Intervention de Marie-Christine Saragosse

Réunion du mercredi 4 octobre 2017 à 9h35
Commission des affaires culturelles et de l'éducation

Marie-Christine Saragosse, présidente de France Médias Monde :

InfoMigrants est avant tout un projet emblématique des valeurs portées par notre groupe, puisque l'idée est venue de France Médias Monde. Nous nous sommes associés avec Deutsche Welle, qui a estimé, comme nous, qu'il fallait pouvoir fournir à ceux qui étaient la proie des passeurs une information fiable. En conjuguant la créativité française et la connaissance des arcanes bruxelloises de nos amis allemands, nous avons rapidement obtenu le soutien de la Commission européenne. Nous nous sommes ensuite tournés vers les Italiens de l'ANSA, car il nous semblait inimaginable de parler aux migrants sans associer les Italiens. La Commission nous a donc donné une enveloppe de 2 millions d'euros pour développer ce site, basé à Paris, à Berlin et à Rome, la plus grosse équipe étant à Paris avec neuf personnes, six personnes travaillant à Berlin et quatre à Rome.

Jusqu'à présent développé en trois langues, le français, l'anglais et l'arabe, le site, qui a été évalué par l'Open University britannique, a obtenu un tel satisfecit que non seulement la Commission vient de renouveler notre enveloppe pour 2018, mais elle y a ajouté 500 000 euros pour que nous développions une quatrième langue. Le plus gros contingent de réfugiés étant originaire d'Afghanistan, nous allons donc travailler avec la Deutsche Welle au développement du pachtoune et du farsi.

Peter Limbourg, le patron de la Deutsche Welle, et moi-même avons tellement apprécié de mener ce projet ensemble que nous voudrions poursuivre cette coopération, au travers d'un site multilingue consacré à la citoyenneté européenne, auquel seraient associés d'autres services publics européens. Nous avons même imaginé que ce site pourrait, à terme, se déployer jusqu'aux frontières de l'Europe – pourquoi pas en russe et en turc. Nous allons donc monter un groupe de travail pour réfléchir à ce projet et aux financements que nous pourrions obtenir, en nous disant que c'est une belle façon de rendre l'Europe concrète et vivante.

Pour en revenir à InfoMigrants, le site fonctionne bien, qu'il soit consulté en accès direct ou via les réseaux sociaux, et s'avère bien adapté à la mobilité, sachant que la dernière chose dont les migrants refusent de se séparer, c'est leur téléphone. Lancé en mars dernier, InfoMigrants a déjà reçu 900 000 visiteurs, qui y trouvent toutes sortes de mises en garde mais également de jolies histoires, comme celle de ce jeune réfugié syrien qui vient d'obtenir son bac avec mention Très Bien, alors qu'il ne parlait pas français il y a trois ans.

Mais InfoMigrants vient presque trop tard, puisqu'il s'adresse à des gens qui ont déjà pris la décision de partir ou sont déjà sur la route. C'est la raison pour laquelle nous avons décidé d'émettre en mandingue dans la bande sahélienne. En effet, au vu de la croissance démographique africaine, on nous parle d'un vivier de 700 millions de francophones mais, au-delà du fait qu'il faudrait d'abord se préoccuper de savoir si les systèmes éducatifs et les systèmes de santé pourront faire face, il faut garder à l'esprit que, pour la plupart des jeunes Africains, le français n'est pas la langue maternelle. Si l'on veut préparer l'avenir, il faut donc mener une réflexion approfondie sur le développement de projets en langues africaines. France Médias Monde s'implique déjà en ce sens, au travers de ses rédactions africaines mais aussi grâce au Talisman brisé, une méthode d'apprentissage du français intégrée à nos programmes.

Nous réfléchissons à aller au-delà, voire à créer à Ouagadougou, toujours avec la Deutsche Welle ou en partenariat avec l'AFP, un média dédié aux langues africaines, non seulement au mandingue mais également au peul, qui est parlé par 30 millions de personnes dans la zone sahélienne, laquelle n'a pas seulement une importance géostratégique mais est aussi une zone névralgique pour le développement de la francophonie. Reste que, pour mener à bien tous ces projets, il nous faudrait du temps, or nous voilà pris de court par les derniers arbitrages budgétaires.

Madame Mörch, vous m'avez également interrogée sur l'éducation aux médias. Nous avons un outil qui s'appelle Info-Intox et que nous avions proposé à l'éducation nationale en décembre 2014, sans beaucoup de succès à l'époque. Après l'attentat de janvier 2015 contre Charlie Hebdo, le ministère a compris tout l'intérêt de ce petit document de six minutes, renouvelé chaque année pour la semaine des médias à l'école, et qui explique comment on peut être manipulé sur internet. Conçu à l'intention des élèves, il est également accompagné de fiches pédagogiques destinées aux enseignants, afin que le travail de décodage soit poursuivi en classe.

Nous avons également un accord avec l'éducation nationale, et plusieurs de nos journalistes volontaires se rendent dans les lycées parisiens – ou à l'étranger, lorsque nous avons des correspondants sur place – pour expliquer la différence entre information, communication, manipulation ou propagande. Il nous arrive enfin de recevoir des enseignants pour qu'ils passent une journée entière en immersion dans nos rédactions. Je dois dire que nos échanges sont passionnants.

C'est de cette expérience, qui a souvent conduit nos journalistes dans des quartiers où la minute de silence pour Charlie Hebdo ne s'est pas toujours faite spontanément, qu'est né Pas 2 Quartier. Nous avons la chance d'avoir beaucoup de journalistes arabophones, qui peuvent jouer sur l'effet miroir vis-à-vis de certains élèves qui ne sentent pas toujours reconnus en tant que tels et pour qui il est positif de voir des journalistes d'origine arabe faire carrière dans un grand média français.

À ces jeunes, fatigués d'être toujours caricaturés par les médias, l'un de nos journalistes, Wassim Nasr, a donné une caméra pour qu'ils racontent eux-mêmes leurs quartiers. De là est né Pas 2 Quartier : ce sont les jeunes des banlieues, à Paris, à Lyon, à Marseille et partout en France, qui nous envoient des propositions de sujets, que nos équipes vont les aider à tourner. C'est ainsi que nous avons fait un sujet sur les quartiers nord de Marseille, totalement à contre-courant de ce que l'on peut voir d'ordinaire. Quels que soient les sujets traités – l'entraide, la rentrée scolaire, les déplacements interbanlieues, le trafic de drogue ou la radicalisation –, ce sont les jeunes les rédacteurs en chef. Maintenir un lien entre ces zones de notre territoire et la République est une des vocations essentielles de notre groupe qui, parce qu'il est riche de 66 nationalités et d'une quinzaine de langues, parce qu'il est tourné vers une multitude de peuples différents, possède en la matière un savoir-faire dont il peut faire profiter le service public de l'audiovisuel.

Madame Faucillon, vous m'avez interrogée sur les licenciements. En effet, les deux plans qui ont eu lieu en 2009 et en 2011-12, avant mon arrivée, ont frappé 20 % des effectifs radio et entraîné la fermeture de six rédactions de langues. Comme ces licenciements n'étaient pas ciblés, de nombreux journalistes francophones sont partis, ce qui a été difficile à gérer.

Ce que je vous ai indiqué, ce ne sont pour l'instant que des pistes, et lorsque je parle de départs ciblés, ils ne concernent pas spécifiquement la radio. Néanmoins il se peut qu'ils aient des conséquences sur les petites rédactions délocalisées, qui n'ont pas toujours la solidité du service en français. Ce sera de toute façon un déchirement, et je dois en parler avec le comité d'entreprise et avec le conseil d'administration, qui doit se réunir le 19 octobre, avant d'arrêter des décisions définitives. Mais comment faire face autrement aux économies exigées, lorsque 55 % de vos coûts sont de la masse salariale et qu'il faut également assumer des charges fixes, comme le loyer et l'électricité, ainsi que les dépenses, lourdes, liées aux contrats de distribution ? En bref, nous n'avons pas de marges. Je préférerais sincèrement consacrer mon énergie à développer les langues africaines plutôt qu'à gérer des fermetures, et je ne dis pas uniquement ça d'un point de vue humain, même si cela me désespère ; je pense en effet que c'est également dommage à terme pour notre rendement et notre efficacité.

Madame Bazin-Malgras, en ce qui concerne les économies demandées par le Gouvernement au service de l'audiovisuel public, il faut avant toute chose rapporter la situation de France Télévisions, Radio France et France Médias Monde à la situation de ce même audiovisuel chez nos voisins anglais et allemands. Le poids des services publics audiovisuels y est en effet infiniment supérieur à ce qu'il est chez nous. Il est supérieur de 30 % au Royaume-Uni, où la redevance est de 171 euros et assise sur une assiette beaucoup plus large ; quant au budget de l'audiovisuel public allemand, il est de 9 milliards d'euros, contre 4 milliards pour la France. Quel que soit ce que l'on pense de sa gestion, il est en tout cas beaucoup moins cher que dans d'autres pays comparables, tout en remplissant peu ou prou les mêmes missions, bien que notre présence à l'international soit plus récente.

Cela vaut également pour le secteur privé, puisque, en France, la totalité du secteur de l'audiovisuel – public et privé – ne pèse que 12 milliards. Certains peuvent estimer que c'est encore trop mais, sans vouloir parler au nom de mes camarades de France Télévisions, de Radio France, de l'INA, d'Arte ou de TV5 Monde, je suis bien placée pour savoir que nous ne sommes pas trop riches et que nous avons fait des efforts considérables, qui nous conduisent aujourd'hui à l'os.

Madame Essayan, vous m'avez parlé avec émotion de ce que représentait pour vous la langue française pendant la guerre du Liban. Je ne suis pas certaine que la francophonie soit en recul. Au niveau mondial, elle aurait plutôt tendance à gagner du terrain, et les lycées français doivent refuser des élèves par manque de place, tout comme les instituts ou les alliances françaises. Selon moi, nous avons plus un problème de moyens qu'un problème de demande.

Au Liban, Monte Carlo Doualiya, certes en arabe, mais qui est un lien entre la France et le monde arabe, se trouve dans le peloton de tête des radios, et RFI, reprise par Radio-Liban, connaît de forts succès d'audience. Quant à France 24, en pleine croissance, elle se classe désormais, au Proche et au Moyen-Orient, jusque dans le Golfe, dans les sept premières télévisions les plus regardées. Certes ces chaînes émettent en arabe, mais elles parlent beaucoup de la France, et j'ai coutume de dire que, même quand elles émettent en langue étrangère, les chaînes et les radios du groupe sont malgré tout « en français », compte tenu de leur ligne éditoriale. Je ne vous suivrai donc pas sur le fait que la France soit en recul dans les médias libanais.

Monsieur Larive, s'agissant de l'Afrique, nous y sommes présents au travers de plusieurs canaux de diffusion, y compris les ondes courtes, qui sont essentielles pour nous, car elles portent 35 % de l'audience de RFI, dans des zones où la FM ne passe pas. En ce qui concerne les brouillages et les coupures dont nous avons fait l'objet, la situation a été rétablie, grâce à des discussions avec les autorités de Kinshasa. Dans la mesure où l'implantation de radios FM relève de la souveraineté des États, nous avons dû renouveler notre convention avec le CSA local, mais nous l'avons fait sans renoncer à aucun de nos principes. En revanche, nous attendons toujours l'accréditation de notre correspondante, qui n'a pas été renouvelée. Mais, comme disait Churchill, le « blablabla » vaut mieux que le « pan pan pan », et nous continuons donc à discuter.

En ce qui concerne la TNT, nous rencontrons un franc succès en Afrique anglophone, notamment au Ghana et au Kenya. Nous avons en revanche plus de difficultés à nous implanter dans les gros pays francophones que sont la RDC, la Côte d'Ivoire et le Sénégal, où nous sommes toujours en négociations. Cela s'explique par le fait que France 24 et RFI ont déjà, dans ces pays, une telle audience, que la perspective que nous puissions être accessibles au grand public par le biais de la TNT inquiète les autorités. Elles réclament en outre, légitimement, plus de contenus africains. D'où l'idée qu'il faudrait davantage « africaniser » les contenus de France 24 en français à destination de l'Afrique. Pour cela, nous pourrions nous appuyer sur CFI, l'agence française de coopération médias, filiale de France Médias Monde, dont l'une des missions est de soutenir la production africaine. Développer des productions ou des coproductions nous donnerait une meilleure chance d'accéder à la TNT. Là encore, nous avons des projets, mais il faut nous laisser le temps de les mener à bien.

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