Intervention de Gilles Vermot-Desroches

Réunion du jeudi 15 novembre 2018 à 14h30
Mission d'information relative aux freins à la transition énergétique

Gilles Vermot-Desroches, directeur du développement durable de Schneider Electric :

Merci beaucoup, monsieur le président, pour votre invitation.

Le premier grand frein à la transition énergétique en France – pays plus administré que d'autres – est de n'avoir, dans ce domaine, qu'un État régulateur et jamais exemplaire. Dans le bâtiment tertiaire, par exemple, toutes les solutions passives et actives de contrôle de l'efficacité énergétique existent et sont opérantes. Aujourd'hui, il n'existe pas d'acteur du bâtiment tertiaire privé qui ne mette en oeuvre des systèmes de contrôle digital de l'efficacité énergétique et de gestion du bâtiment, alors qu'aucun acteur public ne le fait. Or le bâtiment tertiaire public français représente environ 40 % du secteur, dont presque la moitié en mètres carrés scolaires, avec pas loin de 100 millions de mètres carrés. Les études, notamment celles du Centre scientifique et technique du bâtiment (CSTB), montrent que tous les systèmes de gestion intelligente de ces bâtiments, en commençant basiquement par la boucle d'eau chaude, sont de nature à être rentabilisés en moins de deux ans.

Un État qui a pris l'habitude de réglementer le sujet pour les acteurs privés, plus particulièrement dans le secteur résidentiel, et qui est propriétaire d'un stock de bâtiments tertiaires dont il gère plus du tiers, pourrait, par son action, pousser une filière, rénover des pratiques, créer de l'emploi et donner l'exemple à tous nos concitoyens. Imaginez des scolaires ou des adultes qui, en entrant dans un bâtiment tertiaire, verraient les efforts faits pour réduire sa consommation énergétique : n'auraient-ils pas à coeur de suivre cet exemple ? Ce déséquilibre entre la régulation imposée par l'État et son manque d'exemplarité constitue un véritable gâchis. Les collectivités locales sont probablement plus exemplaires que la collectivité nationale sur ce sujet. Cela pose un vrai problème de communication.

Ce premier frein est assorti d'un appendice de comptabilité publique. Une réflexion est à mener sur l'équilibre entre dépenses d'investissement et dépenses de fonctionnement. Il faut revenir sur la place de l'efficacité énergétique dans la comptabilité afin de se donner les moyens d'agir, alors même que la capacité d'endettement n'est pas très élevée. Il pourrait être intéressant de trouver un acteur tiers, comme la Caisse des dépôts et consignations, pour commencer à financer ces actions et, par la suite, les financer par la réduction de la consommation.

Deuxièmement, s'il est nécessaire de légiférer sur le sujet, une fois que la loi a été votée, il faudrait aussi rédiger rapidement les documents de mise en oeuvre et déployer des politiques à court terme. C'est très facile de parler du décret du 9 mai 2017 relatif aux obligations d'amélioration de la performance énergétique dans les bâtiments existants à usage tertiaire, qui nous ramène à une décision prise au début du Grenelle de l'environnement, en 2010. Mais je ne peux pas imaginer que l'on n'ait pas trouvé, en huit ans, des personnes suffisamment compétentes pour le rédiger, sans risque de contentieux. On ne peut que s'étonner que la loi fixe des objectifs à 2030 et refuse tout amendement ou toute vision à 2025. Sans échelle intermédiaire, personne ne respectera jamais l'objectif fixé. Il faut nous donner une graduation dans les engagements, en nous inscrivant dans une logique de progrès à court terme, et non pas définir seulement un but à moyen ou long terme.

Troisièmement, il convient de favoriser les objectifs de résultat plutôt que les objectifs de moyens, ce qui a rarement été fait dans le domaine du bâtiment. Il n'appartient sans doute pas au législateur de définir précisément quel type de solution ou de produit doit recevoir un soutien fiscal dans l'année en cours. En revanche, il pourrait donner un objectif de résultat, pour obtenir une réduction de consommation énergétique. Il faudrait aussi associer les objectifs de création d'emplois et ceux d'efficacité énergétique et de réduction de la consommation, ce qui est loin d'avoir été fait dans le bâtiment.

Quatrièmement, nous devons réfléchir au signal prix, tout en prenant en compte les 10 % de la population qui sont en précarité énergétique, pour lesquels il faut mener des actions essentielles, ainsi que l'ensemble de l'économie électro-énergo-intensive qui a besoin d'être soutenue pour rester dans nos frontières. Pour ce qui est du monde de l'entreprise, mais aussi du logement privé, ce signal prix pourrait être l'objectif qui permettra à un moment ou à un autre de préférer faire travailler l'artisan localement et de réduire sa consommation énergétique.

Enfin, il faut adapter la communication, afin d'inciter les uns et les autres à aller dans le sens de la transition énergétique, sans réduire le débat à la seule question de l'organisation du mix énergétique. Il faut ouvrir la discussion à l'efficacité énergétique de la maison, du bâtiment, du quartier et de la ville, en y intégrant les énergies renouvelables et les capacités d'autoconsommation, qui permettront de voir autrement le sujet, lorsque le digital sera mieux pris en compte par les acteurs publics. Pour légiférer, il est souvent besoin d'avoir une vision à long terme. L'inconvénient du numérique est qu'il impose un peu d'être agile par rapport aux nouvelles solutions, mais il importe de lui faire une place dans les réflexions sur la transition énergétique.

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