La commission mixte paritaire, réunie le 20 novembre, a pris acte de son désaccord sur un point majeur, celui de l'article 44 du texte du Gouvernement, qui prévoit la sous-revalorisation des prestations sociales en 2019 et 2020. Le Sénat avait modifié l'article afin de rétablir le mécanisme d'indexation des prestations sur l'inflation. En première lecture, j'avais moi-même critiqué la remise en cause de ce principe, dont l'objectif est d'assurer la revalorisation des prestations versées par les régimes obligatoires de sécurité sociale, afin que les retraités puissent conserver leur pouvoir d'achat au fil des ans.
Le Sénat a, en outre, entendu privilégier le recul de l'âge minimum légal de la retraite plutôt que d'imposer une sous-revalorisation des pensions, comme l'a décidé le Gouvernement.
Le Sénat a adopté cinquante et un articles conformes, en a modifié vingt-neuf, supprimé sept et ajouté vingt-deux. Il est parvenu à corriger le texte proposé avec plus de succès que les députés de l'opposition à l'Assemblée nationale, dont les amendements ont été systématiquement rejetés. Malheureusement, la plupart des améliorations introduites par le Sénat sont sur le point d'être supprimées par les députés de La République en marche, comme nous avons déjà pu le voir en commission.
Le Sénat a notamment apporté des améliorations concernant des exonérations en faveur du secteur des aides à domicile et des services à la personne, pour le maintien des personnes fragiles ou handicapées à domicile. Il en est de même en ce qui concerne le médecin retraité, incité à exercer une activité de remplacement dans une zone sous-dense. Les modalités de l'extension du dispositif de paiement à la qualité des établissements de santé ont été également améliorées.
Dans le cadre du dispositif « reste à charge zéro », le Sénat a introduit un plafonnement du montant de sanction en cas de non-respect par les fabricants ou distributeurs des obligations instituées par le texte, et supprimé la sanction reposant sur le non-respect du dispositif d'évaluation.
Le Sénat a fait évoluer le texte en faveur des travailleurs occasionnels demandeurs d'emploi ou des spécificités des outre-mer. Il a supprimé les mesures gouvernementales de sous-revalorisation des prestations sociales. Si l'on suivait les dispositions adoptées par le Sénat, l'ensemble des prestations seraient réindexées, dès 2019, sur l'indice des prix hors tabac prévu par le projet de loi de finances de l'année, afin de protéger, pour l'année à venir, le pouvoir d'achat des personnes concernées.
Le Sénat a également appelé notre attention sur la nécessaire suppression de la trajectoire financière de la sécurité sociale prévoyant des coupes de TVA de 3,5 milliards d'euros en 2021 et de 5 milliards d'euros à partir de 2022. Elles risquent d'avoir pour conséquence la persistance d'une dette de la branche maladie et du Fonds de solidarité vieillesse de quelque 14,5 milliards d'euros à la fin de 2022, ce qui contredit l'objectif d'amortissement de la dette sociale.
En effet, la dette de la sécurité sociale est loin d'être résorbée, puisqu'il reste plus de 120 milliards de dettes d'ici à 2024. L'annonce d'un excédent de 700 millions d'euros en 2019 ne doit pas masquer la réalité d'une importante composante structurelle du déficit de la sécurité sociale, indépendante des effets de la conjoncture économique sur les recettes. Tout dépendra de cette conjoncture économique à venir.
Votre objectif purement comptable, madame la ministre des solidarités et de la santé, monsieur le ministre, vous conduit à privilégier la hausse des recettes plutôt qu'une diminution de dépenses bien ciblées. L'amélioration des comptes de ces dernières années a donc été obtenue au prix d'un matraquage fiscal sans précédent, subi par les ménages et les entreprises pour plus de 50 milliards d'euros en impôts, taxes et cotisations confondus. Vous faites peser sur les assurés, les allocataires, les cotisants et les industries de santé, et évidemment sur les retraités, la plus grande partie de l'effort de redressement des comptes.
À aucun moment vous n'avez voulu répondre à ma question sur l'élément d'injustice supplémentaire qui frappe les retraités du secteur privé percevant une retraite complémentaire : ils s'acquittent deux fois d'un prélèvement obligatoire, pour un même objet, le financement de l'assurance maladie. En effet, alors qu'ils sont soumis à la CRDS et à la contribution de solidarité pour l'autonomie, ils se voient appliquer, pour leur droit à l'assurance maladie, s'agissant des prestations en nature, un taux de 9,3 % de leurs revenus, supérieur de 1 % à celui auquel sont soumis les actifs, auxquels s'applique le taux plein de 8,3 %.
Les chiffres qui nous sont présentés sous un angle favorable sont à relativiser. S'agissant de la branche maladie, sur laquelle se concentrent les déficits, et étant donné le déficit des hôpitaux – plus de 1 milliard d'euros pour l'année, avec des dettes de 27 milliards – , comment financerez-vous le plan santé ?
Les mesures d'économies de 3,8 milliards sont d'ailleurs particulièrement obscures. En effet, le débat n'a toujours pas permis d'expliquer ce que vous n'avez pas osé présenter en conférence de presse, madame la ministre. À la lecture de ce document, on peut comprendre l'inquiétude des professionnels : sont mis à contribution le médicament pour plus de 1 milliard, au risque d'asphyxier les capacités d'innovation de l'industrie pharmaceutique, la performance des établissements de santé pour près de 1 milliard, alors que, sans réforme structurelle, les hôpitaux sont exsangues, ainsi que les dispositifs médicaux en ville pour 150 millions, ce qui va complètement à rebours du virage ambulatoire.
La branche vieillesse est légèrement excédentaire en 2018, grâce aux réformes successives des retraites, notamment à la réforme structurelle réalisée par Éric Woerth en 2010, qui a reporté l'âge légal de la retraite à soixante-deux ans. Toutefois, la Cour des comptes met en garde contre le risque de rechute des comptes de la branche vieillesse d'ici à dix ans : dans l'hypothèse d'une croissance à 1,3 % et d'un taux de chômage à 7 %, le déficit repartirait dès 2025.
Enfin, le FSV est resté déficitaire l'année dernière pour plus de 2 milliards d'euros, alors même que sa structure de financement est fragile : ses ressources sont en effet très sensibles à la conjoncture, puisque presque entièrement assises sur les revenus du capital. De plus, en sous-indexant la revalorisation des retraites cette année, vous maintiendrez la branche vieillesse artificiellement en excédent en économisant 8 milliards sur la période 2019-2020.
Je n'insisterai pas sur la branche famille légèrement excédentaire en 2018, car cet excédent a été obtenu par des économies importantes, faites sur le dos des familles moyennes, tout au long du précédent quinquennat, celui de M. Hollande, notamment par le placement sous condition de ressources de la quasi-totalité des prestations. La politique familiale française, telle qu'elle résulte de l'après-guerre, et qui faisait l'objet d'un consensus social, est fondée sur une redistribution horizontale, les familles sans enfants soutenant les familles avec enfants. C'est la contrepartie de la solidarité entre les générations.
Ce projet de loi de financement fait donc apparaître que, en 2019, les recettes de la sécurité sociale seront assurées à hauteur de 52 % par des cotisations et de 45 % par des recettes fiscales, en particulier la CSG. Alain Milon, président de la commission des affaires sociales, a observé de manière pénétrante, en première lecture devant le Sénat : « Le régime assurantiel, dont le principe est de cotiser selon ses moyens et de recevoir selon ses besoins, est totalement remis en cause pour être remplacé par un régime universel, dans lequel les recettes de la sécurité sociale seront assurées par des mesures fiscales. » Cette phrase ne vous a pas fait plaisir, madame la ministre.
Ainsi, vous dénaturez le modèle social conçu par les pères fondateurs de la sécurité sociale. Vous prétendez, selon vos éléments de langage, réparer la société. Or c'est désormais l'essence même de la sécurité sociale que vous détruisez.
Mesdames et messieurs les députés de La République en marche, vous dites comprendre, voire partager, comme Thomas Mesnier à l'instant, la colère des retraités : alors, supprimez la désindexation des retraites, cessez le matraquage des hausses de CSG, renoncez à vos amendements de rétablissement du texte, laissez le texte du Sénat en l'état et écoutez avec attention les demandes venues des profondeurs du pays.