Je reçois un appel : « Bonjour Monsieur, je suis un analyste de la société Kyrielle. Je vous appelle car nous avons une offre exceptionnelle à vous faire : une cuisine avec tous les équipements intégrés ». Pas très intéressé, je demande à la personne d'où elle appelle et elle me dit : « De Tunisie ». Je lui réponds : « Bon courage à vous et vive la Tunisie ! ».
Avec les centres d'appel délocalisés, nous assistons à un véritable gâchis de l'élite des pays du Maghreb et de l'Afrique noire. Cette jeunesse diplômée prête à aller enseigner dans les campagnes et à gérer des hôpitaux, que lui fait-on faire ? Vendre à distance du foie gras, des forfaits téléphoniques et des grands crus de Bourgogne ! Au lieu de lui faire bâtir un monde meilleur au pays, on lui fait faire un boulot inutile, voire nuisible, un boulot de larbins qui consiste à nous refiler des gadgets. C'est un saccage de la matière grise la plus qualifiée des pays du Sud. Une autre option de développement est pourtant possible.
Un de mes collègues journalistes a rencontré une jeune fille tunisienne nommée Safa, qui vend à longueur de journée des panneaux photovoltaïques. Safa a étudié à l'Institut supérieur des sciences humaines de Tunis où elle a soutenu, en cinquième année de littérature française, un mémoire de deux cents pages consacré à La modification de Michel Butor pour lequel le jury lui a donné la note de 18 sur 20. Elle est prête à aider au développement de son pays, quitte à aller enseigner dans les campagnes et que fait-elle ? Elle passe quarante-cinq heures par semaine dans un centre d'appel pour 300 euros par mois !
Nous devons avoir une autre vision du développement et interdire la délocalisation des centres d'appel. Les services téléphoniques pour des contrats conclus en France doivent être situés en France. Il faut faire en sorte que la matière grise dans les pays du Sud soit utilisée à développer les pays du Sud.