Les coopérations seront ouvertes à tous, avec pour seul critère le niveau d'ambition partagée. Le Président de la République a d'ailleurs proposé de réunir au sein d'un « groupe de la refondation européenne » tous les États membres qui partagent cette vision afin de définir les mesures qui traduiront concrètement cette ambition à l'horizon 2024. Je dois dire que l'accueil réservé à nos propositions par nos partenaires, lors du sommet des chefs d'État et de gouvernement à Tallinn, est positif, en lien avec les propositions faites par le président de la Commission Jean-Claude Juncker lors de son discours sur l'état de l'Union. Sur la base de ces premières discussions, le président du Conseil, Donald Tusk, a été chargé de présenter une feuille de route dans les prochaines semaines pour organiser cet exercice collectif de refondation.
Pour avancer, l'Allemagne, sera notre partenaire majeur. Vous le savez, la République fédérale est entrée dans une période de négociation du contrat de coalition sous l'égide d'Angela Merkel. Je tiens d'ailleurs à souligner devant la représentation nationale la qualité des relations qui se sont nouées entre les ministres allemands et les membres du Gouvernement ces dernières années. Cette relation de confiance est importante et c'est sur cette base politique et relationnelle que nous pourrons porter le projet politique européen. Cela est d'autant plus important que les élections allemandes avec, notamment, le score élevé de l'extrême droite, ont révélé que le scepticisme, voire le rejet de l'Europe, étaient également un risque outre-Rhin. La meilleure réponse sera apportée par l'action conjointe d'Angela Merkel et d'Emmanuel Macron pour permettre à l'Europe de progresser en souveraineté et, ainsi, de relever les grands défis qui nous font face, dans la solidarité.
Nous avons été ensemble le moteur de l'Europe par le passé ; nous le serons encore demain. Le Président de la République a souhaité l'élaboration d'un nouveau traité de l'Élysée qui pourrait être le creuset du futur projet européen.
L'unité de l'Europe doit aussi se manifester face à la crise migratoire. Ce drame exige la solidarité des pays européens : solidarité, s'agissant de l'accueil et du droit d'asile, mais solidarité aussi dans l'aide à apporter aux pays de départ et de transit de celles et ceux qui risquent leur vie pour rejoindre l'Europe.
C'est dans ce but que le Président de la République a réuni à Paris, le 28 août dernier, ses homologues allemand, espagnol, tchadien, nigérien ainsi que la Haute représentante, Mme Mogherini. C'est aussi le sens des mesures concrètes que le Président a exposées dans son discours de la Sorbonne : je pense à la mise en place d'un véritable Office européen de l'asile pour harmoniser les procédures ou encore à la création d'une police aux frontières européenne. Sur ce sujet comme sur d'autres, l'exigence de solidarité européenne repose sur un équilibre, une réciprocité entre les droits et les obligations. La cohésion entre les États, la cohérence du projet européen comme sa légitimité passent par ce nécessaire équilibre.
L'unité de l'Europe passe également par une convergence sociale et fiscale accrue. Jacques Delors a coutume de dire que le modèle économique européen doit se fonder sur trois principes : la concurrence qui stimule, la coopération qui renforce et la solidarité qui unit. Force est de reconnaître que l'Union européenne a davantage avancé sur le premier volet que sur les deux autres. Or il est fondamental de préserver un équilibre pour que les États membres convergent économiquement et socialement, et le fassent vers le haut. C'est ce que nous demandent nos concitoyens – je pense notamment au travail détaché. Je sais que ce sujet mobilise l'attention et le travail du Parlement. La directive actuelle n'est satisfaisante pour personne : ni pour les travailleurs français, qui font face à une concurrence déloyale par le dumping aux cotisations, ni pour les travailleurs étrangers dont les conditions de vie et de travail sont souvent insuffisamment protectrices, ni pour leurs pays d'origine qui souffrent d'une insuffisance de main-d'oeuvre qualifiée.
L'ensemble des ministres concernés par ce dossier est mobilisé avec une méthode claire : parler à tous, écouter nos partenaires, notamment les pays d'Europe centrale et orientale, afin de dégager des convergences avec le plus grand nombre d'entre eux.
J'ajoute que la convergence sociale passe aussi par la définition d'un socle minimal de droits sociaux européens. Il est indispensable d'atteindre cet objectif, et le Président de la République participera à un sommet en Suède, le 17 novembre, pour avancer sur cette question majeure.
Parvenir à une convergence des niveaux de développement, c'est aussi le but du Fonds de cohésion, qui bénéficie aux États membres les plus éloignés du niveau moyen de développement en Europe. Il s'agit d'un outil puissant et nécessaire pour minimiser les disparités entre les régions, ce qui profite à la croissance collective. C'est ce même objectif de minimiser les disparités au sein de l'Union qui guide l'affectation des fonds structurels. Comme vous le savez, la France bénéficie, sur la période 2014-2020, de 27 milliards d'euros au titre du Fonds européen de développement régional, du Fonds social européen, du Fonds européen agricole pour le développement rural et du Fonds européen pour les affaires maritimes et la pêche. Les élus locaux, départementaux et régionaux savent l'importance de ce soutien européen à notre politique de cohésion économique, sociale et territoriale.
Sur le terrain économique, la condition de l'unité européenne, c'est, bien sûr, le marché unique. L'objectif est aujourd'hui de progresser en matière d'union économique et monétaire en poursuivant l'établissement de l'Union des marchés de capitaux, afin de stimuler la croissance par l'investissement et l'innovation. De même, les discussions se poursuivent sur l'achèvement de l'Union bancaire, avec la mise en place d'un système européen de garantie des dépôts.
Plus généralement, nous devons faire de l'Europe une véritable puissance économique et monétaire. C'est pour cette raison que le Gouvernement a une ambition forte pour la zone euro. Nous souhaitons la renforcer pour qu'elle puisse, tout d'abord, mieux garantir ses membres contre les crises financières lorsque c'est nécessaire. La proposition du Président de la République de créer un budget de la zone euro constitue un objectif pragmatique au service de cette ambition.
Le renforcement de la zone euro nécessitera également d'inventer une gouvernance adaptée, avec un ministre commun et un contrôle parlementaire au niveau européen, devant lequel il devra rendre des comptes. Mais, plus encore que d'une gouvernance, nous aurons besoin de définir les grandes orientations économiques et politiques de la zone euro, pour lui permettre de s'affirmer comme une puissance économique mondiale capable de défendre les intérêts des États membres.
Cette exigence de protection, c'est le deuxième élément qui définit aujourd'hui notre ambition d'une Europe souveraine. Le souci de protection est inhérent au projet européen, y compris dans ses politiques les plus anciennes et les plus emblématiques. En effet, quelle était la préoccupation des Européens en instituant la politique agricole commune – PAC ? La protection du revenu des agriculteurs, la sécurité alimentaire et la protection des consommateurs. À ces objectifs historiques se sont ajoutés la protection de l'environnement et le développement rural. Nous devons, dans le cadre d'une PAC rénovée, nous assurer que ces exigences essentielles seront encore mieux respectées, pour que notre agriculture assure un niveau de vie décent aux producteurs et pour que les consommateurs accèdent à des produits agricoles de qualité et à un juste prix.
Ne tombons pas dans la caricature d'une Union européenne qui ne serait guidée que par les forces du marché et qui oublierait de protéger ses citoyens les plus fragiles. Le Fonds européen d'aide aux plus démunis permet à la France de recevoir, sur la période 2014-2020, 500 millions d'euros pour la fourniture d'aide alimentaire aux plus démunis. Cela représente, pour les associations qui agissent dans ce domaine, un quart de leurs frais et un quart de leur mobilisation.
Mais, dans une mondialisation aujourd'hui perturbée par la concurrence entre grands blocs économiques et les tentations isolationnistes, une Europe qui protège, c'est aussi une Europe qui cesse d'être naïve dans le domaine commercial. Nous progressons sur ce sujet et je veux, à cet égard, saluer la décision du Conseil européen de se doter d'une nouvelle méthode de calcul des distorsions de marché résultant de l'intervention de l'État dans les pays tiers. S'agissant de la lutte contre la concurrence commerciale déloyale, nous veillerons à ce que la Commission fasse plein usage de ce nouvel instrument anti-dumping en vue, prioritairement, de défendre l'industrie européenne.
Plus largement, nous devons refonder la politique commerciale européenne. Les négociations commerciales ne peuvent plus être menées portes fermées ; elles doivent être transparentes. Elles ne peuvent plus concerner seulement les tarifs et les tonnages, mais garantir pleinement le respect des normes sanitaires et environnementales, et contribuer à la lutte contre le dérèglement climatique.
Oui, je le dis devant votre assemblée, demain, les accords devront être plus complets que ne l'est le CETA. Comprenons-nous bien : cet accord reste à nos yeux un bon accord…