Nous tenons à vous remercier de nous permettre de partager avec vous l'expérience de terrain des jeunes entreprises que nous représentons au sein du collectif LUCIOLE. Toutes ces entreprises sont nées de l'ambition de la transition énergétique.
Je vais vous présenter les freins économiques, sociologiques et techniques. J'essaierai d'aller vite, mais je pense qu'ils sont assez importants pour qu'on leur consacre du temps. Au préalable, il est important de comprendre que la complexité de la trajectoire de transition énergétique tient au fait que l'on n'a pas immédiatement un signal « prix » permettant à chacun des acteurs, qu'il fasse partie de l'ancien modèle ou du nouveau, de saisir immédiatement le modèle économique. Le consommateur ne peut donc pas immédiatement bénéficier de tous les avantages qu'il pourrait tirer de solutions innovantes. Il perçoit bien, depuis une douzaine d'années, un surcoût dans sa facture d'énergie, lié à l'investissement dans les énergies renouvelables que nous avons décidé, mais il ne trouve pas de compensation liée à la mise en place de solutions innovantes lui permettant de réduire sa consommation et consommer mieux, en la maximisant, par exemple, lorsqu'il y a des énergies renouvelables en surplus qu'il faut faire absorber par le système électrique. Aujourd'hui, le consommateur ne voit pas les bénéfices de la transition énergétique, et cela nuit à toute adhésion au processus.
Deuxième remarque préalable, les entreprises, qu'elles soient issues de l'ancien modèle ou du nouveau, ont besoin d'un accompagnement financier des pouvoirs publics. Nous voudrions évidemment tous avoir un modèle économique immédiatement applicable, mais ce n'est malheureusement pas le cas. Nous avons donc besoin d'un soutien financier qui soit transitoire, c'est important, mais qui offre de la visibilité.
Permettez-moi de vous détailler les raisons pour lesquelles le « consommer mieux » dont on parle aujourd'hui ne trouve pas de modèle économique, et pourquoi les entreprises qui portent ces solutions éprouvent de grandes difficultés. La première est qu'aujourd'hui, l'innovation est mal accompagnée, en particulier l'innovation dans l'efficacité énergétique, du fait d'une réglementation extrêmement complexe. Nous pourrons en reparler, des exemples criants existent dans le secteur du bâtiment. Aujourd'hui, l'innovation dans le secteur du bâtiment est très compliquée à faire émerger.
Le deuxième frein relève du pilotage de la consommation, que l'on appelle usuellement l'effacement de consommation. Il y a une dizaine d'années, les pouvoirs publics ont décidé que le consommateur devait participer à l'équilibrage du système électrique et à la sécurité d'approvisionnement en lieu et place des centrales électriques polluantes, au fioul à l'époque, que l'on souhaitait faire disparaître. Il y a eu une volonté politique, mais le soutien financier que l'on a accordé à ces filières, compte tenu du signal « prix » qui était très faible sur les marchés, reste totalement insuffisant, alors même que nous avons toutes les données pour connaître la valeur économique nécessaire pour que la flexibilité de consommation puisse se développer. RTE a considéré que c'était l'outil le plus compétitif jusqu'en 2030 pour intégrer les énergies renouvelables. L'ADEME a fait une analyse technico-économique remarquable dans laquelle elle présente les valeurs économiques, et démontre que, pour le tertiaire ou le résidentiel, il faut aller vers une valeur de 100 000 euros du mégawatt par an. C'est-à-dire que le mégawatt que le consommateur est capable de libérer doit être rémunéré 100 000 euros par an. Or, aujourd'hui, les pouvoirs publics fixent chaque année, dans l'appel d'offres, un cap de prix à 30 000 euros. Il ne faut pas s'étonner de ne pas atteindre les objectifs, alors même que nous avons toutes les données pour fixer le bon niveau de soutien.
Cette incohérence a des conséquences, en particulier pour la sécurité d'approvisionnement. Cela nous a aussi empêchés de prendre des décisions plus rapides sur la fermeture des centrales à charbon, que la flexibilité de consommation électrique aurait pu remplacer. Autre conséquence : puisque nous consacrons 12 millions d'euros par an au soutien financier alors que les Allemands y consacrent 250 millions, nous créons moins d'emplois. Nos sociétés emploient quatre à cinq fois moins de personnes que leurs homologues étrangères. Troisième conséquence : nous subissons une concurrence internationale extrêmement forte sur les solutions innovantes de pilotage de la flexibilité. Le risque à long terme est de nous rendre dépendants non plus du gaz ou du pétrole, mais des solutions intelligentes, développées à l'étranger, de pilotage de la consommation.
Nous proposons de revoir rapidement les niveaux de soutien que l'on accorde aux différentes filières. Je vous ai beaucoup parlé de la flexibilité de consommation, mais c'est également vrai pour beaucoup de solutions innovantes telles que le stockage ou l'autoconsommation. Nous devons nous appuyer sur les rapports qui existent – la France est très forte pour produire des rapports – et les pouvoirs publics doivent prendre des décisions cohérentes avec les recommandations de ces rapports.
Le deuxième frein économique, dont vous a un peu parlé Mme Zermati, est l'importance du reste à charge lorsqu'un consommateur décide de s'engager dans des travaux d'efficacité énergétique. Nous sommes tous d'accord pour que l'État finance 100 % des travaux menés pour les publics précaires. Pour les autres consommateurs, qu'ils soient propriétaires, copropriétaires ou entreprises, il y a un reste à charge. Il faut que leur fiscalité soit adaptée de façon à les inciter à faire les travaux. Nous avons des propositions très concrètes : créer un malus à la vente ou à la location d'un bien immobilier ; prévoir une taxe spécifique sur les chaudières à fioul car, aujourd'hui, une chaudière à fioul reste moins chère qu'une autre chaudière. On taxe le fioul, mais il faut aussi taxer l'achat de la chaudière. À l'instar de l'écoparticipation qui existe pour l'électroménager, il suffirait de créer une écoparticipation particulière sur tous les produits que l'on ne veut plus que les consommateurs achètent. C'est également vrai, dans le domaine de la mobilité, pour les véhicules diesel.
Il convient également de trouver, pour ces consommateurs plus aisés, des mécanismes de tiers-financement. Aujourd'hui, il y a énormément de fonds d'investissement, de banques, de sociétés de services d'efficacité énergétique que nous représentons, et qui sont prêts à financer le reste à charge des consommateurs en se rémunérant sur l'économie obtenue. Le problème est qu'elles font face à des barrières comptables et fiscales très importantes, qu'ont rappelées de nombreux rapports, de la Cour des comptes en particulier. Il faut revoir tout cela pour que ces institutions aient une incitation à financer le reste à charge.
Dernière catégorie de freins, et non la moindre : les freins sociologiques. Nous sommes tous conscients qu'aujourd'hui le consommateur manque de vision claire de la politique française en matière de transition énergétique. Il faut absolument lui donner un plan très clair et suivre les engagements pris par l'État. Quand on cède sur la part de nucléaire ou sur l'écotaxe, il est difficile de convaincre le consommateur de ne pas déroger à ses propres obligations.
Le deuxième sujet est la dilution des responsabilités : il y a, en amont, beaucoup trop d'intervenants chargés de mettre en application les règles édictées, mais cette dilution s'observe aussi en aval, notamment dans les bâtiments tertiaires ou les copropriétés, où personne ne sait qui prend la responsabilité de réaliser les travaux d'efficacité énergétique. Est-ce le syndic, le propriétaire, le locataire, le gestionnaire de bâtiment ?
Je terminerai sur un point qui me tient particulièrement à coeur ; les données. Aujourd'hui, tout le monde s'accorde à dire que c'est là que se trouve la valeur des services que nous pourrons rendre aux consommateurs demain. Malheureusement, le consommateur manque de confiance vis-à-vis d'opérateurs comme nous quant à l'utilisation de ces données. Il faut absolument que nous puissions nous développer. À l'instar de Google Maps, qui utilise beaucoup de données personnelles sans que personne rechigne à donner son accord, il faut que nous ayons la possibilité de faire valoir au consommateur les bénéfices qu'il peut retirer de nos services, et qu'il nous autorise à accéder à ses données.
Il faut également éviter que les gestionnaires de réseaux régressent dans l'accès aux données, comme on le constate aujourd'hui : alors que l'on accédait directement aux données issues des compteurs, ils sont en train de reprendre le monopole. Il faut absolument que les gestionnaires de réseau nous laissent accéder aux compteurs – avec l'autorisation du consommateur, bien sûr – pour nous permettre d'innover et de trouver la valeur dans la donnée.
Concernant l'interopérabilité dans les bâtiments, beaucoup de choses se font dans le tertiaire, dans le privé, mais nous avons un gros problème d'interopérabilité des systèmes de gestion, qui sont fermés par les gros opérateurs et empêchent toute concurrence de se développer. Il faut rendre l'interopérabilité obligatoire dans le bâtiment pour permettre à des acteurs de proposer un panel d'offres innovantes sans être captifs des gros opérateurs.