Intervention de Jean-Louis Touraine

Réunion du mercredi 7 novembre 2018 à 12h40
Mission d'information sur la révision de la loi relative à la bioéthique

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Louis Touraine, rapporteur :

Merci infiniment pour toutes ces explications, ainsi que pour le rapport précédemment fourni.

Nous disposons en France de l'une des plus grandes bases de données de santé, grâce à notre système d'assurance maladie et à nos hôpitaux publics. Pour autant, l'utilisation en est pour l'instant incomplète et parfois un peu faible. Prenons l'exemple de l'épidémiologie : on voit bien actuellement comment les malformations, telles que celles des nouveaux-nés sans bras, ne sont pas identifiées en temps réel et d'une façon satisfaisante. Nous avons toutes les données, mais leur exploitation laisse à désirer. À quoi peut-on attribuer cela selon vous ? Est-ce dû à des moyens financiers insuffisants ? À une volonté trop peu affirmée ? Comment aller plus vite dans ce domaine et faire en sorte que la France conserve une place dans la compétition internationale ? La question des moyens financiers est, selon moi, centrale. Comment faire comprendre que l'investissement trouvera très rapidement sa propre rentabilité ? J'en suis convaincu, mais encore faut-il le démontrer pour que les montants nécessaires soient dévolus à cette utilisation des données de santé.

Il est également important que la confidentialité soit assurée, particulièrement pour les données de santé. Néanmoins, on n'empêchera pas que des personnes puissent s'introduire dans tel ou tel système. La meilleure formule n'est-elle pas de mettre en place une dissuasion, par l'intermédiaire de pénalités importantes visant ceux qui – employeurs, assureurs, que sais-je encore ? – voudraient utiliser de façon inopportune des données confidentielles personnelles ?

D'aucuns s'inquiètent de l'utilisation commerciale des données dès aujourd'hui. Il n'est pas rare de recevoir des publicités ciblées, nous proposant des objets connectés dont nous n'avons pas forcément besoin, correspondant précisément aux pathologies qui nous concernent, aux achats que nous avons faits précédemment, etc. Tous ces envois sont très personnalisés, ce qui signifie qu'il existe des fuites dans les différents circuits, qui permettent à des sociétés commerciales d'utiliser nos données. Comment contrôler cela ?

A également été évoqué le fait que, pour les patients, les prédictions émanant notamment des données génétiques étaient susceptibles de générer des craintes vis-à-vis de ce qui pourrait arriver. Or l'espèce humaine est mortelle. Quel risque pire que la mort encourons-nous ? Je ne suis pas sûr qu'il en existe de plus considérable. Ce risque nous est connu, même s'il faudrait peut-être, dans nos civilisations, que chacun en ait davantage conscience. Pour le reste, il n'est pas mauvais de savoir à l'avance certains des risques que l'on encourt, car cela permet d'adapter son comportement. Celui qui, par exemple, risque de développer une hypertension consommera moins de sel et fera de l'exercice physique. Celle qui a des gènes prédisposant au cancer du sein fera des mammographies plus fréquentes, sera traitée plus tôt et guérira. Il existe certes une part de crainte, mais aussi un bénéfice à tirer de ces prédictions. Il faut donc évaluer les deux pour savoir ce qu'il est opportun de révéler aux personnes et ce qui conduirait à nourrir des craintes inutiles. Comment trouver le moyen terme entre l'attitude américaine consistant à livrer indistinctement toute l'information disponible au motif qu'elle appartient à l'individu, et l'attitude française consistant à ne rien révéler afin d'éviter que les gens soient dans l'inquiétude, quitte à ce que certains fassent séquencer leur génome à l'étranger et se retrouvent seuls face à des données qu'ils ne comprennent pas ?

Ma dernière question reprend le point développé sur le comité d'éthique, spécifique à l'intelligence artificielle, distinct du CCNE même s'il émerge à partir de celui-ci en tirant expérience de son savoir-faire. Je suis tout à fait favorable à cette idée, mais ne serait-il pas intéressant, au-delà de l'application de l'intelligence artificielle à l'humain, d'en étendre le champ au reste du monde vivant ? De plus en plus, en effet, les autres espèces vivantes, l'environnement lui-même, vont bénéficier de l'utilisation de l'intelligence artificielle. Là encore, des questions éthiques se posent, vis-à-vis de telle espèce en voie de disparition et de la biodiversité en général. Quel est votre sentiment sur ce point ?

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