Je vous remercie, monsieur le président, de me recevoir pour la seconde fois dans votre Commission.
Cette proposition de loi est un sujet d'intérêt public, ce dont témoigne son adoption unanime en première lecture. La majorité a abondamment contribué à l'avancée de ce texte ; j'en remercie particulièrement M. Guillaume Vuilletet, qui a accompli un travail considérable. Les autres groupes se sont également investis ; je salue la participation de Mme Justine Benin, ainsi que celle de Mme Maina Sage grâce à qui des articles additionnels concernant la Polynésie française ont été adoptés.
En Guadeloupe et en Martinique, nous avons organisé des réunions qui ont rassemblé 300 à 400 personnes, ce qui montre l'importance du sujet pour les populations concernées. Je rappelle que 30 % à 44 % des biens immobiliers privés outre-mer sont en indivision ; dans certaines communes de Martinique et de Guadeloupe, ce taux atteint même 83 %. Cette situation emporte des conséquences multiples : insalubrité, insécurité, maisons abandonnées, programmes immobiliers ralentis, déstructuration familiale. C'est à partir de cette réflexion et sur la base de travaux menés en Martinique que le texte a été élaboré.
La proposition de loi que nous examinons, applicable aux collectivités régies par l'article 73 de la Constitution, prévoit un régime dérogatoire de sortie de l'indivision pour dix ans qui n'exigerait plus l'unanimité des indivisaires. Serait ainsi autorisé tout acte de vente ou de partage sur un bien indivis dès lors qu'une majorité de 51 % des droits indivis est constatée par le notaire. Bien entendu, il s'agit du principe de base ; les exceptions nécessaires sont dûment prévues.
Ce texte a été adopté à l'unanimité en première lecture par l'Assemblée nationale le 18 janvier 2018, puis le 4 avril par le Sénat à l'unanimité également. Nous l'examinerons de nouveau en séance publique le 5 décembre prochain au cours d'une semaine réservée à l'Assemblée nationale ; le Sénat, de son côté, a déjà retenu la date du 18 décembre. Il y a une volonté commune d'aboutir à un vote conforme au terme de ces deux lectures.
Le Sénat a considérablement enrichi le texte. Il a institué un droit de préemption au sein de la famille au cas où un tiers se porterait acquéreur du bien mis en cession. C'est une mesure bienvenue.
Il a également, et c'est une bonne chose, voté une exonération des taxes attachées aux opérations de partage. J'espère que M. Guillaume Vuilletet et le groupe majoritaire sauront convaincre Bercy de l'intérêt de cette disposition…
Le Sénat a encore renforcé le mécanisme de protection des droits, notamment les mécanismes d'information, afin que ceux qui ne font pas partie de la majorité des 51 % ne soient pas lésés.
Par ailleurs, le Sénat a inclus la Polynésie française dans le dispositif, mais aussi Saint-Martin et Saint-Barthélemy, qui ne figuraient pas non plus dans le texte initial.
Deux différends séparent encore les deux assemblées.
Afin de permettre aux héritiers d'exercer pleinement les actions qui leur sont ouvertes par le code civil, le Sénat a adopté une disposition aux termes de laquelle le régime dérogatoire de sortie d'indivision ne s'appliquerait qu'aux successions ouvertes depuis plus de dix ans, et non depuis plus de cinq ans comme l'avait prévu l'Assemblée nationale. La durée que nous avions retenue a ma préférence, mais si un compromis doit être trouvé, je suis prêt à me rallier à la solution du Sénat. Toutefois, je considère que cette durée nous priverait d'une masse de dossiers non négligeable – et donc des logements correspondants.
La seconde divergence porte sur la Polynésie française, dont les représentants ont légitimement formulé diverses demandes d'adaptation du droit successoral. Introduit au Sénat, le nouvel article 5 A consacre la possibilité de procéder plus facilement, dans ce seul territoire, à un partage du bien par souche, c'est-à-dire par branche familiale, quand le partage par tête est impossible. Ce choix rencontre les réserves de la Chancellerie. En séance publique, l'Assemblée nationale a adapté le dispositif d'attribution préférentielle à un cohéritier aux spécificités polynésiennes ; une autre disposition vise à empêcher la remise en cause par un héritier omis de bonne foi d'un partage judicaire transcrit ou exécuté. Comme une loi organique et une loi simple spécifiques à la Polynésie française devraient être examinées l'année prochaine par le Parlement, peut-être serait-il pertinent de renvoyer ces débats à cette échéance ? La décision reviendra aux représentants des Polynésiens.
Nous aurons donc ces deux débats avec le Sénat. Si nous parvenons à nous accorder sur une rédaction commune de cette proposition de loi, elle entrera rapidement en vigueur, ce qui sera une excellente chose car elle est attendue. À cet égard, je veux saluer l'excellent travail de notre collègue sénateur M. Thani Mohamed Soilihi, rapporteur de la proposition de loi. Je souhaite aussi remercier le Gouvernement, le Premier ministre et le Président de la République qui, lors de sa venue en Martinique, a accepté que cette proposition de loi trouve sa place dans le calendrier des travaux du Sénat au sein d'une semaine réservée au Gouvernement.
J'espère que nous pourrons, à partir de ces dispositions, conduire des politiques de gouvernance interne, dans le domaine immobilier mais aussi patrimonial. Il faudra toutefois continuer le travail : de véritables stratégies de conquête de l'urbain, de reconquête de l'immobilier et du patrimoine, doivent être mises en oeuvre de façon à rendre sa vitalité au secteur. Cela exige des moyens financiers – je pense à la sortie de l'indivision pour les plus démunis car il faut des experts coûteux – mais aussi, dans le cadre de la politique de revitalisation urbaine, des dispositifs propres à redynamiser les coeurs de ville.
Il ne faut pas attendre que la « pluie législative » tombe depuis Paris : nous devons transformer ces dispositions juridiques en projets de développement. Si chaque commune, chaque établissement public de coopération intercommunale (EPCI) se saisit de la question, nous augmenterons d'un point le taux de croissance de La Réunion, de la Martinique et de la Guadeloupe.
Ce serait là, monsieur le président, donner tout son sens aux régimes dérogatoires permis par l'article 73 de la Constitution, qui trop souvent se bornent à « tropicaliser » un texte pensé à Paris – ce qui vaut d'ailleurs aussi pour la Corse. La particularité même des populations ultramarines est ignorée par une conception strictement hexagonale. Or, ce texte représente la première vraie loi de différenciation, différenciation pour laquelle je me bats depuis des années : il a été pensé localement, retravaillé au niveau national puis adopté.
Je souhaite que demain, par une habilitation transformée, nous puissions penser un texte de loi localement, l'adopter localement, et qu'il soit ensuite approuvé par le Parlement. Cela permettrait à la France d'être en cohérence avec sa destinée, qui est de devenir une société multiculturelle s'acceptant comme telle.