurité sociale et, à terme, le dispositif essentiel de solidarité qu'elle constitue.

Voilà pourquoi il s'agit d'un enjeu fondamental, bien au-delà de toute considération étroitement comptable.

Or, l'assurance maladie peine à remplir sa mission première, qui est d'assurer l'égal accès de tous aux meilleurs soins, en intégrant en permanence tous les apports, souvent très coûteux, du progrès médical.

La protection qu'elle assure tend à s'éroder, comme la Cour l'a montré l'année dernière en analysant l'évolution générale des modalités de prise en charge des dépenses de santé et les difficultés importantes qui en résultent dans certains domaines, comme les soins bucco-dentaires.

C'est pourquoi il convient d'exploiter beaucoup plus activement les importantes marges d'efficience que recèlent les dépenses de santé prises en charge par l'assurance maladie. C'est le quatrième et dernier constat sur lequel je souhaite revenir.

L'exemple du médicament, qui fait l'objet d'une partie du rapport, montre qu'il n'y a pas de fatalité à la dérive des dépenses quand une action cohérente, résolue et continue est conduite, et même si des gisements importants d'économies restent à mobiliser.

La Cour met en effet en évidence l'importance des progrès intervenus dans la politique du médicament par rapport à la situation qu'elle avait constatée dans une précédente enquête en 2011.

La loi a complété ou précisé le cadre juridique de la fixation du prix des médicaments. Les ministres adressent à l'instance interministérielle qui négocie les prix avec les entreprises – le CEPS – des lettres d'orientation qui fixent des objectifs de plus en plus exigeants. Une clause de sauvegarde plafonnant la dépense totale de médicaments et une contribution spécifique aux médicaments très onéreux de traitement de l'hépatite C ont été instaurées afin d'encadrer l'évolution des dépenses.

Fait suffisamment rare pour être souligné, les dépenses de médicaments en ville remboursables par l'assurance maladie, à la dynamique très vive et constante jusqu'en 2010, sont orientées à la baisse. En 2015, elles ont retrouvé à peu près leur niveau de 2008, de l'ordre de 30 milliards d'euros, ou, pour être très exact, de 29,8 milliards d'euros.

Mais, avec l'arrivée sur le marché de nouveaux traitements dont les prix demandés pourraient être très élevés, comme pour le cancer, l'assurance maladie est confrontée à un défi de soutenabilité de la dépense de médicaments. Par ailleurs, même réduit par des remises, le prix de nombreux médicaments reste imparfaitement corrélé à leur apport thérapeutique réel. Des considérations de nature industrielle peuvent interférer et conduire parfois à des prix anormalement élevés.

Des progrès importants restent nécessaires pour rééquilibrer la position de négociation des pouvoirs publics face à des entreprises pharmaceutiques mondialisées et pour gérer plus activement le stock des prix de médicaments anciens.

La Cour recommande ainsi de renforcer les moyens humains et matériels de l'instance qui négocie les prix, qui sont très insuffisants, de réviser des dispositions conventionnelles par trop favorables aux entreprises pharmaceutiques comme la garantie de prix européen, de développer l'évaluation médico-économique, encore trop rare, et enfin de rendre systématiques les révisions de prix et la transformation des remises en des baisses de prix passé un certain délai.

Aborder la question du prix des médicaments suppose de prendre la mesure d'une de ses composantes, le coût de leur distribution, qui n'est pas suivi par les pouvoirs publics.

Pourtant, en 2015, ce coût a représenté le tiers de la dépense totale de médicaments dispensés par les pharmacies, soit 8,3 milliards d'euros, dont 7,4 milliards d'euros ont été perçus par les pharmacies elles-mêmes.

En plus de leur rémunération réglementée de 5,4 milliards d'euros, ces dernières ont en effet bénéficié de 2 milliards d'euros de rémunérations supplémentaires, dont 1,5 milliard d'euros provenant d'avantages commerciaux accordés par les entreprises pharmaceutiques et 0,5 milliard d'euros d'une partie de la marge réglementée de la distribution en gros.

Le coût de distribution des génériques est particulièrement considérable : la moitié des dépenses de génériques sert en effet à rémunérer les pharmacies qui les dispensent. Cette situation contribue à placer les prix des génériques à un niveau nettement plus élevé que chez nos voisins. Là aussi, il y a des marges de progression dans le sens de la responsabilisation tant du côté des prescripteurs que des patients.

Dans une large mesure, le niveau du coût de distribution des médicaments est corrélé à la densité de pharmacies par habitant, pour laquelle la France est en deuxième position en Europe occidentale, après l'Espagne. Chaque pharmacie dessert ainsi en moyenne près de 3 000 habitants, contre 4 000 en Allemagne et 4 500 au Royaume-Uni.

En définitive, la Cour recommande une refonte des modes de rémunération des pharmacies afin de réduire les coûts de distribution, en les désensibilisant complètement au nombre comme au prix des boîtes vendues et en révisant les marges très élevées consenties pour la distribution des génériques.

Elle propose aussi de favoriser la rationalisation du réseau officinal, notamment en encourageant le développement de modes de distribution alternatifs pour les médicaments à prescription médicale facultative : ventes sur internet et dans d'autres réseaux de distribution.

Bien entendu, ces évolutions devraient s'inscrire dans un respect strict et rigoureusement contrôlé par l'Ordre des pharmaciens des règles déontologiques qui s'appliquent à la profession de pharmacien.

Par ailleurs, un maillage territorial étroit des pharmacies doit être préservé afin d'assurer un accès de proximité au médicament, en ciblant des aides sur celles, 400 à 500 environ, dont l'existence pourrait être menacée alors qu'elles jouent un rôle essentiel.

Autre domaine sur lequel la Cour s'est penchée cette année : l'organisation des soins. Dans ce domaine, la recherche de l'efficience est un objectif majeur qui peut être partagé par tous. L'assurance maladie ne saurait s'exonérer de l'effort demandé à l'ensemble des acteurs.

En effet, si la Cour a noté les actions qui visent à faire revenir à l'équilibre financier les établissements sanitaires et sociaux dont l'assurance maladie assure la gestion, elle souligne que ces actions sont encore insuffisantes.

De fait, les questions de fond sont esquivées, notamment celle, centrale, du bien-fondé même de la gestion d'établissements de soins par l'assurance maladie, qui est sans synergies véritables avec sa mission de gestion du risque maladie.

La Cour recommande donc d'aligner sur le droit commun les modalités de financement de ces établissements et d'engager la transformation du cadre de leur gestion pour leur permettre d'acquérir à terme leur autonomie.

Sur un plan plus général, la Cour rappelle que, loin de s'opposer entre eux, les objectifs de renforcement de la qualité et de l'accessibilité des soins et de maîtrise des dépenses sont en réalité convergents.

Les exemples des soins de spécialité, des activités chirurgicales et de la télémédecine le mettent clairement en évidence. Je les aborderai rapidement pour terminer mon propos.

Tout d'abord, l'organisation de la médecine de spécialité – 16 milliards de dépenses de santé en 2015 – présente un paradoxe apparent. Les médecins spécialistes sont de plus en plus nombreux mais les inégalités d'accès aux soins se creusent et favorisent le report de la demande de soins vers les urgences hospitalières.

Ces inégalités sont de deux natures.

Elles sont, d'une part, territoriales : entre les zones urbaines surdotées et les zones péri-urbaines et rurales sous-dotées, entre certains départements, et entre communes d'un même département car certaines sont désertées par telle ou telle spécialité.

Elles sont, d'autre part, financières en raison de la croissance forte et continue sur le long terme des dépassements d'honoraires pratiqués par les spécialistes de secteur 2, de plus en plus nombreux, alors que les spécialistes de secteur 1 à honoraires conventionnels sont de plus en plus minoritaires dans certaines disciplines et dans les zones urbaines surdotées

L'assurance maladie a développé tardivement des incitations financières à la modération des tarifs, qui ont favorisé un léger repli du taux moyen de dépassement d'honoraires des spécialistes de secteur 2. Dans le même temps, les possibilités d'accès au secteur 2 ont été élargies pour les spécialistes de secteur 1.

En définitive, l'assurance maladie ne dépense pas moins de 10 euros en incitations financières pour éviter un euro supplémentaire de dépassement des honoraires conventionnels !

Dans ce contexte, la Cour recommande de mettre en oeuvre des instruments de régulation plus contraignants. Elle préconise ainsi la révision des nomenclatures des actes médicaux, qui sont obsolètes et déconnectées des coûts ; le déploiement de forfaits de rémunération des soins médicaux pour les patients affectés par des maladies chroniques afin de remédier aux effets inflationnistes du paiement à l'acte ; enfin, la mise en place d'un conventionnement sélectif des médecins spécialistes – dans les zones surdotées, seuls des spécialistes de secteur 1 devraient pouvoir s'installer afin de permettre d'y recréer une offre de soins financièrement abordable.

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