Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, si l'Europe est en crise depuis quinze ans, c'est en partie à cause de l'absence de dirigeants nourrissant un véritable projet pour le continent et une véritable vision pour l'Union. Or, le récent discours du Président de la République sur l'avenir de l'Europe et l'intervention ce soir dans cet hémicycle du ministre sont venus largement contredire cette réalité.
Depuis longtemps, nous n'avions pas vu s'exprimer en France, avec autant de force et de courage politique, un projet ambitieux de refondation de l'Europe.
Il n'était que temps, car depuis 2005 et le non français, puis néerlandais à la Constitution européenne, l'Europe n'a connu que des crises : crise économique et financière, crise de l'euro, guerre en Libye, en Syrie, en Ukraine, terrorisme, crise de l'accueil des réfugiés et enfin défiance toujours plus affirmée de nos concitoyens envers l'Union. Cette décennie noire s'est terminée par ce qu'il faut bien appeler un cataclysme : le Brexit, qui a fait vaciller jusqu'aux fondations mêmes de l'Union.
Pourtant, alors que les Cassandre prédisaient la fin du projet européen, force est de constater que nous avons assisté au contraire à un sursaut européen initié en réaction au Brexit, puis renforcé par l'élection de Donald Trump. Le « printemps des populistes » que l'on nous annonçait partout, aux Pays-Bas, en Autriche et en France, n'a pas eu lieu, bien au contraire !
Bien sûr, les antieuropéens sont toujours là, présents également dans cet hémicycle, réclamant main dans la main que le drapeau européen en soit retiré. Mais, que vous le vouliez ou non, mes chers collègues, l'Europe et son drapeau appartiennent profondément à la vie de notre hémicycle et à celle de notre pays. Les Français vous l'ont rappelé avec force lors des dernières élections.
Cette évidence ne doit cependant pas nous aveugler. Le combat en faveur de l'Europe est loin d'être terminé. L'enthousiasme de cette fin d'année 2017 peut être aussi éphémère que le pessimisme et le désespoir qui survinrent au lendemain du Brexit.
Ce que veulent nos concitoyens est clair. Ils plébiscitent l'Europe, mais ne veulent pas la voir perdurer dans son fonctionnement actuel. Ils appellent de leurs voeux une Europe refondée, réformée, qui s'engage, qui avance et qui les écoute, une Europe qui agit contre le changement climatique, qui accompagne les mutations économiques et industrielles, qui résout les flux migratoires et organise l'accueil des réfugiés, qui les protège du terrorisme et soit capable de les mettre à l'abri des désordres du monde grâce à une défense européenne, projet que je soutiens de toutes mes forces.
Le moment est donc venu de sortir de l'état de crise permanent que nous connaissons depuis trop longtemps pour enfin construire l'Europe que souhaitent les Européens. Cela signifie qu'il faut mettre en oeuvre sans tarder des mesures concrètes.
Je pense dans un premier temps à un véritable gouvernement de la zone euro afin que nous puissions orienter l'économie européenne et créer des entreprises européennes qui deviendront demain des moteurs dans le monde, puis à un système européen de droit d'asile afin que nous puissions remplacer le système de Dublin, qui est défaillant, puis à un véritable corps européen de gardes-frontières et de gardes-côtes, pour que prenne fin le drame inacceptable des réfugiés qui meurent en Méditerranée, enfin à une meilleure coopération entre les services de renseignement des États membres pour mieux lutter ensemble contre les menaces terroristes.
M. Mélenchon a remis en cause l'Union européenne de la défense. À mes yeux, ce projet est nécessaire. Il est important que l'Union dispose d'une véritable autonomie stratégique aux côtés de l'OTAN.
Cette Europe est nécessaire, puisque les États membres, qui dépensent aujourd'hui un peu plus de 40 % du budget que les Américains consacrent à la défense, ne disposent que de 10 % à 15 % de leurs capacités opérationnelles. La priorité est donc de rationaliser nos dépenses militaires. Les Européens possèdent actuellement dix-sept types de chars de combat, vingt-neuf types de frégates et vingt avions de chasse différents. Parce que ces accumulations freinent l'interopérabilité, il est nécessaire d'avancer sur tous ces sujets.
Mais ce n'est pas tout. Pour que ces mesures puissent voir le jour et s'inscrire durablement dans notre nouvelle Europe, nous devons également renforcer la démocratie européenne. C'est pourquoi nous souhaitons établir des listes transnationales pour une véritable circonscription européenne. Cela nous permettra d'élever notre démocratie à l'échelle continentale, car l'Europe représente bien plus que la somme de vingt-sept démocraties nationales. Cela renforcera par ailleurs le Parlement européen, ce qui est nécessaire.
Mes chers collègues, pour la première fois depuis très longtemps, la France, par ses propositions, est au rendez-vous de l'histoire européenne et nous aurions tort de ne pas prendre la mesure du moment historique que nous traversons.
L'immobilisme est le plus grand danger pour l'Europe, et c'est pour cette raison que nous proposons d'avancer à ceux qui le veulent. Cette volonté doit être entendue, cette chance doit être saisie, car l'enjeu est fondamental. Ce n'est ni plus ni moins que le choix entre la dislocation inévitable de l'Europe si nous restions dans le statu quo ou sa transformation en profondeur pour une relance salvatrice. Les événements récents en Espagne – au moment où nous parlons, le débat commence au parlement catalan – , nous rappellent la fragilité de la démocratie européenne.
Bien sûr, lors de la mise en oeuvre de cet ambitieux programme, sans doute faudra-t-il apporter quelques nuances, prévoir des adaptations, des changements qui feront l'objet de négociations diplomatiques, mais pour la première fois depuis quinze ans, l'Europe est à la relance. C'est bien cela qui compte.
J'exhorte donc tous ceux qui, dans leur for intérieur, savent que l'Europe est notre plus grande chance…