Ne vous inquiétez pas. Je rends hommage à votre impatience et je suis ravi de vous voir attendre mes réponses avec gourmandise. (Sourires.)
D'aucuns expliquent que l'espérance de vie va augmenter en fonction de la réduction du temps de travail. Prévenons les étudiants : s'ils ne travaillent qu'un an, une fois leurs études terminées à l'âge de vingt-cinq ans, leur espérance de vie va augmenter de quarante ans… On peut toujours caricaturer. Le vrai défi qui apparaît dans le rapport de France Stratégie est, plus que la durée du travail, l'emploi des seniors. Depuis le dernier rapport du médiateur, je n'ai cessé de plaider en faveur de l'idée suivante : plus qu'à la durée du travail, il faut s'intéresser à l'épanouissement des individus, à ce qui les rend heureux de travailler. Il existe parfois une souffrance au travail qui provoque des difficultés et peut avoir un retentissement sur l'espérance de vie.
Notre idée n'est pas de créer un système de retraite qui aurait pour but d'allonger la durée de la vie active. Nous voulons que chacun dispose des moyens d'exercer sa liberté de choix, en toute responsabilité. Vous pouvez être d'accord ou non. Quoi qu'il en soit, nous abordons le sujet de manière très claire.
Monsieur Dharréville, vous dites que le système a été dégradé par les réformes successives. Pour ma part, je prends le système tel qu'il est. Avec le Président de la République, nous avons décidé de ne pas faire une énième réforme paramétrique, parce que nous souhaitons un système plus stable, solide et définitivement installé.
J'en viens à la logique d'individualisation par rapport au collectif. Je connais votre sensibilité et je partage votre intérêt pour les droits collectifs. Je suis convaincu que l'harmonisation du corps social passe par la défense et l'appropriation des droits collectifs. Comment reconnaître la singularité des parcours tout en renforçant les droits collectifs ? Cette préoccupation est au coeur de notre projet.
Vous nous reprochez de vouloir introduire une capitalisation insidieuse. Mais, s'il y a une capitalisation des points, il y a aussi une capitalisation des trimestres qui est encore moins favorable en raison des droits perdus. Or nous cherchons à optimiser les points, à faire en sorte que chaque euro de revenu en fasse obtenir. Pour revenir à mon exemple précédent, il est injuste qu'une personne qui gagne 6 000 euros perde des trimestres parce qu'elle a deux employeurs plutôt qu'un employeur unique. Quand, pour certaines raisons, on ne vous compte que trois trimestres au lieu de quatre, il y a une perte injuste, un manque de reconnaissance du travail. Avec le système que nous envisageons, tout revenu dégagera des points et, surtout, tout point supplémentaire se traduira par une augmentation systématique, lisible et traçable de la pension.
Vous faites par ailleurs une confusion entre taux de remplacement et taux de rendement. Avec le régime universel, nous voulons mettre en place la convergence des taux de rendement. Comme à présent, le taux de remplacement sera directement lié à la durée de cotisation : plus vous retardez votre départ à la retraite, plus votre taux de remplacement augmente. Il n'y a pas de dégradation des taux de remplacement. Vous dites qu'il y a un besoin de cotisations, mais rappelons que le système actuel est financé à 75 % par les cotisations et à 25 % par l'impôt – le Fonds de solidarité vieillesse (FSV) l'est par la contribution sociale généralisée (CSG) sur le capital.
La confiance de l'opinion, des salariés et des employeurs dans le système dépendra de la composition de la future gouvernance. Nous chercherons à la doter de tous les outils nécessaires à son adaptation aux aléas du futur. Quelle sera l'évolution des masses salariales par rapport à la valeur ajoutée ? Il faudra créer des indicateurs qui tiennent compte des évolutions futures et, en la matière, je fais aussi appel à votre imagination. Plutôt que de réfléchir en termes de gagnants et de perdants, je préfère m'intéresser à ce qui est le plus juste.
Madame Dubié, nous allons faire des propositions sur les droits familiaux et conjugaux qui sont au coeur de nos réflexions. Le régime universel n'est pas un régime unique ; il peut intégrer des spécificités concernant notamment les indépendants et les agriculteurs. Il y aura des règles communes vers lesquelles chacun devra converger et des spécificités qui seront adaptées à certains cas.
Madame Vignon, je vous remercie de nous alerter au sujet des pensions de réversion pour les orphelins. Nous analysons les droits actuels dans la perspective de les améliorer. Le système de réversion suscite des débats, notamment sur le veuvage précoce lié aux professions de sécurité.
Monsieur Door, votre longévité parlementaire donne à vos questions pertinentes la patine de l'expérience et de la maîtrise du sujet. Vous faites référence au COR, dont les projections sont fondées sur les évolutions démographiques. La natalité et l'équilibre démographique ont une influence majeure sur les systèmes de retraite, comme le montre l'exemple de l'Allemagne : ce pays va devoir augmenter de 2,5 points du produit intérieur brut (PIB) sa contribution au régime de retraite – sans qu'il y ait pour autant augmentation des droits – à seule fin de compenser le déséquilibre démographique. À cet égard, nous sommes sensibles à la problématique de la convergence des complémentaires, car la démographie influe sur les complémentaires et les groupements de protection sociale.
Quant aux réserves, nous nous y intéressons d'un point de vue juridique, mais nous ne les regardons pas avec voracité. Je vous remercie de m'avoir posé la question avec franchise et sans faire de procès d'intention. Le volume des réserves est de 167 milliards d'euros, soit six mois de cotisations de retraite, ce qui n'est pas à la hauteur de l'enjeu que représente la création d'un régime universel sur vingt-cinq ans. Une partie de ces réserves servira à garantir des droits du passé et la fluidité du système futur. Nous allons mettre tous ces sujets sur la table de façon très transparente.
Madame de Vaucouleurs, vous avez évoqué les minima, sujet auquel nous consacrerons toute une séance de négociations. Jusqu'à quel niveau peut-on les porter sans perturber le droit au travail ? Je rappelle que, par la volonté du Président de la République, l'allocation de solidarité aux personnes âgées (ASPA) va augmenter de 100 euros et être portée à 903 euros d'ici à 2020. Le débat sur la pension de réversion est ouvert mais nous voulons maintenir la solidarité entre conjoints.
Monsieur Lurton, vous avez parlé de la sous-indexation des retraites, un aspect périphérique qui ne fait pas partie de nos débats. Vous m'avez aussi interrogé sur l'ENIM, le régime social des marins. Le Premier ministre l'a clairement indiqué : tout sujet concernant les retraites relève de notre autorité, et les décisions prises par les uns ou les autres ne constituent en rien une quelconque préemption du futur système universel des retraites. L'ENIM est un régime qui n'a guère été touché depuis Colbert. Nous avons une opportunité de réfléchir à ce système qui regroupe quatre professions : marine de commerce, pêche maritime, conchyliculture, plaisance professionnelle. Or, les paramètres et les calculs de base sont extrêmement différents selon les professions. Certains de ces professionnels ont des salaires qui ne posent pas de problème d'intégration au régime universel par points, d'autres ont des revenus qui fluctuent fortement car ils sont indexés sur la qualité de la pêche. Leur perception du futur peut les conduire à compter sur des placements tels que l'immobilier plutôt que sur un régime de retraire pour préparer leurs vieux jours, notamment parce que ces carrières sont courtes car extrêmement difficiles.
Le réflexe de chacun est de se dire favorable à un régime universel qui reprenne les valeurs de la cohésion sociale, mais à condition qu'il ne touche pas sa retraite à soi. C'est mal poser la question. La France ignore sa puissance maritime alors qu'elle a tout un intérêt à défendre ces professions. La moindre des reconnaissances que nous devons à ceux qui développent cette richesse maritime, c'est de ne pas les laisser enfermés seuls dans un régime. Il faut les embarquer dans un régime universel qui leur apportera la solidarité nationale. Comment faire pour qu'ils trouvent leur compte dans un régime universel ? Nous n'avons pas la réponse et nous leur avons proposé de réfléchir avec nous.
Madame Fabre, vous m'avez questionné sur la simplification des formulaires de pension de réversion. La simplification est au coeur de notre projet : compte et relevé unique, une seule règle quels que soient les parcours conjugaux.
Plusieurs d'entre vous, notamment M. Lurton, Mme Biémouret et M. Perrut, ont parlé des retraites agricoles. Compte tenu de mon parcours, j'ai une grande tendresse pour le monde rural. Je sais très bien que les paysages sont le reflet de la vie agricole des trente dernières années. Des conjoints – souvent les femmes – ont travaillé sans être déclarés. Des femmes qui ont travaillé aussi dur que leur mari se retrouvent sans pension parce qu'il n'y a pas eu de cotisations versées. Cela relève de la solidarité. Dans un régime universel, on ne doit pas stigmatiser une profession : les minima devront concerner tous ceux – agriculteurs, artisans, commerçants et autres – qui ont eu un parcours professionnel compliqué, voire sans cotisation. Ce débat sur la solidarité et les minima va nous obliger à avoir une vision claire de notre ambition politique et à nous situer par rapport à des références telles que le salaire minimum interprofessionnel de croissance (SMIC).
Le sujet est sur la table. Nous ne l'écartons, mais nous n'avons pas voulu le traiter malgré l'impatience, que l'on peut comprendre, de certains. Nous avons récemment reçu une délégation de la Dordogne. Nous leur avons rappelé qu'une proposition de loi d'André Chassaigne avait posé de façon très pertinente la question de la revalorisation des pensions de retraite agricoles en France continentale et dans les outre-mer. À mon avis, cette proposition ne pouvait aboutir parce que les départements ultramarins, notamment Mayotte, posent des problèmes particuliers. Nous voulons mettre en place un groupe spécifique pour les ultramarins, comme nous souhaitons le faire pour les expatriés.
Monsieur Hammouche, nous souhaitons faire en sorte que le système puisse répondre à tous les aléas. Plus que sur l'ancienneté ou sur la solidité du système, nous misons sur son adaptabilité pour qu'il fonctionne et suscite la confiance.
Monsieur Ramadier, nous avons évoqué l'octroi de points « solidaires » à propos des aidants. Nous y travaillons, mais nous souhaitons voir si les règles, y compris législatives ou réglementaires, peuvent être adaptées pour faire en sorte que l'octroi de ces points soit basé sur des revenus.
Monsieur Perrut, vous savez aussi bien promouvoir vos idées que vos produits. Je parle de votre invitation et j'espère que je n'ai pas envoyé le bouchon trop loin. (Sourires.)