En ce qui concerne le renouvellement du premier contrat, je me permets de faire un rectificatif : on ne peut pas dire que le taux se détériore depuis des années. Il était de 87 % il y a encore peu de temps, même s'il est vrai qu'il s'élève désormais à 53 %.
Le phénomène d'« attrition », qui se caractérise par la dénonciation du contrat dans les premiers mois, a deux explications. La première tient à la découverte d'un environnement marqué par la sur-sollicitation, avec des missions qui n'ont pas toujours de sens – ce sont les 100 000 interventions inutiles que j'évoquais. La seconde explication – et c'est pour cela que j'ai parlé du risque de déshumanisation du sapeur-pompier s'il est soumis à de fortes contraintes opérationnelles – a trait à l'accueil des plus jeunes.
Nous faisons des efforts dans ce sens. Nous devons montrer que, précisément en vertu de la camaraderie et de la cohésion, qui constituent notre marque de fabrique et sont les garantes de notre efficience, certains schémas sont éculés et ne sauraient être perpétués. Nous devons mener des actions très fortes afin de prévenir ces comportements. Même s'ils sont très marginaux, ils perdurent, comme c'est également le cas dans les SDIS. Pour moi, c'est un fléau national, au même titre que le sexisme, sur lequel je me prononcerai tout à l'heure. Nous combattons ces phénomènes. S'agissant du taux de rengagement au bout de cinq ans de service (53 %), il est effectivement faible. Nous avons donc mis en place, pour ceux qui hésitent à signer un nouveau contrat, des contrats beaucoup plus individualisés (un, deux, trois, quatre ou cinq ans) pour tenter de les garder parmi nous.
Toutefois, je le répète, la principale cause de l'attrition ou de la baisse des rengagements, ce sont bien les interventions non motivées, qui affectent nos camarades, y compris, là aussi, ceux des SDIS. Tant que l'on n'aura pas inversé la tendance, c'est-à-dire que l'on n'aura pas recentré l'activité sur des missions ayant du sens, des missions de véritable secours, on observera une attrition par démotivation des personnels.
En ce qui concerne la crue, nous avons constaté, en 2016 – même si c'était alors une crue décennale, dont l'ampleur n'était donc pas comparable à celle de la fameuse crue centennale –, la fragilité provoquée par l'urbanisation et la multiplication des réseaux. Par ailleurs, la gestion des crues relève de l'état-major de zone. La brigade n'est qu'un des acteurs ; elle intervient en complément. Les crues sont en effet des phénomènes de bassin, qui concernent aussi nos camarades sapeurs-pompiers civils d'Île-de-France. La coordination de l'ensemble des moyens se fait au niveau de l'état-major de zone, qui est installé à la préfecture de police, laquelle coordonne l'action des services de secours, mais aussi celle des dispositifs municipaux, des associations et des armées, dans le cadre du plan Neptune.
Notre priorité, en cas de crue, est bien sûr le sauvetage des personnes. À la différence d'un incendie ou d'une action terroriste, la crue peut être prévue 72 heures à l'avance. Autant le pompier est optimiste dans l'action, autant il est pessimiste dans la réflexion. C'est pourquoi, en 2016, nous avions anticipé 10 centimètres de plus, même si nous n'avions pu prévoir qu'un capteur serait perturbé par une algue. Comme nous avons aussi la responsabilité des musées, c'est-à-dire de l'évacuation des oeuvres, ce qui prend du temps, nous réfléchissons toujours sur la base de prévisions plus pessimistes.
Comme je le disais, les enjeux d'une crue importante dépassent la brigade : il s'agit de décider de l'évacuation des populations, et dans quel ordre elle se fera, sans oublier les risques de pillage que cela implique. Se pose aussi le problème de l'information : comment informer tout le monde, notamment les personnes âgées ? Nous travaillons donc sur divers scénarios. Il faut également former les populations, et s'appuyer sur les réseaux locaux, en particulier les mairies, qui connaissent très bien le terrain : il y a là un tissu d'information très fin. Sur le plan tactique, il faut prévoir des embarcations de sauvetage rapide, des camions ayant une petite capacité amphibie. Les moyens d'épuisement n'interviennent – et c'est souvent un motif d'incompréhension de la part des sinistrés – que lorsque la phase de décrue commence : on ne peut pas pomper l'eau tant que celle-ci continue à monter.
Il faut aussi se préparer en étudiant les nappes phréatiques, ce qui n'est pas vraiment prévu pour l'instant. Si, en 2016, nous avons été en mesure de réagir, au moins dans une certaine mesure, c'est parce qu'en fouillant dans nos archives nous nous étions aperçus que le plus redoutable était en réalité la montée des nappes phréatiques, laquelle a lieu avec un temps de retard par rapport à celle des eaux. Or nous n'avons plus beaucoup de sources d'information sur le sujet, et il est très difficile de modéliser le processus. Voilà pourquoi nous travaillons sur une hypothèse de 10 centimètres supplémentaires.
Quoi qu'il en soit, je le répète, il s'agit là d'une manoeuvre dont la conception ne relève pas de la brigade : elle concerne l'ensemble de la région, est organisée à l'échelle de la zone et fait appel à un nombre d'acteurs important. De mon point de vue, dans ce contexte, l'enjeu essentiel est d'informer les gens au plus vite et de prendre la décision d'évacuer – ou pas. Pour la partie du Val-de-Marne qui était concernée lors de la dernière crue, on avait développé des capacités de secours aux personnes, y compris en cas d'incendie, de façon à intervenir sur des embarcations pour aider ceux qui souhaitaient rester dans leur pavillon – mais cela ne peut fonctionner que pour une durée très limitée. Lorsque vous reviendrez nous voir, je pourrai vous fournir une réponse plus complète sur le sujet.
En ce qui concerne l'éducation de la population, et par comparaison avec la population japonaise, comme vous l'avez dit, celle-ci est beaucoup plus disciplinée et elle profite de centres d'éducation des populations aux risques. Nous recevons 2,5 millions d'appels environ ; seul un sur cinq donne lieu à un départ, soit 520 000 interventions. Or, malgré ce tri, 100 000 interventions ne se traduisent par aucune action. Quels leviers pouvons-nous utiliser pour remédier à cette situation ? Je présenterai la semaine prochaine un plan d'action ; le président Bridey membre de la CCGB en aura des échos.
La place des femmes est, selon moi, un enjeu majeur, car l'émergence du leadership féminin correspond à une évolution de la société. La brigade ne s'est ouverte aux femmes que depuis une quinzaine d'années. Pourquoi est-ce difficile ? Je vous rappelle le mode de recrutement : les sous-officiers sont issus du corps des militaires du rang. Cela suppose, à partir de l'âge de 18 ou 19 ans, et pendant cinq ou six ans, de grimper les échelons en passant des examens. Physiquement, c'est très dur, et dès que l'on rate une marche, on est quasiment sorti du jeu. Il est difficile pour des jeunes femmes de concilier ce parcours avec leur vie de compagne ou d'épouse, voire de mère. En termes de ressources humaines, nous allons expérimenter, pour les officiers et les sous-officiers militaires du rang, et par une distorsion de la règle, la possibilité pour les femmes de prendre une année blanche, voire deux années, pour leur permettre d'avoir des enfants.
Les jeunes femmes réussissent parfaitement dans les fonctions de capitaine et commandant d'unité, qui supposent pourtant un management de proximité assez difficile, comme nous en avons vu encore deux exemples cette année. Les hommes ne font pas du tout la différence : elles sont respectées.
L'enjeu, pour moi, est de leur permettre de réussir l'École de guerre – car nous sommes des militaires. Cela veut dire qu'à 30 ans ou à 32 ans, c'est-à-dire quand c'est peut-être le moment pour elles de faire un deuxième enfant, elles doivent se replonger dans les livres. C'est là que l'année blanche peut être nécessaire pour leur permettre de réussir au même titre que leurs camarades masculins. Une femme a d'ailleurs réussi cet exigeant concours et commandera au milieu des années 2020.
Quoi qu'il en soit, j'essaie toujours de privilégier le talent et les compétences à la loi du genre. Je ne désespère pas : dans cinq ou six ans – peut-être quinze ans – nous devrions réussir à avoir plusieurs femmes chef de corps. Le but est non pas de mettre des femmes parce que ce sont des femmes, mais de leur permettre d'accéder à ces fonctions, tout en tenant compte de leurs aspirations personnelles.
En ce qui concerne le sexisme, je me suis exprimé au mois de juillet dans un article publié par Le Monde. Je rappellerai simplement que les cinq affaires concernant la brigade s'étalent sur une période de neuf ans. Je précise aussi que le sujet me tient à coeur. Mais, en étudiant les chiffres de l'Observatoire du harcèlement, je constate également que 50 % des entreprises sont touchées par le phénomène. En disant cela, je n'excuse en rien ces agissements, et dès qu'un cas est avéré, la sanction est claire : le coupable prend la porte, il n'y a aucune circonstance atténuante. Nous avons mis en place un système de détection, avec des référentes chargées de la mixité, des assistantes sociales, des médecins et des psychologues, sans oublier l'échelon de commandement, car c'est à lui qu'il revient de détecter les cas. Les sanctions sont exemplaires.
Je dois aussi éviter l'instrumentalisation. Il me faut préserver la présomption d'innocence, tout en évitant de douter de la parole de la victime, et alors que le temps judiciaire et médiatique joue contre moi. Je dois envoyer un message fort, tout en évitant de stigmatiser.
Nous travaillons à la détection, sans oublier la prévention. Nous avons ainsi mis en place des MOOC et, comme j'aime bien les contre-pieds, en mars prochain, je ferai appel à un conteur, Yannick Jaulin, qui va s'immerger dans la brigade et montrer, dans une série de saynètes, les maladresses du pompier, tout en insistant sur les difficultés auxquelles celui-ci est confronté. Le dernier conte illustrera toute l'absurdité d'une action de harcèlement sexiste ou de « bahutage » d'un jeune – phénomène qui, je le répète, est très marginal, mais c'est encore trop –, en insistant sur le fait que, finalement, ce que les pompiers mettent en avant dans les actions difficiles qu'ils doivent mener, c'est-à-dire la camaraderie et la cohésion, ils le détruisent sans s'en rendre compte par de tels comportements, et ce à cause de l'effet de groupe.
Je ne sais pas si vous trouverez dans le monde civil un dispositif similaire, avec aussi bien la détection que la prévention…