Intervention de Jean-Paul Delevoye

Réunion du mercredi 14 novembre 2018 à 9h30
Commission des affaires sociales

Jean-Paul Delevoye, haut-commissaire à la réforme des retraites :

Madame la présidente, je vous remercie de votre invitation et me réjouis, mesdames, messieurs les députés, de la mise en place de ce groupe transpartisan qui nourrira la réflexion que nous menons actuellement. En me nommant haut-commissaire à la réforme des retraites, le Président de la République m'a confié une triple mission : organiser une coordination interministérielle – la totalité des problématiques en jeu est prise en compte par notre équipe, préparer les recommandations qui doivent aboutir au projet de loi, mener une concertation avec les principaux acteurs du champ des retraites – le Président de la République a accepté qu'il y ait un temps pour la confrontation et la controverse puisque le projet de loi sera déposé en 2019.

Une méthode, qui repose sur le pari de l'intelligence collective, a été adoptée. Nous l'avons qualifiée de dialogue constructif. Depuis un an, elle nous a permis d'avoir plus de cent cinquante heures de discussion avec les organisations syndicales et de débattre avec les journalistes et les parlementaires souhaitant approfondir le sujet. Nous avons également mis en place des plateformes collaboratives citoyennes et des ateliers participatifs qui feront l'objet d'un avis de synthèse le 13 décembre prochain.

Les réformes des retraites mises en oeuvre par les gouvernements précédents, que je tiens à saluer, ont souvent reposé sur une modification des paramètres, dans le cadre de contraintes budgétaires spécifiques. Elles ont été menées dans un climat anxiogène – rappelons la fameuse phrase de Michel Rocard selon laquelle, pour régler un problème, il faut le dramatiser – laissant croire que si telle réforme ne se faisait pas, le système serait tout entier remis en cause. Cela a eu des effets si puissants qu'aujourd'hui, alors même que le système approche de l'équilibre, les jeunes craignent de ne pas y avoir accès, les futurs retraités redoutent de voir leurs pensions diminuer, et les retraités eux-mêmes sont déstabilisés.

Le Président de la République a souhaité créer un contexte particulier pour présenter ce projet de société en 2019 : hors de tout climat anxiogène et hors de toute contrainte budgétaire puisque nous travaillons à enveloppe constante.

Pendant la campagne présidentielle, le Conseil d'orientation des retraites (COR) avait indiqué qu'il n'y avait pas de problèmes budgétaires et, partant de cette hypothèse, Emmanuel Macron, alors candidat, avait fait part de sa volonté de mettre en place une réforme systémique en cinq ans. Quelques mois plus tard, ce même conseil d'orientation des retraites a précisé que le régime des retraites accusait un déficit de 6 milliards ou 7 milliards d'euros. Le débat sur l'opportunité d'une réforme paramétrique a alors ressurgi, certains estimant que le recul d'un an de l'âge légal de la retraite apporterait une solution en dégageant 10 milliards d'euros de ressources. Le Président de la République a considéré qu'une réforme paramétrique n'aurait qu'un effet de court terme et ne ferait que reporter le problème cinq ou dix ans plus tard. Il a donc réaffirmé son choix de mettre en place un régime universel.

Certains observateurs ont pu s'interroger sur la nécessité d'un tel choix. L'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) estime en effet que les retraités français ont, parmi ceux des pays membres, la situation la meilleure. La vraie réussite politique, dont peuvent se revendiquer les majorités et les gouvernements précédents, est d'avoir fait reculer la précarité des personnes âgées, puisqu'elle est de 50 % inférieure à celle du reste de la population même si, au-delà de soixante-quinze ans, la pauvreté peut s'accentuer, sans doute à cause du veuvage.

En réalité, il faut se tourner vers ce que dit l'opinion. Les enquêtes et sondages sont éclairants. La dernière étude en date, menée par la Fondation pour l'innovation politique (FONDAPOL), a montré que nos concitoyens considéraient le système actuel comme étant complexe, inégalitaire, fragile, certains allant jusqu'à penser qu'il risquait d'être en faillite. Nous avons à multiplier les débats, les rencontres, à nourrir le dialogue pour montrer que l'espérance placée dans le nouveau système peut apaiser les inquiétudes nées du système précédent.

L'opposition entre universalité et solidarité professionnelle est ancienne dans notre pays. Jusqu'en 1914, les congrès de la Confédération générale du travail (CGT) étaient corporatifs. Notre pays a été structuré par le corporatisme, nous le voyons encore aujourd'hui dans nos communes à travers la survivance de certaines fêtes. En 1945, quand gaullistes et communistes, sous l'impulsion de Pierre Laroque, Alexandre Parodi et Ambroise Croizat, se sont battus pour l'universalité des droits, ils se sont heurtés à des contestations. Le monde ouvrier estimait qu'il allait y perdre tout comme le monde agricole, commerçant et artisan. Pierre Laroque, en 1962, faisait le constat que les solidarités professionnelles l'avaient emporté sur les solidarités collectives. Aujourd'hui, il existe quarante-deux régimes de retraite différents qui reposent sur des catégories professionnelles.

Nous estimons que cela constitue un facteur majeur de fragilité. Les nouvelles générations connaissent des parcours polymorphes et exercent parfois plusieurs professions en même temps. Les pratiques médicales se modifient et certains estiment même que le statut libéral est susceptible, à partir de structures juridiques nouvelles, de se transformer en position salariale. L'équilibre démographique sur lequel reposait le régime des retraites en 1945 s'est profondément modifié. L'exemple des agriculteurs est tout à fait frappant : ils ne représentent plus que 3 % de la population contre 45 % après la guerre, et leurs retraites sont à présent financées à 84 % par la solidarité nationale.

Nous ne pouvons laisser croire aux futures générations que la solidité de leurs retraites sera garantie par l'avenir de leur profession alors que tous les métiers vont changer, que l'intelligence artificielle prendra une place croissante, que la mobilité professionnelle sera de plus en plus internationale Aujourd'hui, une personne qui prend sa retraite aura cotisé à trois caisses de retraite différentes ; demain, cela sera cinq fois plus. Chaque régime ayant ses propres règles, les reversions sont rendues extrêmement complexes. Il est nécessaire de mettre en place un système adapté à la diversité des parcours professionnels.

Dans un monde où les repères sont remis en cause, où les outils de socialisation comme la famille et le travail sont fragilisés, où les idéologies religieuses et politiques sont instables, comment créer des liens qui assurent une cohésion intergénérationnelle ? Nous sommes face au monde de l'inconnaissable : personne ne peut dire ce que seront la croissance économique, la place du salariat, le partage de la valeur ajoutée entre le capital et le travail, la robotisation dans les quinze prochaines années. Les techno-optimistes prévoient que la croissance sera multipliée par deux, les techno-pessimistes qu'elle sera divisée par deux.

Il y a deux réponses possibles, en termes de projet de société.

La pensée dominante anglo-saxonne considère que les transferts sociaux affaiblissent la performance collective et privilégie une réponse individualiste, une réponse d'assurance, qui augmente les fractures entre le plus fort et le plus faible.

L'autre réponse, au coeur de notre projet, repose sur la solidarité générationnelle et infragénérationnelle. Nous sommes convaincus que la performance collective sera d'autant plus forte que l'on favorisera l'apaisement de nos concitoyens par la capacité collective à les accompagner dans leurs fragilités de vie – handicap, chômage, invalidité, vieillissement et éventuellement maternité. Nous avons à embarquer les valeurs et les symboles dans le régime universel, à commencer par l'équité et la justice.

Nos concitoyens posent deux questions légitimes auxquelles il nous faudra répondre : la retraite sera-t-elle le juste reflet des efforts que j'ai fournis tout au long d'une carrière ? Serai-je traité de manière équitable par rapport à mon voisin ?

Sur les plateformes citoyennes ont immédiatement émergé deux demandes : « sacrifiez le régime des parlementaires », « sacrifiez les régimes spéciaux ». Notre projet entend renforcer la cohésion de notre société et il était hors de question pour moi de stigmatiser telle ou telle catégorie de Français. Cette condamnation nourrit des sentiments malsains de jalousie sociale alors que nous devons faire en sorte que chacun adhère à un projet collectif qui renforce la solidarité.

Le problème est que, depuis vingt-cinq ans, nous sommes tous coupables d'avoir préféré gagner un électeur plutôt qu'un citoyen. Notre société a perdu le sens de l'impôt, de la cotisation, de la solidarité. Comment faire prendre conscience à nos concitoyens de la chance qu'ils ont d'être dans un pays où leurs impôts servent à financer le service public ? Aucun parent ne garde à l'esprit que ceux qui l'entourent ont contribué à rendre gratuite l'école où va son enfant. Et en sortant de l'hôpital, on a davantage tendance à commenter la qualité des repas et le sourire de l'infirmière qu'à se féliciter de la prise en charge de son séjour par la solidarité nationale.

Tournant historique, nous voyons aujourd'hui reculer les démocraties, sous le poids des émotions et des dictatures, parce que la force des convictions faiblit. Il nous faut retrouver le sens de la solidarité générationnelle et infragénérationnelle : les retraités doivent se préoccuper de la situation des jeunes actifs et les jeunes actifs de celles des retraités. Si nous n'arrivons pas à convaincre chacun que l'équilibre générationnel est au fondement de la cohésion nationale, dans vingt-cinq ans, lorsque l'électorat sera majoritairement âgé, nous nous retrouverons dans la même situation qu'en Italie où l'on a préféré, par cynisme, faire des promesses aux retraités pour gagner les élections. Si, demain, actifs et retraités ne sont pas convaincus du fait que le régime universel est le garant de la cohésion sociale, des fractures se créeront au sein de notre société, et l'assurance chômage et l'assurance maladie seront remises en cause.

Pour aller vers le régime universel, nous nous sommes appuyés sur une grande diversité d'intelligences : administrations, Conseil d'orientation des retraites, Parlement. Et j'aimerais ici vous faire part, mesdames, messieurs les députés, de mon souhait de voir la controverse réhabilitée, au-delà du débat politicien qui a pour but d'écraser celui qui ne pense pas comme soi. J'ai la chance d'avoir autour de moi une équipe de collaborateurs qui est considérée comme la dream team des retraites. Vous pouvez compter sur elle pour vous communiquer les informations nécessaires afin de vous aider à forger des convictions. Nous mettons les mêmes documents à la disposition des syndicats, des partis politiques – que je suis tous allé voir – de la presse, des citoyens.

Les six premiers mois de discussion ont porté sur trois questions majeures : quel schéma-cible viser ? Comment prendre en compte les droits familiaux ? Quel régime solidaire construire ? Le 10 octobre, nous avons présenté aux partenaires sociaux nos premières conclusions, validées par le Gouvernement et le Président de la République.

Nous nous consacrons maintenant à d'autres questions, sur lesquelles nous sommes en cours de discussion avec les organisations syndicales. Jusqu'à la fin du mois de janvier, nous travaillerons sur la transition vers le nouveau régime, la conversion des droits, l'architecture financière du système, les carrières longues, les départs anticipés pour pénibilité, handicap, invalidité, exposition à l'amiante, ainsi que sur le pilotage et les objectifs.

Je me réjouis, madame la présidente, de cette première rencontre avec les membres de votre commission. Après avoir présenté le système que nous voulons mettre en place, je m'efforcerai de répondre à vos questions, mesdames, messieurs, dans la mesure où l'avancée des discussions avec les partenaires sociaux me le permet.

Premièrement, nous voulons construire un régime commun à tous les Français.

Le régime universel remplacera les quarante-deux régimes existants et concernera la totalité de nos concitoyens en activité.

Pour les salariés, le régime de base va jusqu'à un plafond annuel de la sécurité sociale, soit 40 000 euros, et le régime complémentaire jusqu'à huit fois ce plafond, soit 320 000 euros. Nous avons décidé de faire aller le régime de base jusqu'à trois fois le plafond, ce qui permet d'englober 98 % des salariés du privé et des fonctionnaires et 95 % de la masse salariale. Nous renforçons ainsi la solidarité. Supprimer le plafond aurait conduit à diminuer l'effet redistributif du système et à augmenter l'écart entre les très hautes retraites et les moyennes retraites. Le COR a montré que le système actuel avantageait les carrières longues et ascendantes et pénalisait les carrières heurtées et courtes.

La totalité des salariés et des fonctionnaires, y compris ceux qui se trouvent au-dessus de trois plafonds, sera concernée au premier euro. Les discussions portent sur la question de savoir quel système appliquer au-delà de trois plafonds, autrement dit à 450 000 personnes environ, salariés et professions libérales à parts égales, auxquelles s'ajoutent 8 000 fonctionnaires. Doit-on instaurer un régime complémentaire, obligatoire ou facultatif ? Doit-on laisser une liberté totale ? Comment assurer une solidarité entre salaires situés au-dessus de trois fois le plafond et salaires situés au-dessous ?

Il s'agira d'un système par répartition – j'ai évoqué tout à l'heure la puissance de la solidarité générationnelle et infragénérationnelle – au sein duquel les règles de calcul des droits et les mécanismes de solidarité seront les mêmes pour tous. On ne pourra plus dire que telle catégorie est plus avantagée qu'une autre. Et certains fonctionnaires ont exprimé leur satisfaction à la perspective qu'ils ne seraient plus soupçonnés d'être avantagés. Nos analyses ont déjà montré que la fonction publique ne jouissait pas des privilèges qu'on lui attribue souvent. Une personne handicapée est moins bien lotie dans le secteur public et, pour une fonctionnaire, la naissance d'un enfant ouvre droit à moins de trimestres que dans le secteur privé.

Deuxièmement, nous voulons procéder à une simplification : chaque euro cotisé donnera les mêmes droits. Chaque revenu, chaque salaire permettra d'acquérir des points, qui feront chaque année l'objet d'un relevé. Là se manifestera l'avantage du système des droits par rapport au système de l'annuité qui conduit à des droits inutiles. Par exemple, une femme voulant prendre sa retraite à taux plein ne peut pas profiter des trimestres qu'elle a acquis grâce à la naissance de ses enfants pour augmenter le montant de sa pension. Dans le nouveau système, chaque point acquis aboutira directement à une augmentation du droit à pension. Actuellement, si une personne reçoit un salaire de 6 000 euros d'un seul employeur, elle a le droit à quatre trimestres alors qu'une autre personne touchant 2 000 euros d'un employeur et 4 000 euros d'un autre n'aura que trois trimestres. Le système à points apportera une clarification. La retraite sera le reflet de la carrière.

Ajoutons que les salariés et les fonctionnaires cotiseront au même niveau. C'est un objectif facilement atteignable car la différence actuelle de taux de cotisation n'est que de 0,15 %.

Nous souhaitons également clarifier les flux budgétaires qui alimentent le système des retraites. Entre la taxe sur les farines, la taxe sur les écritures de notaires, la taxe sur les plaidoiries d'avocats, etc., l'opacité règne ! Il importe de distinguer ce que l'État paye en tant qu'employeur de ce qu'il paye au titre de la solidarité nationale, et nous aimerions avoir un débat avec vous sur la nature politique des objectifs que nous voulons atteindre. La transparence doit être la plus grande plus grande possible sur ce qui relève des cotisations et ce qui relève de l'impôt. Nos concitoyens, les organisations syndicales, les divers observateurs pourront comprendre alors l'opportunité de soutenir certaines positions politiques.

Le taux de cotisation sera de 28 % pour tout le monde et la répartition entre la part due par l'employeur – 60 % – et la part due par le salarié – 40 % – sera la même. La convergence des taux de rendement et des taux de cotisation appelle une convergence des assiettes. Si les salariés du privé cotisent sur la totalité de leur salaire, il doit en aller de même pour les fonctionnaires, ce qui implique une intégration de leurs primes. Une concertation aura lieu sur les conséquences à tirer de la réforme s'agissant de l'évolution des carrières et des rémunérations au fur et à mesure de la montée en charge des effets du nouveau système. C'est un enjeu majeur, qu'avec le Président de la République nous avons en permanence mis en avant.

La prise en compte des primes pour les fonctionnaires renvoie à deux interrogations. Comment faire évoluer la règle de calcul sur les six derniers mois, qui a été élaborée alors que les primes n'étaient pas intégrées ? Comment, d'autre part, prendre en compte les disparités entre fonctionnaires ? Les enseignants percevant en moyenne 9 % de primes contre 28 % pour les autres fonctionnaires, ils risquent d'être pénalisés. Nous devrons apporter des correctifs qui feront l'objet de discussions avec les organisations syndicales.

Le régime universel devra tenir compte de spécificités, notamment pour les travailleurs indépendants et les agriculteurs. Jusqu'au plafond de la sécurité sociale, leurs taux de cotisation ne sont pas très éloignés de ceux des salariés du privé et de la fonction publique, même si les assiettes ne sont pas les mêmes. Au-delà du plafond, en revanche, les taux de cotisation sont fortement dégressifs. Nous sommes en train de travailler sur ce sujet.

Troisièmement, nous voulons bâtir un système de retraite fondé sur une solidarité renforcée. Le Président de la République a fait le choix de rattacher ma mission au ministère des solidarités et de la santé plutôt qu'au ministère de l'économie. Certains universitaires avancent que plus nous clarifierons ce que nous affectons à la solidarité, plus nous fragiliserons le système en donnant de l'appétit aux « budgétivores ». Je crois exactement le contraire. Si nous affichons nos choix politiques de façon transparente, nos concitoyens seront les premiers avocats du nouveau système, ce que laissent entrevoir les études d'opinion.

Le premier sujet sur lequel nous nous penchons est celui des enfants. Actuellement, la naissance du premier enfant ouvre droit à un trimestre et la naissance du troisième enfant donne lieu à une majoration de 10 %. Les pensions des hommes étant supérieures, en moyenne, à celles des femmes, cela ne fait-il pas augmenter l'écart qui les sépare ? N'aurait-on pas intérêt à mettre en place une dotation forfaitaire à travers le système à points ? La question est très clairement posée. Nous avons décidé d'affecter des points dès le premier enfant. Il reste à analyser les impacts de cette mesure sur la carrière des parents et sur l'éducation et à déterminer si le financement relève de la solidarité nationale, donc de l'impôt, ou des cotisations.

Il y a aussi la question des interruptions d'activité. Dans la mesure où le système contributif fait que la retraite est le reflet du travail, comment gérer les interruptions d'activité liées au chômage, à la mise au monde d'un enfant, à la maladie ou à l'invalidité ? C'est un des sujets que nous avons mis sur la table, avec la notion de parcours. Quand je dis qu'il n'y aura pas de points gratuits, ce n'est pas une contestation de l'invalidité. C'est seulement que nous voulons indiquer très clairement qui paie les points attribués dans le cadre de la solidarité. Il y a eu un débat sur l'idée qui consisterait à faire une distinction entre la valeur du point lié au travail et celle du point lié à la solidarité : nous avons immédiatement écarté cette hypothèse, mais nous sommes en train de nous demander s'il ne serait pas pertinent de distinguer, dans les relevés, les points issus du travail et ceux issus de la solidarité. Là, l'idée que tout euro cotisé vaut les mêmes droits ne se décline plus : chaque point attribué n'aura pas forcément la même valeur selon le type d'interruption d'activité ou d'assiette. C'est une question qui se pose pour certaines interruptions qui correspondent à des aléas de la vie ou qui sont intéressantes pour la démographie du pays. On voit que le taux d'activité des femmes ayant trois enfants dont le plus jeune est âgé de moins de trois ans tombe de 74 % à 30 %, alors que le taux d'activité des hommes ne se réduit pas. C'est un sujet à prendre en compte si l'on estime que cela correspond à un enjeu national majeur. Je rappelle que les dépenses liées aux retraites vont passer en Allemagne de 10 % à 12,5 % du PIB uniquement en raison du déficit démographique qui existe dans ce pays.

J'en viens aux pensions de réversion. J'ai vu qu'un certain nombre d'entre vous, et je peux le comprendre, se sont brutalement enflammés à la suite d'une information journalistique, qui n'a pas été reprise par les syndicats car ils savaient qu'elle n'était absolument pas fondée. Je revendique néanmoins le droit de poser toutes les questions, y compris les plus impertinentes. Dans le document que nous avons produit, nous avons très clairement posé la question suivante : partagez-vous la position de certaines associations, féministes ou autres, qui estiment que l'égalité hommes-femmes doit mettre un terme à la réversion, ou souhaitez-vous, au contraire, que nous réfléchissions au fait qu'il existe aujourd'hui treize systèmes différents en la matière ? Selon le statut du conjoint, ce ne sont pas les mêmes règles qui s'appliquent. Quelle complexité ! Quand on dépend de cinq ou de six caisses de retraite, laquelle l'emporte du point de vue des règles applicables ? Nous avons une formidable occasion de réfléchir aux moyens de faire en sorte que, quel que soit le statut du conjoint, on ait droit aux mêmes règles et que certaines femmes n'aient plus à subir un choc quand on leur demande pourquoi elles se sont remariées – sans cela, en effet, elles auraient pu bénéficier d'une pension de réversion. Par ailleurs, un agriculteur marié avec une institutrice touchera une pension de réversion, mais ce ne sera pas le cas pour son épouse. Nous devons, à l'évidence, profiter de la création d'un régime universel pour nous interroger, au plan politique, sur la nature de la réversion. Est-ce un droit patrimonial appartenant au conjoint quels que soient les parcours, ou au contraire, comme actuellement, un outil d'atténuation de la perte de revenus induite par la perte du conjoint ? Doit-on, par ailleurs, continuer à se placer dans le seul cadre du mariage ou étendre le dispositif à d'autres liens de solidarité ?

Un autre point à traiter est celui des minima de pension et de vieillesse. C'est peut-être le débat politique le plus compliqué : jusqu'à quel niveau porter les minima de façon à sortir les personnes âgées de la précarité sans pour autant désinciter au travail ni favoriser le travail au noir ? C'est une question extrêmement délicate, sur laquelle il est tout à fait important d'entendre vos points de vue.

Nous respecterons les équilibres financiers actuels, je l'ai dit, et nous ferons en sorte, pour restaurer la confiance, notamment chez les jeunes, qu'un équilibre générationnel permette aux actifs de prendre sur leurs épaules le poids des retraités. Mais il ne faut pas ajouter à ce poids celui de la dette du système, qui serait payée par les générations futures. Nous envisageons donc d'encadrer la gestion du système par des règles d'or visant à éviter, comme vous avez déjà eu l'occasion d'en décider, qu'il y ait un impact sur les générations futures.

La problématique de l'âge est compliquée car le système à points fait disparaître les références à la durée d'activité, ce qui ouvre toute une série de possibilités. Avec la réforme dite « Touraine », il faut, pour arriver à 43 années de cotisations, travailler jusqu'à 73 ans si l'on a fait des études longues jusqu'à 30 ans. Dans le nouveau système, la référence à la durée va sauter, mais il faudra conserver un âge minimum de départ afin d'éviter que les Français ne prennent des retraites trop anticipées, aux montants trop faibles, et ne soient au minimum vieillesse. D'où l'idée d'un minimum légal de 62 ans qui permettra d'arbitrer, ensuite, entre une prolongation de l'activité pour augmenter ses droits à pension et un départ à la retraite si l'on estime que le niveau atteint par ceux-ci est suffisant.

Nous pourrons tenir compte de certaines spécificités : je connais les sensibilités qui existent sur ce point. À l'occasion de toutes les précédentes réformes, les parlementaires ont dû aller voir leur tailleur pour élargir leurs poches, car ils recevaient en permanence des lettres revendicatives de militaires, de pharmaciens, de notaires, de fonctionnaires… (Sourires.) Je peux le comprendre, mais nous devons faire en sorte d'aboutir à une convergence autour d'un projet collectif, qui tienne compte, évidemment, des conséquences individuelles – chacun se demandera, à un moment donné, ce qu'il en est de sa retraite, et de son montant. Nous pouvons embarquer toutes les spécificités dans le régime universel à points.

J'ajoute que les retraités actuels ne seront pas concernés par la réforme. La nouvelle phase de concertation qui est prévue devra déterminer quelle sera la première génération à laquelle s'appliquera le nouveau système : ce débat n'est pas tranché. Ce qui l'est, en revanche, c'est que, pendant les cinq ans qui suivent le vote de la loi, il y aura une franchise permettant de rester dans l'ancien système.

Il faut évidemment que les objectifs soient clairs et que le chemin de la transition soit adapté. Sur un sujet tel que l'intégration des primes dans la fonction publique, une seule année ne suffira pas. Il faut que nous réfléchissions au temps nécessaire pour évoluer sur ce sujet.

Enfin, nous sommes dans une logique de conversion des droits. Il y a une garantie : si l'on est à dix ans de la retraite, par exemple, on aura trente-deux quarante-deuxièmes de ce qui était prévu dans l'ancien système. On calculera les droits à l'instant T en garantissant à 100 %, c'est-à-dire à l'euro près, leur transformation en points au moment de l'entrée dans le nouveau système.

Voilà, madame la présidente, ce que je souhaitais vous indiquer succinctement, même si c'était peut-être encore trop long…

Je m'occupe avec enthousiasme de ce projet de société qui est souhaité par le Président de la République, qui a une dimension européenne et qui pourra être porté à la gloire de la France et du travail parlementaire : dans l'univers ultralibéral que nous connaissons, on peut parfaitement avoir un continent, à commencer par la France, qui développe un projet de solidarité collective apportant un apaisement de nature à assurer une performance elle aussi collective. (Applaudissements sur de nombreux bancs).

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