Intervention de Nicole Belloubet

Séance en hémicycle du vendredi 23 novembre 2018 à 9h30
Programmation 2018-2022 et réforme de la justice — Article 32

Nicole Belloubet, garde des sceaux, ministre de la justice :

Mon avis est également défavorable. Telle qu'elle est prévue, la perquisition est juridiquement encadrée et entourée de garanties. Elle ne peut être réalisée qu'au domicile de personnes suspectées d'avoir commis une infraction ou de détenir des éléments relatifs aux faits reprochés.

En préliminaire, elle ne peut être effectuée qu'avec le consentement de la personne concernée ou, à défaut, avec l'autorisation d'un juge aux fonctions spécialisées : le juge des libertés et de la détention.

Par ailleurs, si la personne suspectée doit être entendue sur les faits reprochés lors d'une perquisition, elle a le droit, quel que soit le cadre – garde à vue ou audition libre – d'être assistée par un avocat.

Enfin, il suffit de lire l'article pour s'en convaincre, la validité des perquisitions peut être contestée dans le cadre d'un recours formé par la personne poursuivie. Le projet de loi ne remet en cause aucune de ces garanties concernant les auditions et les perquisitions.

La seule modification qu'il opère consiste à permettre au JLD d'autoriser des perquisitions pour les infractions punies de trois ans d'emprisonnement, au lieu de cinq actuellement. Le projet de loi offre même une garantie supplémentaire aux personnes concernées, puisqu'il reconnaît désormais aux personnes non poursuivies le droit de contester la légalité et la régularité d'une perquisition.

Ainsi, prévoir, comme le Sénat l'a voté, et comme vous le proposez, monsieur Bernalicis, le droit d'être assisté par un avocat lors de toute perquisition, qu'elle soit réalisée dans le cadre d'une enquête de flagrance ou d'une enquête préliminaire, ne me semble absolument pas justifié par la modification qu'opère le projet de loi.

Rendre obligatoire la présence de l'avocat en perquisition n'est pas non plus exigé par l'évolution du droit, comme l'a indiqué M. le rapporteur. Cela n'est pas imposé par les exigences européennes, plus particulièrement par une directive de 2013 qui circonscrit le droit d'être assisté par un avocat aux auditions et aux opérations de reconstitution et de tapissage.

Ainsi, la consécration du droit à l'avocat lors la perquisition ne peut pas être comparée à la consécration par la loi de 2016 du droit à l'avocat lors de séances d'identification des suspects et de reconstitution qui, elles, étaient imposées par les exigences européennes.

De même, la comparaison avec l'intervention de l'avocat lors des perquisitions par les autorités administratives – douane, administration fiscale, autorité de la concurrence – n'a pas lieu d'être. À ce jour, en effet, la faculté d'être assisté d'un conseil lors de ces visites n'est prévue presque exclusivement qu'en matière de police administrative, non de police judiciaire. Par ailleurs, elle ne s'applique qu'aux visites autorisées par un juge, ce qui, en matière de police judiciaire, correspondrait donc au seul cas des enquêtes préliminaires, à l'exclusion des enquêtes en flagrance. Enfin, l'exercice de cette faculté n'est jamais suspensif de l'exécution de la visite.

Le dispositif proposé constituerait donc une complication majeure de la procédure pénale, qui serait en réalité très difficile à mettre en pratique et qui risquerait de nuire aux nécessités de l'enquête, voire de mettre en danger la sécurité des forces de l'ordre et de l'avocat.

Le succès d'une perquisition repose très largement sur l'effet de surprise, la prévention de tout risque de fuite et l'impossibilité pour la personne suspectée de faire disparaître des éléments probatoires avant la perquisition. Anticiper une perquisition en prévenant l'avocat risquerait de porter atteinte à l'efficacité de cette mesure d'enquête.

En outre, la poursuite, dans certains cas, de plusieurs cibles et objectifs de perquisition par plusieurs enquêteurs agissant sur plusieurs lieux simultanément, pose la question de la présence de l'avocat lors de ces différentes interventions. Faudra-t-il convoquer en amont les avocats de permanence ou attendre que le mis en cause désigne un ou plusieurs avocats ? En pratique, cela risque d'être difficile.

Dans ces conditions, je crains que rendre obligatoire la présence de l'avocat en perquisition ne ralentisse le temps de l'enquête, déjà très contraint, n'augmente encore les formalités procédurales pesant sur les enquêteurs, n'aggrave le risque de déperdition de preuves et ne compromette la sécurité tant des forces de l'ordre que de l'avocat, sans que puisse être garantie la certitude que la perquisition ainsi réalisée sera moins contestée du fait de la présence de l'avocat.

Autant de raisons qui me conduisent à m'opposer à l'amendement.

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