Notre littoral est aussi rare que précieux et, à ce titre, convoité. C'est pour cette raison que nous devons le protéger de la pression foncière qui menace directement ses paysages, sa biodiversité et les activités agricoles qui s'y déploient traditionnellement et font son identité.
La houle et les embruns n'ont pas, seuls, façonné nos côtes. Ces paysages, nous les devons aussi à des siècles d'usage. Voyez l'ostréiculture : c'est à la fin du XIVe siècle qu'elle prend véritablement son essor. Elle était facteur d'identité pour nos territoires, elle devient également source de vitalité économique. Pensons à l'huître plate de belon, à celle de Prat-Ar-Coum, aux Marennes Oléron, à la moule de bouchot de la baie du Mont-Saint-Michel, aux palourdes, aux bigorneaux et aux bulots, autant de noms qui en évoquent bien d'autres : Cancale, la ria d'Étel, Isigny-sur-Mer, Bouzigues, l'île d'Oléron ou encore le Golfe du Morbihan. Loin de relever du folklore, d'être agitées pour faire la publicité pour les commerces de nos régions, ces appellations et ces lieux racontent une histoire, l'histoire d'une nation littorale attachée à sa terre et tournée vers la mer.
Les cultures marines que nous promouvons, et particulièrement la conchyliculture, participent à la préservation de l'environnement et au bon fonctionnement des écosystèmes estuariens et côtiers. Inversement, la sauvegarde des cultures marines en zone littorale nécessite des milieux marins en bon état de conservation. Ces cultures sont en effet les premières à souffrir de la mauvaise qualité de l'eau. La récurrence des crises de surmortalité en est la triste conséquence. Au risque ancien des épizooties, il faut dorénavant ajouter le réchauffement des océans couplé à leur acidification, la multiplication des phénomènes climatiques majeurs en métropole et, surtout, en outre-mer, les risques grandissants de submersion sous l'effet de l'érosion du trait de côte.
Au-delà des enjeux environnementaux qui sont particulièrement cruciaux, la sauvegarde des activités agricoles en zone littorale passe par la préservation du foncier agricole. C'est l'objet de la proposition de loi déposée par le groupe MODEM et apparentés et dont j'ai l'honneur d'être le rapporteur.
Ce texte a été élaboré d'abord pour répondre à une difficulté concrète liée à la transformation des bâtiments agricoles en maisons d'habitation ou en restaurants. Ces changements de destination interviennent souvent dans la plus grande illégalité, car la loi littoral du 3 janvier 1986 les limite déjà considérablement.
Concrètement, à travers cette proposition de loi, nous nous attaquons au cas des particuliers qui veulent acheter une résidence au bord de l'eau et qui, pour cela, acquièrent un siège d'exploitation agricole. Sans afficher leur intention de mettre fin à l'activité et après quelques menus travaux, ils la transforment en un charmant « penty », comme on dit chez nous, avec vue sur la mer, sans que les pouvoirs de police du maire et le contrôle de l'État aient été en mesure de l'empêcher. De telles transformations doivent pourtant être empêchées, parce qu'elles engendrent un démembrement des exploitations et des réseaux locaux de production.
Ces transformations ne sont pas une spécificité des zones littorales, mais l'attractivité particulière du littoral accroît l'étendue et la gravité du phénomène. Ainsi, le taux d'artificialisation des communes est près de trois fois plus élevé sur le littoral que sur le reste du territoire. Il en va de même de la vitesse de disparition des terres agricoles ces quarante dernières années, qui y est près de trois fois plus élevée que la moyenne métropolitaine.
Pour lutter contre les changements de destination des bâtiments agricoles en zone littorale, nous avons choisi de renforcer le droit de préemption des sociétés d'aménagement foncier et d'établissement rural, ou SAFER. Les SAFER sont des acteurs incontournables de la préservation des espaces naturels, agricoles et forestiers. Elles disposent pour cela d'un outil important, le droit de préemption, dont elles peuvent user pour assurer la transmission d'une exploitation à un professionnel et donc la continuité de l'activité agricole.
La difficulté tient à ce que les SAFER ne peuvent préempter des bâtiments qui ont eu un usage agricole que si cette activité agricole a été exercée au cours des cinq années précédant l'aliénation. Or les pressions foncières, touristiques et démographiques sont d'une telle intensité en bord de mer que ce délai de cinq ans est souvent insuffisant pour prévenir le contournement de la loi littoral. Ce délai trop peu dissuasif encourage la spéculation foncière. L'objectif de la proposition de loi est de permettre l'exercice du droit de préemption des SAFER sur des bâtiments qui ont perdu leur usage agricole pendant plus de cinq ans.
Les débats que nous avons eus en commission des affaires économiques ont été riches. Nous avons adopté des amendements présentés par différents groupes politiques pour étendre à vingt ans le délai pendant lequel les SAFER pourront user de leur droit de préemption dans les communes littorales. Un tel délai permettra de mieux lutter contre la spéculation foncière tout en respectant les exigences constitutionnelles relatives au droit de propriété et celles liées à la recherche de la preuve que les biens en question étaient d'usage agricole.
Nous espérons avant tout créer un outil suffisamment dissuasif pour inciter le professionnel qui serait tenté de vendre son bien à un particulier à ne pas le faire. Il est donc très probable que les SAFER n'auront pas, dans les faits, à user de leur nouveau droit de préemption.
Le texte proposait initialement de modifier l'exercice du droit de préemption dans les zones de montagne. En commission, il a été décidé de resserrer son objet aux espaces littoraux.