Intervention de Serge Morvan

Réunion du mercredi 21 novembre 2018 à 9h45
Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire

Serge Morvan, Commissaire général à l'égalité des territoires :

Mesdames et messieurs les députés, c'est un honneur pour moi que de m'exprimer devant vous. C'est pourquoi j'aborde cette audition avec une grande solennité.

Je m'efforcerai de vous dire ce qui a conduit ma réflexion pour établir le rapport de préfiguration qui m'avait été commandé dans une lettre de mission signée par le Premier ministre. J'ai pris mes fonctions le 23 avril 2018 ; j'ai remis ce rapport en juin 2018 ; et depuis, se sont déroulés un certain nombre d'événements que j'exposerai.

Je me suis posé quatre questions au sujet de cette Agence nationale de la cohésion des territoires. Pourquoi une agence ? Pourquoi serait-elle nationale ? Que signifie assurer la cohésion ? Quels sont les territoires concernés ?

Dans une France à l'organisation décentralisée, le débat traditionnel consiste à se demander quelle est la légitimité de l'intervention de l'État. Une telle intervention est-elle nécessaire ? À quel point faut-il décentraliser ?

Le débat sur la décentralisation est parfaitement légitime. J'en connais bien les termes, pour l'avoir appréhendé dans différentes fonctions pendant de nombreuses années. En effet, vous savez peut-être que j'ai été directeur général des collectivités locales, conseiller technique au cabinet de M. Daniel Vaillant lorsqu'il était ministre de l'intérieur, et directeur de cabinet de M. André Vallini, secrétaire d'État à la réforme territoriale, puis préfet des Yvelines. J'ai également été directeur général des services de conseils départementaux, pendant quatre ans en Saône-et-Loire et pendant un peu moins de trois ans en Seine-Maritime.

Cependant, je ne me suis pas placé sur ce plan, du moins pas d'emblée. J'ai cherché à savoir si, en pratique, il y a actuellement une adéquation point par point entre les besoins des territoires, tels qu'ils sont exprimés de manière plus ou moins détaillée par les élus qui portent les projets, et les ressources. Les ressources permettent-elles à chaque fois de passer d'un projet politique à une stratégie d'action territoriale ? Si une telle adéquation existe dans la grande majorité des cas, la création d'une Agence nationale de la cohésion des territoires n'est sans doute pas nécessaire. Si, par contre, les projets n'aboutissent pas dans de nombreux territoires, il faut d'abord comprendre pour quelles raisons, puis établir une nouvelle démarche et peut-être une structure nouvelle.

En ce qui concerne la première question, mon expérience personnelle ainsi que les auditions que j'ai menées m'ont conduit à constater que les efforts sont réels, que les structures locales sont souvent efficaces et pertinentes, mais que malgré tout, dans beaucoup de territoires, les projets n'aboutissent pas, pour deux raisons principales. La première en est le manque de moyens, aussi bien au niveau de la maîtrise d'ouvrage qu'à celui de la maîtrise d'oeuvre ou de l'aide technique et financière – « ingénierie » est un mot valise. La deuxième raison est le maquis incroyable de règles et d'interlocuteurs, y compris au sein des services de l'État ou de ses opérateurs, qui tiennent des discours différents. Pour un porteur de projet, ce maquis et les délais qu'il entraîne sont décourageants. Parfois les règles appliquées par les collectivités locales ne sont pas simples non plus.

Comment faire pour améliorer cette situation ? Si vous me permettez une expression dramatique, une « mobilisation générale » est nécessaire autour des projets des territoires, à laquelle l'État doit prendre sa part, non pas en disant ce qu'il faut faire ou ce qui est bon pour les collectivités territoriales, mais en les écoutant. Sans jeter la pierre à personne, j'affirme qu'il faut changer d'état d'esprit et renoncer à se substituer aux autres, à poser d'abord la norme et à attendre des collectivités qu'elles s'y conforment. Ce n'est pas la première fois que vous entendez qu'il faut changer de paradigme, mais justement, les structures actuelles se sont montrées impuissantes à mettre en oeuvre cette transformation.

On pourrait penser qu'il suffit de revenir en arrière, mais un tel retour en arrière est impossible et il ne serait pas efficace.

J'ai été nommé Commissaire général à l'égalité des territoires le 23 avril dernier, et depuis que j'exerce ces fonctions, je travaille à mettre en oeuvre la politique d'aménagement et de cohésion du territoire. Le commissariat général a, par exemple, la charge de la tutelle de l'ANRU et de la cotutelle de l'Agence nationale de l'habitat (ANAH). Cependant, exercer cette tutelle, donner des instructions, est différent de coordonner l'action des opérateurs. En effet, une administration centrale peine à raisonner en se mettant à la place des opérateurs, parce que son mode de fonctionnement est différent.

C'est pourquoi je soutiens dans mon rapport qu'un opérateur d'opérateurs est nécessaire. Nous avons besoin d'un opérateur déconcentré, qui soit au service des collectivités territoriales et des territoires de projet, qui soit un outil à la main des préfets de département comme de région, pour que nous puissions faciliter l'aboutissement des projets portés par les territoires. Cet état d'esprit et cette démarche sont constitutifs de ce que doit être l'agence, plus encore que sa structure.

Pour en venir à la structure, le préfet sera délégué territorial de l'agence, ce qui lui donnera la légitimité pour mieux coordonner les actions d'opérateurs qui sont souvent centralisés. Sa mission sera relativement simple. Un ou plusieurs élus d'un territoire, quel qu'il soit – ultramarin, de montagne, urbain ou rural, territoire d'industrie ou non –, doivent pouvoir rencontrer le délégué territorial de l'agence qu'est le préfet, afin d'établir un premier état des besoins d'ingénierie. Il faut pouvoir s'appuyer sur les agences techniques départementales, les agences d'urbanisme, les services des collectivités territoriales et les services déconcentrés de l'État. Certes, la direction départementale des territoires (DDT) a connu des réductions d'effectifs importantes et l'on ne reviendra pas totalement en arrière. Il ne s'agit donc pas d'une recentralisation, mais d'une décentralisation de l'examen des projets et d'une déconcentration de leur instruction par l'État.

Les élus devraient pouvoir rencontrer un interlocuteur unique, qui puisse parler au nom de l'État, afin d'éviter de démobiliser les élus qui sont las d'obtenir des réponses différentes à leurs questions. Cela ne signifie pas que les élus ne pourront pas s'adresser à l'ANAH, à l'ANRU... Il ne s'agit pas de poser sur les territoires une chape de plomb !

Les territoires pourront faire appel à l'agence ou au préfet de manière individuelle ou groupée. Le programme « Action coeur de ville », par lequel 222 communes moyennes par la taille de leur population ont droit à une aide différenciée de l'ensemble des acteurs locaux ou nationaux pour rénover leur centre-ville, offre un exemple d'une telle action groupée. On pourra ainsi mener des actions dans tous les domaines de la vie quotidienne de nos territoires, tels que la mobilité, l'accès aux soins ou la culture.

Enfin, j'ai présenté dans ce rapport deux scénarios. Le premier a l'avantage de la clarté : il s'agit de fusionner au sein de la nouvelle agence tous les opérateurs qui travaillent dans ce domaine : l'ANAH, l'Agence du numérique, l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (ADEME), l'Agence nationale pour la rénovation urbaine (ANRU), l'Établissement public national d'aménagement et de restructuration des espaces commerciaux et artisanaux (EPARECA) et le Centre d'études et d'expertise sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement (CEREMA). Toutefois, ce scénario pose problème en raison de la guerre de tranchées et du mécano institutionnel qui s'ensuivraient pendant cinq à sept ans : pendant cette période, l'énergie perdue dans la fusion ne serait pas consacrée aux territoires eux-mêmes et à leurs projets.

Pour cette raison, le scénario qui a ma préférence consiste en une vraie fédération des opérateurs autour de l'Agence nationale de la cohésion des territoires. C'est ce scénario qui a été effectivement voté au Sénat : une fédération qui intégrerait deux opérateurs qui sont liés à juste titre, à savoir l'Établissement public national d'aménagement et de restructuration des espaces commerciaux et artisanaux et l'Agence du numérique. Chacun de ces opérateurs représente une trentaine de personnes : c'est donc une intégration plus facile à réaliser que celle des 2 800 personnes du CEREMA ou des 1 000 personnes de l'ADEME, et elle doit pouvoir être menée à bien sans perdre en capacité opérationnelle. Les quatre autres opérateurs, c'est-à-dire l'ANRU, l'ANAH, l'ADEME et le CEREMA, seront fédérés autour de l'Agence nationale de la cohésion des territoires.

En effet, si les enjeux sont nombreux, tels que la mobilité ou le désenclavement, deux questions fondamentales se posent dans tous nos territoires : la couverture numérique et l'accès aux soins, notamment dans les zones rurales. C'est pourquoi l'article 2 de la proposition de loi établit que ces deux objectifs doivent être des missions de l'Agence nationale de la cohésion des territoires.

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