Intervention de Constance Le Grip

Séance en hémicycle du mardi 10 octobre 2017 à 15h00
Déclaration du gouvernement suivie d'un débat sur l'avenir de l'union européenne

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaConstance Le Grip :

Le Président Macron a livré deux longs discours sur l'Europe, l'un à la Pnyx, à Athènes, début septembre, l'autre, plus récemment, à la Sorbonne. Il nous a donné à la fois sa vision de l'Europe et a formulé plusieurs dizaines de propositions, sur un ton parfois très lyrique. Permettez-moi de souligner que je suis de ceux qui se réjouissent que la France soit à nouveau à l'initiative, qu'elle soit capable de se faire entendre sur la scène européenne, qu'elle formule des propositions et promeuve des idées.

J'ai assez déploré, tout au long du quinquennat précédent, la faiblesse de l'exécutif français, son incapacité à être audible, à proposer des idées et des projets précis, pour ne pas reconnaître ce retour de la France en Europe et la capacité de nos autorités à se faire entendre.

Tout au plus aurais-je envie de rappeler que l'Europe n'est pas, selon la formule consacrée, « la France en grand ». Une règle presque aussi ancienne que la construction européenne veut que la France – souvent à la manoeuvre – , n'avance jamais seule sans s'être assurée au préalable du soutien de ses principaux partenaires, au premier rang desquels l'Allemagne.

Manifestement, cela n'a pas été le cas pour le discours du président Macron à la Sorbonne, feu d'artifice de propositions tous azimuts, prononcé tout juste deux jours après les élections législatives allemandes – dont on voit bien que le résultat pourrait retarder le processus décisionnel allemand, voire le compliquer. Mais l'essentiel n'est pas là.

L'heure est venue de réinventer l'Europe, de la refonder. Certes, la refondation, terme fort s'il en est, n'est pas l'apanage du président Macron. D'autres, sur la scène politique française, comme ailleurs en Europe, ont porté cette volonté. Incontestablement, nous ne pouvons plus continuer comme si de rien n'était. Pression migratoire sans précédent, Brexit, terrorisme islamiste, poussée de l'indépendantisme catalan, isolationnisme américain, changement climatique, euroscepticisme, déplacement du centre de gravité géopolitique, réveil de certaines puissances hégémoniques sur le continent européen, mondialisation : les défis que nous avons à affronter sont énormes, et nous voyons bien que c'est seulement à l'échelle de l'Union européenne que nous pourrons le faire de façon sérieuse et utile.

Je le disais tout à l'heure, c'est un véritable feu d'artifice de propositions qu'a tiré tous azimuts le Président de la République dans ses derniers discours. Il ne m'est pas possible de les citer ni de les commenter toutes. Certaines reprennent des projets ou des chantiers déjà bien engagés, d'autres reposent sur des textes européens dont la discussion a déjà commencé, d'autres projettent d'aller encore plus loin et plus vite que ce qui est pour l'heure prévu, ce qui peut être une bonne chose.

Prenons garde toutefois à ne pas céder à la tentation de répondre à chaque défi par l'annonce d'une nouvelle structure ou agence européenne. Essayons déjà de faire fonctionner correctement ce qui existe, n'aggravons pas la bureaucratie.

Que le Président de la République évoque la souveraineté européenne est intéressant et audacieux. Je reprendrai ici deux des six clés de souveraineté qu'il a citées.

Commençons par celle de la défense. Force commune d'intervention, budget de défense commune, doctrine commune pour agir : tels sont les principaux instruments qu'il a avancés. Mais, vous le savez mieux que quiconque ici, monsieur le ministre, la défense est avant tout au service d'une politique étrangère, et donc d'une politique étrangère commune. Faute d'une appréciation commune des enjeux de sécurité et de puissance, les outils de la défense présentés par le Président de la République pourraient rester dans la boîte à outils.

Pour parvenir à une politique étrangère européenne commune, le discours de la méthode reste à inventer. Ainsi, quel partage de tâches à organiser avec l'OTAN ? Sommes-nous capables de nous préoccuper sérieusement des enjeux de sécurité particulièrement alarmants pour la Pologne et les États-Baltes ? Quel type de relation voulons-nous avec l'Iran ? Tout reste à faire et le discours présidentiel nous laisse sur notre faim.

Autre clé de la souveraineté européenne évoquée par M. Macron : le renforcement de la zone euro. Les députés Les Républicains sont disposés à avancer et à y réfléchir ensemble. Nous l'avons répété à de nombreuses reprises, au cours des campagnes présidentielles de 2012 comme de 2017. Une présidence stable de la zone euro pour une meilleure gouvernance, un secrétaire général faisant office de directeur du Trésor, la transformation du mécanisme européen de solidarité en fonds monétaire européen, tels sont depuis longtemps nos principales propositions.

Bien entendu, la question de la légitimité démocratique d'une zone euro renforcée se pose. Le président stable, permanent, de la zone euro, qui serait également vice-président de la Commission européenne en charge de l'euro, pourrait être responsable devant le Parlement européen, et régulièrement invité à s'exprimer devant la fameuse conférence interparlementaire – cette instance inventée par l'article 13 du Traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance. Nous pourrions beaucoup dire de cette instance, mais en attendant, elle rassemble des représentants des commissions compétentes, tant des parlements nationaux que du Parlement européen. Ce n'est faire injure à personne que de considérer que le fonctionnement et la représentativité de cette conférence interparlementaire gagneraient à être améliorés.

S'agissant du renforcement de la gouvernance de la zone euro, les prochains débats avec notre grand partenaire allemand seront certainement très délicats.

Par-delà la question de la légitimité démocratique d'une zone euro renforcée, que nous appelons de nos voeux, se pose celle de la légitimité démocratique de l'Union européenne. Nous devons tenter de répondre à cet enjeu vital sous peine de voir l'euroscepticisme, le rejet, l'europhobie, le désamour, la désaffection continuer de croître partout en Europe. Des exemples nous ont encore été donnés récemment.

Le Président de la République n'esquive pas ce sujet. Comme lui, et beaucoup d'autres, je considère que l'Union européenne ne peut pas se faire sans les peuples, et surtout pas contre les peuples – ce serait pire que tout.

Mais la réponse apportée par le Président Emmanuel Macron tient en deux pistes, essentiellement : les conventions démocratiques et les listes transnationales. Autant il y a peu à redire des conventions démocratiques – notre groupe serait prêt à participer à l'exercice pour peu que ces conventions soient véritablement démocratiques, ouvertes, et non pas réservées au cénacle des initiés habituels – , autant il en va différemment des listes transnationales, si le projet devait prospérer. Nous y voyons l'archétype même de la fausse bonne idée car les députés européens pourraient perdre tout lien avec le terrain et, faute de se confronter régulièrement à leurs électeurs, devenir des élus « hors-sol ».

Nous ne trancherons pas cet après-midi la question de la future architecture institutionnelle, qui pourrait placer la démocratie en son coeur – Europe à la carte, Europe à plusieurs vitesses, Europe à géométrie variable, coopération renforcée. Tous les schémas, toutes les possibilités, toutes les idées sont sur la table. Notre groupe pense simplement que nous ne pouvons pas faire l'économie d'une réflexion européenne et française sérieuse, approfondie, courageuse, sans aucun tabou. C'est à cet objectif que nous vous appelons.

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