Intervention de Olivier Merckel

Réunion du jeudi 8 novembre 2018 à 10h00
Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques

Olivier Merckel, chef de l'unité d'évaluation des risques à l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (ANSES) :

Merci Monsieur le président. Je vous remercie de donner l'opportunité à l'ANSES de rappeler son rôle d'accompagnement des développements technologiques, pour en identifier en particulier les éventuels impacts sur la santé. Les controverses associées au compteur Linky montrent l'importance de cette démarche, notamment en matière de transparence des expositions.

Les préoccupations associées au développement des technologies de communication sont bien connues. Elles font l'objet de nombreux articles de presse notamment. Elles ont trouvé une forme de caisse de résonance avec l'explosion du développement de la téléphonie mobile. Du milieu des années 1990 à la fin des années 2000, de grands programmes de recherche nationaux ont ainsi été mis en place dans divers pays, notamment en Europe. L'Organisation mondiale de la santé (OMS) diffuse depuis plusieurs années un agenda de recherche qui incite les laboratoires à orienter leurs recherches dans des directions données. Depuis 2011, l'ANSES publie chaque année un appel à projets de recherche sur les risques liés à l'exposition aux radiofréquences. Le mode de financement de cet appel à projets de recherche changera puisque la taxe additionnelle à l'imposition forfaitaire pour les entreprises de réseau devrait être supprimée selon le projet de loi de finances pour 2019. Nous prévoyons un remplacement de ces crédits par une subvention attribuée à l'Agence pour financer ces recherches.

Les agences d'évaluation des risques prennent en compte ces différents éléments pour fournir leurs conclusions afin de répondre aux questions communes sur les risques liés à l'usage du téléphone mobile. Même si les risques sont faibles, la question revêt une importance capitale car ils concernent des milliards d'utilisateurs.

Comment répondre à la question des risques ? Tout d'abord, il faut bien définir ce que nous étudions. Parler de l'impact de la 2G, 3G, 4G ou 5G n'a pas un grand sens du point de vue biologique et de la santé : il faut étudier dans le détail les technologies employées. Les fréquences associées à la 5G s'échelonneront de 700 mégahertz à 26 gigahertz. L'impact de ces rayonnements électromagnétiques n'est pas du tout le même en fonction des fréquences.

Les éléments importants sont la fréquence et l'intensité des rayonnements ainsi que leur forme temporelle, c'est-à-dire leur modulation, la durée, à savoir une exposition chronique ou extrêmement ponctuelle avec peut-être une focalisation sur l'utilisateur. Que cela signifie-t-il d'être exposé à long terme à des niveaux relativement bas ou élevés, mais de manière extrêmement ponctuelle ?

Je reviens sur la notion de fréquence et d'impact sur le corps humain. Plus on monte en fréquence, plus le corps humain devient opaque au champ électromagnétique. Dans les très basses fréquences, dont le transport d'électricité, nous sommes « traversés » par les ondes sans grande interaction, sauf pour les terminaisons nerveuses du corps. Les communications mobiles de l'ordre du gigahertz au moins transfèrent de l'énergie : le rayonnement électromagnétique peut chauffer les tissus et produire d'autres effets à des intensités inférieures. Aux alentours du gigahertz, les rayonnements pénètrent sur plusieurs centimètres, dont le cerveau, soulevant la question du lien possible entre l'exposition au téléphone mobile posé près de la tête et les tumeurs au cerveau. En montant davantage en fréquence, la pénétration est beaucoup moins bonne pour les bâtiments comme pour le corps humain. À 20, 30 ou 40 gigahertz, il n'y a quasiment plus de pénétration dans le corps et l'essentiel de l'énergie est absorbé au niveau de la peau. La 5G ne doit donc pas être considérée comme un tout, mais il faut bien étudier le niveau d'exposition en fonction des fréquences utilisées.

Notre objectif est la compréhension des mécanismes d'interaction potentiels entre les champs électromagnétiques et le vivant, avec par exemple des cultures cellulaires. Nous cherchons à comprendre comment les rayonnements interagissent avec le fonctionnement biologique qu'il s'agisse de la peau, du cerveau ou d'autres organes. Nous travaillons aussi, plus globalement, sur les organismes, les animaux ou l'homme, pour tenter d'étudier si nous associons le développement de certaines pathologies à plus ou moins long terme à ces champs électromagnétiques.

Le 1er novembre 2018, le National Toxicologic Program (NTP) américain a publié les résultats finaux de son étude sur le caractère cancérogène des radiofréquences. Ce programme représente un budget de 25 millions de dollars, dix ans d'études et 1 200 rats exposés durant leur vie entière afin d'analyser un impact des radiofréquences à différents niveaux d'exposition. Les conclusions du NTP parlent d'un risque évident de cancer associé aux champs électromagnétiques pour des rats mâles exposés à des ondes à intensité relativement élevée. Les agences sanitaires doivent confronter ces résultats à d'autres études conduites pour en déduire des conclusions sur la santé humaine. En effet, transposer le résultat de ces études à l'homme n'est pas simple.

Une autre étude importante à considérer concerne les études en population. Le Centre international de recherche sur le cancer a classé, en 2010, les radiofréquences parmi les cancérogènes possibles pour l'homme, notamment sur la base des études épidémiologiques qui ont mis en évidence la possibilité d'un risque plus élevé de tumeurs du cerveau pour les grands utilisateurs de téléphone mobile. Nous parlons de « possibilité ». Nous n'avons donc pas de certitude quant à l'association entre l'exposition au téléphone mobile et un risque avéré pour les personnes, notamment en matière de cancer.

L'ANSES s'est intéressée à divers aspects des champs électromagnétiques sur l'ensemble du spectre, des basses fréquences aux hautes fréquences, dont le compteur Linky. Notre rôle consiste à combiner toutes les études et à en tirer des conclusions utilisables par les pouvoirs publics. La diversité des résultats des études disponibles et les niveaux de preuve non tranchés présentent une difficulté conséquente. Il n'est donc pas possible d'avoir une position définitive. Certaines études mettent en évidence des effets sur la santé. Des effets biologiques ont été observés, mais aucune preuve d'un risque certain n'a été constatée sur l'homme en matière de cancérogénicité.

En ce qui concerne la 5G, il est fondamental de distinguer les bandes de fréquence et la nécessité de se préoccuper des expositions. La feuille de route pour la 5G mentionne, comme quatrième axe, la transparence et le dialogue sur les déploiements et l'exposition du public. C'est par ce biais que nous accompagnerons le développement technologique pour en comprendre les impacts sur l'exposition et la santé. L'Agence ne pourra pas travailler sur ces questions sans données. Nous avons impérativement besoin de données précises, de la part des opérateurs et des constructeurs d'antennes, sur l'exposition, la durée d'exposition et les technologies des antennes. Nous travaillons avec l'ANFR et la Fédération française des télécommunications pour organiser le recueil des données que nous devons récupérer pour travailler efficacement.

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