Intervention de Alain SIBILLE

Réunion du jeudi 8 novembre 2018 à 10h00
Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques

Alain SIBILLE, professeur à Télécom Paris Tech :

Merci Monsieur le président. Je parlerai de la problématique des signaux 5G. Je suis membre de l'URSI France, partie française de l'Union radioscientifique internationale, qui fêtera son centenaire l'an prochain, et dont la France est partie prenante. Les progrès technologiques se poursuivent dans le domaine de la 5G avec des particularités spécifiques à ce futur standard.

Les antennes à l'émission, à la réception et l'espace libre ou obstrué sont deux aspects majeurs de cette technologie. Une formule mathématique relie la puissance reçue dans le récepteur à la puissance émise : le rapport entre les deux signifie que les puissances reçues résultent des caractéristiques propres aux antennes d'émission et de réception, ou gains des antennes, et de la diffusion de la puissance radio dans l'espace. Cette formule de propagation montre que la puissance diminue comme le carré de la distance et comme le carré de la fréquence, ce qui nous intéresse particulièrement dans le cadre de la 5G.

Une autre formule mathématique, due à Claude Shannon, est fondamentale dans le domaine de la communication. Elle fait apparaître la notion de capacité, en bitsseconde. Cette capacité concerne le débit en tant que tel. Elle fait intervenir la puissance reçue par le récepteur et les bruits électroniques de nature intrinsèque ou extrinsèque qui limitent la possibilité de détecter et de reconnaître les signaux numériques reçus.

Un autre aspect important de cette formule concerne la largeur de bande, exprimée en hertz. Car la capacité est directement proportionnelle à la largeur de bande. L'augmentation du débit se traduit donc souvent par l'exigence de bandes plus larges. Cette formule simple permet aussi d'aboutir à une notion extrêmement intéressante, l'efficacité spectrale, ou rapport entre le débit et la bande mise à disposition par la puissance publique.

Il s'agit donc de pousser le plus possible cette efficacité spectrale, moyennant les limites existantes, afin d'utiliser autant que possible le spectre qui correspond à une limite au-delà de laquelle on ne peut pas aller. Parmi les problématiques importantes des réseaux sans fil, un sujet important concerne la montée en fréquence des 900 mégahertz du GSM aux 30 à 80 gigahertz de la 5G et peut-être au-delà. On a vu que, pour une puissance émise donnée, la puissance reçue varie comme l'inverse du carré de la fréquence. Si nous passons, par exemple, de 3 à 30 gigahertz, niveau minimal des ondes millimétriques, la puissance reçue est divisée par 10 au carré, soit par 100. La technologie est limitée par le bruit dans le récepteur, et la diminution de la puissance reçue par 100 complexifie le fonctionnement. Il y a une atténuation de propagation importante à mesure que nous montons en fréquence, ce qui signifie que la portée diminue.

D'autres effets plus insidieux sont constatés s'agissant de cette technologie. Par exemple, la propagation se déroule de manière plus directive. La lumière se diffuse en ligne droite. La diffusion est beaucoup plus diffractive en très basse fréquence, ce qui permet aux ondes de « tourner » autour des bâtiments. L'augmentation en fréquence rend l'onde plus directionnelle. Si le corps d'une personne interrompt un faisceau à 60 gigahertz en passant devant, il peut y avoir une atténuation importante. De fait, la portée est plus faible, la pénétration à l'intérieur des bâtiments est plus complexe et il faut, le cas échéant, orienter les antennes pour tenir compte du phénomène de directionnalité.

Parmi les autres difficultés technologiques, la haute fréquence offre des performances moins bonnes des antennes, des pertes au niveau des circuits électroniques. Les pertes sont moins dramatiques au fur et à mesure que la technologie progresse, mais elles peuvent avoir des conséquences. C'est par exemple le cas pour les smartphones, ces terminaux d'usage courant, moins coûteux, aux performances moins élevées, dont les batteries nécessitent d'être vigilant en termes de consommation. Nous devons, de plus, intégrer les antennes aux appareils le plus possible, ce qui diminue leur performance. Ce problème concerne moins les stations de base qui sont plus grandes, et pour lesquelles l'opérateur paie un peu plus cher. Le problème existe toujours, mais il est de moindre nature.

Parmi les autres problématiques, il y a celle du mouvement : lorsqu'un terminal se déplace, le signal varie au fil du temps, ce qu'on appelle les « évanouissements ». Ce sujet est d'autant plus important que la mobilité est grande, particulièrement à haute fréquence. Le traitement du signal à l'émission et à la réception doit faire attention à l'effet Doppler. Les usages en grande mobilité doivent tenir compte de ce sujet.

Les interférences évoquées précédemment sont un problème naturel des réseaux cellulaires, de la 2G à la 5G. Or les cellules des réseaux de télécommunications se complexifient. Nous essayons donc parfois de bénéficier de ces particularités pour tenter de limiter les effets néfastes des interférences et de bénéficier de la complexité des réseaux.

Une autre particularité importante est la dissymétrie traditionnelle, liée aux usages, entre la liaison montante et la liaison descendante. Cette dernière est liée aux signaux qui viennent du réseau, c'est-à-dire des stations de base. La liaison montante est liée aux transmissions reçues depuis les usagers. En général, le débit plus important vient du réseau, par exemple pour consulter une vidéo, alors que la communication téléphonique simple mobilise quelques kilobits, c'est-à-dire peu. L'usager peut vouloir envoyer de la vidéo, ce qui diminue la dissymétrie entre liaison descendante et montante. Les usages peuvent être dissymétriques selon des cas de figure qui sont très divers. La dissymétrie n'était pas bien prise en compte dans les réseaux historiques. Ce sujet sera pris en compte de façon plus efficace dans les réseaux 5G.

Un dernier point sur la 5G concerne les applications en temps réel. Le délai de latence pour la 5G est de l'ordre de grandeur de la milliseconde. Mais une limitation conséquente est la vitesse finie de la lumière, c'est-à-dire des ondes électromagnétiques, de 300 000 kilomètresseconde, soit déjà quelques microsecondes pour des distances de quelques kilomètres. La propagation de la lumière dans les fibres optiques étant moins rapide que dans l'espace, il faudra d'autant plus tenir compte de cette limitation.

Les progrès technologiques en émergence concernent notamment la technologie dite MIMO1, commercialisée depuis dix ans. Plusieurs éléments sont associés à une même antenne à l'émetteur et au récepteur, ce qui favorise le pointage de faisceau. Cette technologie améliore la propagation du signal. La puissance au niveau du récepteur s'en trouve améliorée et la variété du signal peut être pondérée par de meilleures antennes. La consommation électrique peut aussi s'avérer moins élevée, ce qui représente un aspect très important pour les usagers, comme pour les stations de base. Enfin, un autre point important est lié à la possibilité de communiquer simultanément avec plusieurs usagers, ce qui offre un débit agrégé plus important pour une même fréquence.

La montée en fréquence est une autre avancée importante de la 5G. La propagation sera de moindre portée mais elle permet de réutiliser le spectre plus facilement. Les coûts d'investissement doivent être présents à l'esprit, car il faudra installer de nombreuses stations de base pour bénéficier de cette capacité de réutilisation du spectre.

D'autres aspects intéressants liés aux développements technologiques de ces futurs standards doivent être pris en compte. Une flexibilité plus importante sera nécessaire en raison de la multiplicité des dispositifs. Les smartphones ont besoin de beaucoup de débit. Cette flexibilité peut être facilitée par l'agrégation de différentes bornes de fréquence. Les réseaux 4G et 5G vont cohabiter durant de nombreuses années, y compris avec le Wi-fi, ce qui offrira un débit global important. La communication pourra se dérouler en alternance très rapide entre la montée et la redescente des signaux au sein d'un même canal fréquentiel, ce qui permet de gérer la flexibilité de façon assez intéressante.

En outre, l'efficacité spectrale de la formule de Shannon consiste à exploiter au mieux une bande de fréquence donnée. Or les progrès se déroulent au niveau des canaux fréquentiels avec la 5G. Il faut pouvoir faire au mieux avec les fréquences disponibles : donner beaucoup à ceux qui demandent beaucoup, moins à ceux qui demandent moins, et utiliser des modulations numériques plus complexes. Pour une fréquence donnée, le nombre de mégabits sera supérieur, mais restera limité par la formule de Shannon. Le flux de bits entrant, de la voix ou de l'image, donnera lieu à un codage canal, ce qui améliore la robustesse de la communication. Ces progrès, certes limités, permettront d'améliorer l'efficacité spectrale des réseaux 5G.

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