Intervention de Nathalie Elimas

Réunion du mercredi 21 novembre 2018 à 9h30
Commission des affaires sociales

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaNathalie Elimas, rapporteure :

Avant de vous présenter cette proposition de loi, je voudrais associer à nos travaux Michel Lauzzana, ici présent, avec qui j'ai l'honneur de coprésider le groupe d'études sur le cancer.

Quelque 1 750 enfants et près de 800 adolescents sont touchés chaque année par un cancer dans notre pays. La moitié d'entre eux le sont avant l'âge de cinq ans, et 500 en décèdent. En Europe, un cancer est diagnostiqué chaque année à 35 000 enfants et adolescents, et l'on compte quelque 6 000 décès. En France comme en Europe, les cancers pédiatriques représentent la première cause de mortalité des enfants par maladie, et la deuxième après les accidents.

Au regard des 400 000 nouveaux cas de cancer et des 150 000 décès dénombrés chaque année en France, les cancers pédiatriques sont pourtant considérés comme des maladies rares. Ils sont rares par leur nombre car cela représente peu de cas par rapport aux cancers de l'adulte, même si chaque enfant malade est un drame, mais aussi par les caractéristiques de la maladie.

En effet, les cancers de l'enfant – on en compte plus d'une soixantaine – sont très différents de ceux de l'adulte : un tiers des cancers pédiatriques n'existent pas chez les adultes et, inversement, plus de 80 % des cancers de l'adulte ne se retrouvent pas en pédiatrie. Les cancers de l'enfant sont principalement des leucémies, des tumeurs du système nerveux central, des lymphomes et des neuroblastomes, qui peuvent se développer très tôt, de manière très agressive, sur une période courte. Certains cas se rencontrent presque uniquement chez les enfants de moins de cinq ans, d'autres plutôt chez les jeunes adolescents. Les cancers du poumon, du tube digestif, du sein ou de la prostate sont en revanche inconnus chez les enfants et les adolescents, qui n'ont évidemment pas été exposés longtemps à des substances cancérogènes comme le tabac et l'alcool ou à de mauvais régimes alimentaires. À la différence des cancers des adultes, ce n'est donc pas grâce à des politiques de prévention comportementales que l'on peut réduire la prévalence du cancer pédiatrique.

Pour bien introduire le sujet qui nous réunit ce matin, on doit aller au-delà de ces données brutes, qui sont épouvantables. Il faut également savoir que la qualité de vie des enfants souffrant du cancer est souvent lourdement affectée, et parfois pour le restant de leur vie.

Il y a bien sûr l'épée de Damoclès du risque de rechute, qui est de l'ordre de 35 %. Mais il y a aussi la dureté des traitements, qui ont parfois d'importants effets invalidants. Chacun des soixante cancers que j'ai évoqués est, à lui seul, une maladie rare pour laquelle il n'existe pas de traitement propre, faute de recherche spécifique.

En effet, les chimiothérapies utilisées en oncopédiatrie ont pour l'essentiel été développées pour les adultes, et les médecins les adaptent en fonction de l'âge et du poids. Si les taux de survie des enfants et des adolescents sont depuis quelques années d'environ 80 %, cinq ans après le diagnostic – contre 50 % pour l'adulte –, nombre d'entre eux vivent ensuite avec des séquelles parfois majeures, si ce n'est des handicaps à vie, du fait des effets secondaires des médicaments. Très nombreux sont les adultes qui, ayant été traités pour un cancer pédiatrique, souffrent d'affections chroniques graves et invalidantes – des affections pulmonaires, auditives, endocriniennes et reproductives, cardiaques ou neurocognitives – qui traduisent un vieillissement prématuré dû aux traitements reçus.

On comprend donc le plaidoyer inlassable des associations de parents pour que des moyens importants soient consacrés à des recherches permettant de développer des traitements spécifiques pour les enfants. Ces associations estiment que les efforts actuels restent insuffisants et que les avancées significatives de la lutte anti-cancer de ces dernières années n'ont que très peu bénéficié aux enfants : ils n'ont pas encore accès aux thérapies innovantes comme ils le devraient.

D'autres problématiques sont au coeur de l'oncopédiatrie. Elles sont notamment relatives à la prise en charge des enfants et des adolescents, et à leur accompagnement, en tout premier lieu dans le cadre des soins qu'ils reçoivent, mais aussi en vue de l'après-cancer et de la préparation de leur avenir. Il y a aussi la problématique des familles et du soutien psychologique et social qu'elles doivent recevoir. En effet, le cancer d'un enfant est un traumatisme pour son entourage immédiat, et il se traduit fréquemment par des pertes de revenus importantes à long terme lorsque l'un des parents doit arrêter de travailler pour s'occuper de l'enfant. Ces questions supposent notamment qu'une attention particulière soit portée à la formation de l'ensemble des professionnels qui interviennent dans le champ de l'oncopédiatrie.

L'ambition de cette proposition de loi est d'améliorer la prise en charge des cancers pédiatriques grâce une approche globale et cohérente, permettant d'aborder de front les aspects complémentaires que je viens d'évoquer.

Avant de détailler le contenu des cinq articles du texte, je voudrais souligner que j'ai entendu ces dernières semaines un très grand nombre d'acteurs afin de préparer mon rapport : des associations de parents, bien sûr, des professionnels de santé – des oncologues, médecins, spécialistes de la douleur, infirmiers et psychologues –, des institutions et des administrations, comme l'Institut national du cancer (INCa), le Conseil de l'ordre des médecins, la direction de la sécurité sociale, la Caisse nationale des allocations familiales (CNAF), la direction générale de l'offre de soins, le ministère du travail et celui de la santé, ainsi que le secteur de l'assurance et le patronat. Ces auditions et les contributions que j'ai reçues m'ont permis d'affiner mon analyse et de vous proposer quelques amendements que je défendrai tout à l'heure.

En ce qui concerne l'article 1er, relatif à la recherche, il ne s'agit évidemment pas de laisser penser que rien n'a été fait, ou n'est fait, en matière de recherche en cancérologie pédiatrique. Il faut souligner, au contraire, que la recherche contre le cancer est majeure dans notre pays.

L'INCa coordonne le dispositif national, auquel participent de très nombreuses institutions et de très nombreux acteurs privés – des organismes de recherche, des universités, des associations caritatives et des industries. La France est très bien placée au niveau européen et international, notamment en termes de publications, et elle mène une politique innovante qui est remarquée et parfois dupliquée par nos voisins. Je pense en particulier au programme AcSé-eSMART, dédié aux enfants, qui vise à doubler en deux ans le nombre de nouveaux médicaments qui leur sont proposés. Inventé par notre pays, ce programme est aujourd'hui repris aux Pays-Bas et il sera prochainement développé au Royaume-Uni, en Allemagne, en Espagne et en Italie. Un autre exemple est l'appel à projets qui a été lancé en 2016 dans le cadre d'un Programme d'actions intégrées de recherche (PAIR) relatif aux cancers pédiatriques, et qui se traduit par trois projets de recherche importants. Je pourrais aussi vous parler des Centres labellisés INCa de phase précoce (CLIP) qui sont dédiés aux cancers pédiatriques.

Tout cela est important, bien sûr, mais les progrès restent lents. Pour certains cancers pédiatriques, on ne note ainsi aucune avancée depuis plusieurs années. Nous n'allons pas refaire ce matin le débat qui a eu lieu en séance dans la nuit de mardi dernier entre la recherche fondamentale et la recherche spécifique, car elles ne s'opposent pas : elles se complètent, au contraire, et se renforcent mutuellement. J'ai en revanche retenu de mes auditions qu'il y a un réel besoin, fortement exprimé par les parties prenantes, les chercheurs, les associations de parents et l'INCa lui-même, de renforcer la coordination de la recherche. Les financements sont perçus comme trop fragmentés et manquant de visibilité à moyen terme : une stratégie nationale est aujourd'hui considérée comme indispensable.

En conséquence, la proposition de loi vise à renforcer le rôle dévolu à l'INCa dans ce domaine, et je vous présenterai tout à l'heure un amendement tendant à réécrire l'article 1er afin de tenir compte des nombreuses suggestions qui ont été formulées lors des auditions.

L'article 2 de la proposition de loi a également trait à la recherche, non plus dans le cadre d'une approche stratégique ou politique, mais réellement pratique.

Le développement d'une offre de soins adaptée aux enfants et d'innovations thérapeutiques qui leur sont destinées constitue, je l'ai dit, un enjeu majeur qui contribuera grandement à améliorer la qualité de vie des malades durant tout leur traitement, mais aussi celle des anciens patients, guéris, et à réduire les séquelles handicapantes dont ils souffrent.

Les avancées à réaliser passent en partie par la recherche clinique, ce qui nous renvoie à un sujet dont nous avons discuté il y a quelques semaines lors de l'examen d'une proposition de loi défendue par Cyrille Isaac-Sibille au nom du groupe du Mouvement Démocrate et apparentés, qui vient d'être promulguée, à savoir les comités de protection des personnes (CPP).

Vous le savez, les essais cliniques auxquels peuvent participer les enfants et les adolescents sont strictement encadrés. C'est une excellente chose. Dans les faits, néanmoins, les CPP sont fréquemment réticents à autoriser les recherches cliniques sur des enfants. Cela tient, de l'avis de tous les acteurs rencontrés, à une prudence excessive qui est due à une méconnaissance des problématiques. Notre collègue Isaac-Sibille a ainsi évoqué le très faible nombre de pédiatres dans les CPP, et cela vaut aussi pour les oncologues. Il résulte de cette situation des refus, des retards dans les essais et, consécutivement, des pertes de chance pour les jeunes patients. Certes, la réforme relative au tirage au sort des CPP que nous venons d'adopter devrait améliorer considérablement la situation, mais tant que les CPP seront en grande difficulté pour recruter des pédiatres et des oncologues, je pense que la situation actuelle perdurera.

L'article 2 a pour objet de desserrer le blocage et de permettre, chaque fois que c'est scientifiquement justifié, qu'une recherche clinique soit entreprise, sans que les règles de consentement des parents soient modifiées, bien sûr. L'article 2 permettra aussi aux enfants, lorsque c'est pertinent, de recevoir des traitements innovants dans le cadre des essais cliniques afin d'éviter toute perte de chance face à des cancers pour le moment incurables.

Avec l'article 3, nous abordons un autre chapitre, qui est celui de l'accompagnement des jeunes patients et de leur famille.

Actuellement, les parents d'un enfant atteint d'une maladie ou d'un handicap d'une particulière gravité, rendant indispensables une présence soutenue et des soins contraignants, ont droit à un congé de présence parentale d'une durée de 310 jours, fractionnable sur une période de trois ans et renouvelable une fois. En parallèle, les parents peuvent bénéficier d'une allocation journalière de présence parentale (AJPP), de même durée, qui permet de compenser en partie la perte de salaire subie durant la maladie de l'enfant.

Avec l'expérience, cette prestation paraît inadaptée au cas des enfants cancéreux : la durée de 310 jours, quand bien même elle est renouvelée, est fréquemment insuffisante. En outre, la prestation étant conditionnée à l'avis favorable du contrôle médical, il n'est pas rare que son renouvellement soit refusé. En 2014, Agnès Buzyn, qui était alors présidente de l'INCa, s'était émue auprès du directeur de la CNAF de la lourdeur des procédures, des retards et des situations parfois très préjudiciables pour les familles, notamment modestes, qui en résultaient. Or, la situation ne semble pas s'être vraiment améliorée.

L'article 3 de la proposition de loi vise à déplafonner le dispositif afin de permettre de s'adapter au réel et de couvrir les pathologies dans leur intégralité. Elles peuvent parfois durer bien plus longtemps, certains enfants connaissant malheureusement des rechutes pendant des années – on nous a dit qu'il pouvait y avoir jusqu'à une dizaine de rechutes.

J'en viens à l'article 4. Une prise en charge de qualité dès le diagnostic, une attention particulière à la douleur, mais aussi un accompagnement des enfants et des familles, notamment sur le plan psychologique, font partie des questions essentielles que le troisième plan Cancer a mises en exergue à juste titre. Il semble néanmoins qu'il y ait un véritable abîme entre les intentions affichées et la réalité. Les psychologues, les infirmiers, les spécialistes de la douleur et les familles que j'ai interrogés ont été unanimes sur ce point : ce sont des dimensions que l'on peut considérer comme absentes, ou en tout cas comme très insuffisamment prises en compte.

À l'institut Gustave Roussy, par exemple, c'est pour l'essentiel un financement associatif qui prend en charge le suivi psychologique des patients et des familles. Une consultation psychologique y est systématiquement proposée, mais cette démarche fait figure d'exception. Si l'on se place au niveau européen, les études d'infirmiers en France font par ailleurs partie des formations où la pédiatrie est la moins développée dans le référentiel pédagogique, au point qu'il est possible d'exercer sans justifier d'une durée minimale d'expérience spécifique auprès des enfants, y compris dans un service d'oncopédiatrie. Le traitement de la douleur, non seulement due à la maladie mais aussi aux soins, ce qui est un sujet crucial du cancer, est également très peu présent, et tend même à disparaître, alors que c'est une des conditions clefs du succès.

L'article 4 a pour objet de faire en sorte que des formations soient dispensées sur ces thématiques dans le cadre de la formation continue pour les professionnels de santé qui interviennent en oncologie pédiatrique. Même si cela ne résoudra pas la question des moyens consacrés à ces sujets, cela pourra contribuer à améliorer la situation.

Enfin, le dernier article de la proposition de loi vise à renforcer le droit à l'oubli. Les anciens malades du cancer peuvent en bénéficier dix ans après la fin de leur traitement, en l'absence de rechute, et ils n'ont ainsi plus de déclaration à faire lorsqu'ils sollicitent un prêt, notamment immobilier ou professionnel. Le délai est ramené à cinq ans lorsque le cancer a été diagnostiqué avant les 18 ans de l'intéressé.

Ces dispositions sont intéressantes et très utiles. Elles gagneraient toutefois à être améliorées, et ce n'est sans doute pas un hasard si le Président de la République, Emmanuel Macron, en avait fait une promesse de campagne : il s'était engagé à ramener le droit à l'oubli à cinq ans pour tous. Ma proposition est plus modeste, je l'admets, puisqu'elle vise à porter de 18 à 21 ans l'âge auquel le droit à l'oubli est acquis au bout de cinq ans. Cela permettra à des jeunes de débuter dans la vie active sans avoir à supporter trop longtemps les stigmates de leur ancienne maladie.

Cette mesure ne concernera qu'un nombre restreint de personnes : 900 cancers se déclarent chaque année dans la tranche d'âge des 18-21 ans, ce qui devrait avoir un très faible impact pour les assureurs, au vu des statistiques dont nous disposons à propos du dispositif actuel. Sur les 900 cas annuels, seuls celles et ceux qui ont recours à un prêt seront concernés.

Telles sont, madame la présidente, mes chers collègues, les dispositions de la proposition de loi. Je crois qu'elles sont de nature à améliorer le quotidien, difficile, d'un grand nombre de patients et d'anciens patients, et celui de leur entourage proche. C'est en tout cas son ambition.

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