Intervention de Bastien Lachaud

Séance en hémicycle du mercredi 28 novembre 2018 à 15h00
Projet de loi de finances rectificative pour 2018 — Motion de renvoi en commission

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaBastien Lachaud :

Le texte que vous nous demandez de voter est en général présenté comme essentiellement technique. Il n'en est rien : ce projet de loi de finances rectificative est politique, de bout en bout. Il est la traduction de vos priorités pour le pays, de la priorité d'Emmanuel Macron : satisfaire la rapacité des riches et permettre l'accumulation infinie de ceux qui ont déjà tout, peu importe si c'est au détriment de ceux qui n'ont plus rien, de ceux qui, d'après vous, ne sont rien. Ce PLFR traduit la volonté de dépouiller toujours plus le service public et de gorger encore davantage la caste.

Vous en aviez bien conscience puisque le calendrier imposé pour examiner ce texte visait avant tout à empêcher le débat. Vingt-quatre heures à peine pour prendre connaissance du texte et l'amender en commission ; vingt-quatre heures à peine avant le passage en séance. Pourquoi ces délais alors que ce texte revient tous les ans ? Pour étouffer la discussion évidemment. Ces délais ont été si contraints que tous les groupes ont protesté. Il faut dire que vous avez l'habitude désormais de susciter contre vos choix et vos méthodes une bronca généralisée. Vous semblez même croire qu'il y a du courage à ne rien entendre. Les atermoiements et même l'obstination du Gouvernement devant les revendications des gilets jaunes l'attestent. Pourtant persévérer dans l'erreur n'est pas une gloire, c'est une faute.

Ainsi donc avec cette loi de finances rectificative, vous persistez dans l'erreur, celle de l'austérité acharnée. Vous n'avez qu'une obsession : la réduction permanente des budgets de l'Etat. Sur l'injonction de la Commission européenne, vous anémiez l'État ; mieux, vous lui coupez les bras. En agissant ainsi, vous privez le peuple de sa capacité d'action, renoncez à partager les richesses et empêchez de planifier la transition écologique. Bien sûr, on me reprochera d'exagérer ; pourtant, dans ce seul texte, 2,7 milliards d'euros sont supprimés. Cette masse d'argent aurait pu être directement utile aux Français : elle aurait pu alimenter le service public, conforter la solidarité avec les plus démunis et participer à la planification écologique dont notre pays a besoin. Rien de tout cela.

Revenons sur les crédits annulés. Que voyons-nous ? Tout d'abord, une forfaiture : l'annulation de 400 millions d'euros de crédits aux armées et l'affectation d'une somme équivalente au financement des opérations extérieures. Prise en catimini, la décision a quand même fait l'effet d'une bombe. Sur tous les bancs, elle est considérée comme un véritable coup de couteau dans le dos car elle invalide tous les engagements pris par le Gouvernement il y a six mois à peine. La loi de programmation militaire votée avant l'été est bafouée et le Gouvernement, entièrement discrédité.

Cette loi prévoyait de respecter un principe démocratique fondamental : le financement interministériel des opérations extérieures. Faire la guerre n'est pas une décision prise par les armées, qui ne font qu'appliquer celle du pouvoir politique et de la nation tout entière. C'est le b. a. -ba de la vie démocratique : le pouvoir civil commande. Quand il décide de faire usage de la force, en toute logique, il lui revient d'en assumer les conséquences, y compris financières. Disons-le autrement : ce ne sont pas les armées qui font la guerre, mais la nation elle-même. Dès lors, il est normal que les opérations extérieures ne soient pas entièrement financées par le budget des armées, mais par celui de tous les ministères. Et si ces dépenses sont jugées exorbitantes, alors il faut faire cesser la guerre au lieu de dépouiller les armées. Ceux qui mènent des politiques aventureuses doivent en assumer les conséquences. Ils ne peuvent pas exiger que les armées – c'est-à-dire, en dernière instance, les soldats, femmes et hommes exposés au danger – assument pour eux. Aujourd'hui donc 800 millions sont retirés au budget des armées. Cet argent manquera nécessairement à la remise en état de l'outil militaire, garant de la souveraineté du peuple français face aux éventuelles agressions. Il est vrai que cette souveraineté ne vous occupe guère, vous qui prenez vos ordres à Bruxelles !

La deuxième forfaiture de ce PLFR, c'est la réduction drastique des plafonds d'emplois publics : plus de 10 000 emplois sont touchés. Encore une fois, le service public est attaqué – décision absurde quand les Françaises et les Français qui s'expriment depuis des semaines ne réclament qu'une chose : que l'argent de leurs impôts serve vraiment. Dans l'éducation nationale, 3 266 emplois sont annulés ; y a-t-il une personne dans cet hémicycle pour soutenir que nous avons besoin de moins de professeurs, d'infirmières, de psychologues ou même de secrétaires scolaires ?

Autre sottise : 1 500 emplois supprimés au ministère des comptes publics, soit 1 500 enquêteurs en moins pour débusquer les fraudes de tous les Carlos Ghosn que le Gouvernement cajole. Une fois encore, le message des gilets jaunes n'est manifestement pas passé. Les fraudeurs vont pouvoir continuer à se goinfrer et à frauder le fisc : il n'y aura même pas assez d'agents pour aller les contrôler. De 80 à 100 milliards d'euros manquent au budget de l'État et vous décidez de les faire payer à celles et ceux qui n'ont ni l'envie ni les moyens d'embaucher des armées de fiscalistes pour éviter de payer l'impôt ; l'aberration et l'injustice sont manifestement au pouvoir. Et on touche au sublime lorsque l'on parle de l'écologie : 477 emplois et 600 millions d'euros sont ôtés à la transition écologique et solidaire. Au moment où le Gouvernement ment et prétend financer la transition écologique par la hausse des taxes sur les carburants, il renonce à des millions d'euros de crédits. Quelle honte !

Partout en France, l'exaspération s'exprime. Cette colère est porteuse de propositions et ce PLFR pourrait être l'occasion de redresser la barre, de rétablir un peu de justice dans le pays. La bataille que mènent les gilets jaunes est une bataille sociale, une affaire de dignité ; or la dignité veut que l'on annule la hausse des taxes sur les carburants et que l'on mette fin aux inégalités qui minent la France. Il est insupportable que certains aient tout quand d'autres n'ont rien. Commencez donc par rétablir l'impôt sur la fortune ! Nous pouvons le faire si nous renvoyons ce texte en commission. Il se trouve que l'ISF rapporte autant que la hausse de la taxe sur les carburants : ce hasard n'en est pas un, c'est plutôt la signature du méfait – faire payer ceux qui roulent plutôt que ceux qui nous roulent à longueur de temps.

Vous auriez également la possibilité de revenir sur les niches fiscales inutiles. Vous parlez à tort et à travers de fiscalité écologique ; mais il ne suffit pas de se donner des airs, il faut être cohérent. Pourquoi ne pas taxer le kérosène, le fioul des bateaux de croisière ? Pourquoi ne pas renationaliser les autoroutes, dont la privatisation fut une gabegie incroyable ? Ce seraient de premiers pas dans la bonne direction. Et alors pourquoi s'arrêter sur le chemin ? Vous pourriez alors augmenter le SMIC, revaloriser les pensions et augmenter les minima sociaux. Des ministres reconnaissent que les revenus de dizaines de milliers de personnes ne leur permettent pas de vivre dignement, même quand elles ne paient pas 100 euros leurs repas au restaurant. Comment comprendre ? Comment accepter que rien ne soit fait pour augmenter ces revenus ? Comment comprendre que l'État renonce à corriger les inégalités ? Les marges de manoeuvre existent : 40 milliards de CICE, voilà de quoi financer la transition écologique. Avec cette somme, vous pourriez rénover 7 millions de logements mal isolés : vous changeriez la vie d'autant de familles dont vous feriez baisser les factures, vous diminueriez la consommation d'énergie, vous relanceriez l'activité et réorienteriez la production.

Tant de renoncements pour satisfaire les comptables bornés qui donnent des ordres depuis Bruxelles… Quel gâchis ! Allez-vous bientôt céder à l'Union européenne le siège permanent de la France au Conseil de sécurité des Nations unies, pour faire plaisir à la demande allemande ? Allons-nous abandonner toute souveraineté, toute ambition pour notre pays ? Cette assemblée peut aujourd'hui se ressaisir et jouer son rôle. En renvoyant ce texte en commission, elle peut décider d'annuler l'augmentation de la taxe sur les carburants qui a représenté la goutte d'eau qui a fait sortir les gilets jaunes de leur lit, les poussant à agir pour réclamer plus d'égalité, plus de droits sociaux et la fin de la politique gouvernementale qui ne vise qu'une chose : gaver les plus riches, là où la véritable transition écologique demanderait plutôt un partage des richesses. Comment est-il possible que les députés de la nation soient si sourds aux volontés du peuple ? Un sursaut est toujours possible et souhaitable ; c'est pourquoi nous vous proposons de renvoyer ce texte en commission.

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