Intervention de Éric Coquerel

Séance en hémicycle du lundi 26 novembre 2018 à 16h05
Projet de loi de finances rectificative pour 2018 — Motion de rejet préalable

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaÉric Coquerel :

En cet endroit feutré, où nous sommes peu nombreux à être présents, je poserai aujourd'hui cette question très simple : quand écouterez-vous le cri du peuple ? Le cri du peuple a résonné contre la loi travail, il a de nouveau résonné contre le nouveau pacte ferroviaire, et il résonne quotidiennement dans les établissements d'hébergement pour personnes âgées – EHPAD – , dans les hôpitaux, et partout où sont appliquées vos politiques d'austérité. De fait, le cri du peuple résonne partout où vous appliquez une politique injuste et inefficace.

À chaque fois qu'une de vos lois est votée, vous poussez un « ouf ! » de soulagement, confondant passage en force avec approbation de votre politique. C'est à croire que vous n'entendez pas les cris de colère qui montent quotidiennement partout en France. Il suffit de prendre les transports en commun ou de discuter dans un café pour le comprendre : les gens ne supportent plus la politique injuste et inefficace que vous mettez en oeuvre. Non seulement ils ne la supportent pas, mais elle est souvent à l'origine de beaucoup de souffrances et même, il faut le dire, de nombreux suicides dans les entreprises publiques. Ce sont ainsi cinquante suicides qui se sont produits l'an dernier à la SNCF !

Vous vous bouchez les oreilles, un peu comme celui qui, sous l'Ancien Régime, passait ses loisirs à réparer des montres tandis que la Révolution montait. Aujourd'hui, le peuple qui crie est de jaune vêtu et, fait inédit, il s'oppose à votre budget. Or, en vous reportant à l'histoire de France, vous verrez que rares sont les mouvements populaires qui se sont levés contre un budget voté par l'Assemblée. Et à chaque fois que le peuple s'est opposé à des taxes injustes, à des avantages toujours plus nombreux, à des privilèges indécents, les mobilisations ont été les plus fortes et ont même parfois été révolutionnaires.

Monsieur le ministre – et à travers vous, je m'adresse au Gouvernement et à M. Macron – , il serait temps que vous entendiez ce cri et que vous y répondiez autrement que par des provocations, des mesures au rabais, le mépris, la répression et la division.

En 2018, le budget a été injuste, accordant l'avantage aux privilèges, avec la suppression de l'ISF et la mise en place de la flat tax, que vient compléter cette année la quasi-suppression de l'exit tax. Il a attaqué le pouvoir d'achat avec la hausse de la contribution sociale généralisée – CSG – et la suppression du crédit d'impôt pour la transition énergétique sur l'isolation des fenêtres. Il a également été terriblement anti-écologique, avec la suppression de près de 2 400 équivalents temps plein – ETP – au ministère de l'écologie sur les deux années 2018 et 2019.

Surtout, comme cela vient d'être dit, il a fait semblant de transcrire une politique écologique qui n'est en réalité qu'une taxation injuste des Français. Non, il n'est pas normal que, sur les 4 milliards d'euros de la taxe carbone, 1 milliard seulement aille à l'écologie et que le restant serve à compenser les cadeaux que furent la suppression de l'impôt de solidarité sur la fortune – ISF – et le crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi – CICE !

Pire, avec le PLFR, vous aggravez ces politiques injustes en prévoyant des coupes budgétaires à hauteur de 2,7 milliards d'euros et des transferts aux collectivités territoriales amputés de 200 millions d'euros supplémentaires par rapport à ce qui avait été annoncé dans le PLF 2018, alors même que les Français souffrent de la sous-traitance de l'austérité aux collectivités territoriales organisée depuis des années.

Avec ce PLFR, vous accordez une rallonge de 453 millions d'euros pour financer la dette et une autre de 738 millions pour les prélèvements sur recettes au profit de l'Union européenne. Vous ne nous fournissez aucune explication. Mais pourquoi faudrait-il donner cet argent à l'Union européenne, plutôt que de le mettre au service des Français, pour favoriser leur pouvoir d'achat et renforcer les services publics ?

Vous amputez de 492 millions d'euros la mission « Travail et emploi », ôtant 300 millions d'euros aux contrats aidés. Vous rendez-vous compte que la suppression des contrats aidés est pour beaucoup dans les troubles qui ont lieu dans de nombreux départements, je pense notamment à La Réunion, circonscription de mon ami Jean-Hugues Ratenon ?

Poursuivons le bilan catastrophique de ce PLFR. Ce PLFR, c'est aussi 130 millions de moins pour la prime à l'embauche dans les petites ou moyennes entreprises – PME – et 200 millions d'euros en moins sur la mission « Écologie, développement et mobilité durables » – 200 millions de moins pour l'écologie et le développement durable ! Je rappelle ce chiffre à tous ceux qui, sur les bancs de l'Assemblée, se permettent de donner des leçons d'écologie aux « gilets jaunes » qui protestent parce qu'ils n'arrivent pas à boucler leurs fins de mois !

Le PLFR prévoit encore d'ôter 200 millions d'euros la mission à la « Recherche et enseignement supérieur ». Pourtant, plusieurs mouvements de chercheurs ont demandé, ces dernières années, que soit sauvée la recherche publique. Certes, ils s'adressaient non à vous mais aux majorités précédentes. Vous avez cependant encore aggravé la situation.

Vous décidez également de réduire drastiquement les plafonds d'emplois autorisés, avec une baisse de 10 800 équivalents temps plein. On observe ainsi une baisse de 3 266 emplois dans l'éducation nationale. Cette évidence arithmétique est à rapporter aux discours de M. Blanquer : il y a, cette année encore, des suppressions d'emplois dans l'enseignement.

Mais il y a aussi 3 327 emplois supprimés dans l'armée, 1 472 dans le ministère des comptes publics et 477 dans le ministère de la transition écologique et solidaire. Voilà le bilan de ce PLFR qui ne fait qu'empirer l'affaiblissement systématique de l'État et la casse de l'État social auxquels vous vous employez depuis un an et demi.

Je voudrais dire aujourd'hui aux « gilet jaunes » et à tous ceux, massivement majoritaires, qui contestent votre politique, quelles sont les mesures d'urgence que propose la France insoumise. Car nous voulons un autre PLFR, qui corresponde à la situation dans laquelle se trouve notre pays. Nous savons que cela n'est pas impossible puisque, l'année dernière, vous avez présenté, au beau milieu de la discussion budgétaire, un PLFR visant la taxe à 3 % sur les dividendes qu'il était, selon vous, urgent de rembourser à ceux qui ont déjà tant.

Nous proposons, contre l'injustice fiscale et les cadeaux aux privilèges, que l'ISF soit rétabli et la flat tax abrogée. Ces mesures rapporteraient immédiatement à notre pays 5 milliards d'euros. Nous nous soucions également de la question du pouvoir d'achat, dont une étude de l'INSEE vient de confirmer ce que nous avançons depuis des années et que vous niez – ce qui, par parenthèse, laisse penser que vous ignorez ce qu'est la réalité de notre pays – : le pouvoir d'achat des Français n'a cessé de baisser depuis dix ans sous les coups des politiques d'austérité successives. Sa baisse s'accélère même depuis un an et demi, alors que le pouvoir d'achat des 1 % de Français les plus riches repart à la hausse.

C'est pourquoi nous demandons une hausse du SMIC et des minima sociaux qui soit au moins du niveau de l'inflation et – c'est notre programme – qui permette d'atteindre le niveau du seuil de pauvreté pour les minima sociaux. Nous demandons aussi l'annulation de la hausse de la CSG. En ce qui concerne l'écologie, qui donne lieu à tant de leçons de votre part, nous vous proposons d'utiliser la fiscalité écologique à des investissements écologiques au lieu de verser au budget de l'État les 4 milliards de taxes sur les carburants.

Mieux encore, nous vous demandons de suspendre ces taxes carbone et de les remplacer immédiatement par une taxe sur le kérosène aérien, qui rapporterait à l'État 3 milliards d'euros. Nous vous proposons une taxation des activités pétrolières des grandes compagnies pétrolières comme Total.

Nous vous proposons de renationaliser les autoroutes. Rendez-vous compte que, cette année, uniquement pour financer la rente des autoroutes, les péages autoroutiers auront été augmentés à deux reprises, l'une en janvier et l'autre actuellement ! Il est insupportable pour les Français de devoir payer les autoroutes, non pas pour mieux les entretenir, mais dans le seul but de favoriser la rente capitaliste des grandes entreprises, qui se partagent non seulement la concession des autoroutes mais également les travaux autoroutiers.

Enfin, nous vous demandons d'annuler les 40 milliards d'euros du CICE. Ce n'est qu'un exemple, voici ce que nous vous proposons d'en faire dès cette année : investir 30 milliards dans l'écologie, à travers le déploiement des énergies renouvelables, la mise en place du pôle public de l'énergie, l'engagement du démantèlement des centrales nucléaires, une nouvelle politique de transition du modèle agricole, avec des subventions aux conversions en bio dans l'objectif d'atteindre 20 % de surfaces bio l'année prochaine, et l'isolation thermique de 700 000 logements par an.

À ces 30 milliards, vous pouvez en ajouter 10 pour l'urgence sociale : rénovation des universités ; construction de logements publics, afin de commencer à résoudre la crise du logement que vous avez accrue avec la loi portant évolution du logement, de l'aménagement et du numérique, dite « ELAN » ; ouverture de 70 000 places en crèches ; mise en place d'un grand plan handicap ; ouverture de 10 000 places en maisons de retraite.

Je vous conseille la lecture de ce contre-budget, dans lequel vous trouverez tous ces chiffres détaillés. Ces 40 milliards d'aides aux entreprises, sans contrepartie, dont une grande part est malheureusement partie dans les dividendes et non dans l'investissement, pourraient bénéficier à une véritable politique écologique, à une véritable politique sociale. Cela favoriserait, évidemment, l'activité des entreprises, qui ont moins besoin de cadeaux financiers que de remplir leurs carnets de commandes. L'État peut, précisément par la mise en oeuvre de solutions écologiques et sociales, alimenter ces carnets de commandes.

Nous vous proposons, en outre – mais peut-être rêvons-nous – , un grand plan de développement du fret ferroviaire, celui-ci ayant été cassé au fur et à mesure que vous avez ouvert la SNCF à la concurrence, au profit de la solution du tout-camion, absolument catastrophique du point de vue écologique. Vous me demandez comment la financer ? Instaurez, aux frontières de la France, une taxe kilométrique qui dépendra du déplacement des poids lourds et permettra de réduire cette gabegie sécuritaire et écologique que constitue le transport par camions.

Voilà les solutions d'urgence que propose La France insoumise ; voilà les solutions d'urgence que nous portons à l'attention et à l'écoute de nos concitoyens, notamment ceux qui se mobilisent depuis des semaines, dont vous minorez le nombre, et qui sont de plus en plus convaincus qu'il faut changer de politique.

Pourquoi, après tout, ne pas entendre ces solutions de la bouche même de ceux qui aujourd'hui manifestent ? L'Élysée serait bien inspiré de recevoir une délégation des gilets jaunes, tout comme nous, à l'Assemblée. Dans nombre de départements commencent à être rédigés des cahiers de doléances – un terme qui rappelle les heures glorieuses de notre histoire. Nous, les représentants du peuple, nous devrions insister pour que des représentants des gilets jaunes viennent devant nous exposer leurs solutions et expliquer ce qu'ils contestent dans la politique actuelle, puisque nous sommes en plein débat budgétaire.

Vous vous êtes mis aujourd'hui dans une impasse, et je ne crois pas que la répression et les postures politiciennes y feront grand-chose. Je crois, monsieur le ministre, que vous seriez bien inspiré d'avoir confiance dans le peuple de France. La solution, c'est toujours le peuple ! Écoutez le cri du peuple ! Et pourquoi, pour une fois, ne ferions-nous pas un projet de loi de finances rectificative citoyen ?

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