Intervention de Marie-Christine Saragosse

Réunion du mercredi 4 octobre 2017 à 9h35
Commission des affaires culturelles et de l'éducation

Marie-Christine Saragosse, présidente de France Médias Monde :

Sans doute s'agit-il d'un article ancien qui remonte à 2012 ou 2013, dans lequel j'évoquais la chaîne Al Jazeera, et non des radios de la diversité. Au contraire, nous avons travaillé de concert avec ces radios qui sont très demandeuses de notre présence sur la RNT, car elles s'inquiètent de son faible développement – il leur était difficile, en effet, d'obtenir une couverture nationale analogique.

Quant à la publicité, il me semble que les radios indépendantes se sont davantage émues de l'introduction de la publicité sur Radio France. Nous n'émettons que sur une seule fréquence FM en Île-de-France, ce qui ne suffit guère à menacer l'ensemble des radios associatives présentes sur le territoire national. Pour nous, l'enjeu publicitaire, de l'ordre de 150 000 euros, est certes énorme – songez que notre unité de mesure, c'est 10 000 euros – mais il ne représente qu'une goutte d'eau par rapport au marché publicitaire de la radio. Néanmoins, cette goutte d'eau figure dans la trajectoire d'augmentation de 15 % de nos recettes qui est inscrite dans notre contrat d'objectifs et de moyens, alors même qu'aucune modification du cahier des charges ne nous permet d'accepter la publicité commerciale. En 2016, nous sommes tout de même parvenus à réaliser nos objectifs publicitaires, en dépit du fait que notre régie, France Télévisions Publicité, qui déploie certes des efforts de bonne foi, dégage pourtant un chiffre d'affaires inversement proportionnel à la croissance de France 24. En clair, nous peinons à respecter notre chiffre d'affaires publicitaire pour la télévision et nous le dépassons pour la radio, mais nous ne pouvons faire davantage puisque le chiffre d'affaires publicitaire de France Télévisions baisse.

Enfin, le SIRTI n'a jamais manifesté les inquiétudes que vous évoquez auprès de moi ; peut-être l'a-t-il fait auprès de l'État. En attendant, je serai toujours prête à en discuter avec lui car j'estime que ces radios jouent un rôle très important et qu'elles ont besoin d'être confortées, notamment en termes de formation et d'opérations communes. De ce point de vue, il me semble que nous pouvons être un interlocuteur valable.

J'étais présente, madame Cazarian, lors de la cyberattaque qui a frappé TV5 Monde le 9 avril 2015, le jour du lancement de Style HD, la chaîne de TV5 consacrée à la mode et à l'art de vivre. C'est d'ailleurs parce que ce lancement avait lieu que toute l'équipe technique était présente à 21 heures 30 lorsque l'attaque a été déclenchée. Il s'agissait d'un acte de guerre qui visait à tuer TV5 Monde. Je suis administratrice de la société et j'ai longtemps dirigé la chaîne ; j'ai donc vu l'ensemble des équipes et Yves Bigot mener la bataille de la résistance contre cette attaque terrible. Aujourd'hui encore, les procédures en conservent les séquelles.

À France Médias Monde, comme nous sommes des médias d'information qui émettent notamment en langue arabe, nous avions déjà installé des zones « démilitarisées » faisant office de sas entre nos différents outils numériques pour éviter la contagion et la remontée d'une attaque vers l'unité centrale. Juste après l'attaque de TV5, nous avons appelé l'ANSSI qui nous a immédiatement mis en rapport avec des sociétés labellisées susceptibles de travailler à nos côtés le soir même, afin de parer à toute attaque parallèle. Depuis, notre cellule dédiée aux cyberattaques travaille régulièrement avec l'ANSSI, dont j'ai plusieurs fois rencontré le directeur, mais aussi avec TV5. Ce sujet concerne le service public dans son ensemble. Nous avons ainsi passé un appel d'offres concernant le SOC (Security Operations Center), c'est-à-dire le mécanisme qui permet de s'assurer à tout moment qu'un pirate n'est pas en train de s'introduire dans le système, d'y créer discrètement des comptes invisibles et de progresser vers l'unité centrale. Cet appel d'offres commun nous permettra de recourir à une même société. Nous devons aussi envisager d'autres pistes pour lutter contre ce phénomène, et je me félicite à cet égard du dialogue extrêmement utile que nous avons avec l'ANSSI, qui nous a même envoyé des intervenants formidables pour sensibiliser et former l'ensemble des équipes, car le premier rempart face aux attaques, c'est nous.

S'agissant de la lutte contre les fausses nouvelles, madame Amadou, nous partions d'un acquis fort intéressant : « Les Observateurs ». Cette émission de journalistes diffusée sur France 24 repose sur l'engagement citoyen de personnes qui envoient des images concernant des faits qui ne sont pas vus par les médias ou par les agences de presse. Nous ne les diffusons naturellement pas bruts, par souci de responsabilité : la rédaction vérifie l'exactitude des faits concernés. Cette émission, qui fêtera ses dix ans en décembre, a créé une culture de la vérification sur internet et de la capacité à y confirmer ou infirmer des informations. Les journalistes qui l'animent détiennent un véritable savoir-faire ; ce sont également eux qui réalisent Info-Intox, le document que j'évoquais plus tôt et qui sert dans les salles de classe. Pendant la campagne électorale, ayant vu ce qui s'était produit avant les élections américaines, cette cellule a travaillé en lien étroit avec Facebook et Google. À mon sens, c'est l'un des sujets sur lesquels le service public, y compris France Info qui nous réunit, doit s'illustrer. Nous souhaitons tous poursuivre notre action dans ce domaine, sachant que s'ajoute pour nous le fait que nous diffusons aussi en langues étrangères – les fausses nouvelles circulant aussi dans d'autres langues, que je ne citerai pas puisque cette audition est publique.

Nous avons en effet tenté à sept reprises de nous implanter en Chine, madame Bannier. À l'origine, la demande portait sur France 24 en anglais ; j'ai innové en y ajoutant le français, sans plus de succès. Permettez-moi de ne pas vous expliquer ici comment nous nous y prenons exactement ; je dirai simplement que cette décision ne peut être que politique. En 2002, alors que je dirigeais TV5, le CSA français a été saisi d'une demande de conventionnement de CCTV-4 – la chaîne publique chinoise en français – en France, et j'ai demandé le conventionnement de TV5 en échange. C'est ainsi que TV5 est entrée dans le bouquet très règlementé et encadré qui, en Chine, dessert les hôtels de plus de trois étoiles et les résidences pour étrangers. Néanmoins, ce n'est pas parce que nous n'avons pas d'autorisation que nous ne sommes pas présents en Chine... J'ajoute que notre diffusion en mandarin connaît un grand succès sur internet, avec plus d'un million de visites en dépit des blocages. Nos journalistes culturels sinophones – puisque la culture est notre signature – sont repris sur les sites officiels chinois, et que les articles de RFI ont même servi à faire la préface du catalogue de l'exposition culturelle couverte par RFI. J'ai donc bon espoir que nous puissions progresser grâce à la culture.

Concernant l'outil numérique, monsieur Freschi, nos résultats ne sont pas mauvais : avec 60 millions d'amis pour la radio et la télévision, nous sommes le premier média français sur Facebook. Avec davantage de moyens, nous obtiendrions de meilleurs résultats encore. Il faut en effet agir dans plusieurs domaines pour faire basculer l'ensemble des journalistes vers le numérique. Il faut d'abord consentir un effort massif de formation ; les journalistes des rédactions qui se mettent au numérique en assurant eux-mêmes la diffusion sur plusieurs canaux des programmes traditionnels via Twitter ou Facebook sont de plus en plus nombreux et il faut les former. Ensuite, parmi les journalistes qui ne sont pas forcément familiers des outils numériques, beaucoup veulent se former aux nouvelles écritures comme le news sketching, ou dessin d'actualité, ou encore le motion design, la vidéographie animée. Cependant, ils ne peuvent pas tout faire en même temps – être devant la caméra et derrière le micro de radio tout en s'occupant de la captation et du montage. Tout est question de répartition du temps et du volume d'effectifs. La démarche à suivre consiste à tester pour apprendre ; pour ce faire, il faut des tuteurs au sein des rédactions, et des renforts pour aider les gestionnaires de communautés. Notre COM le prévoyait d'ailleurs, mais les dépenses numériques étaient incluses dans l'augmentation de 1,9 % de notre budget. Pour maintenir cet effort, il faudra donc faire des économies ailleurs ; ce sont des choix difficiles.

J'ajoute que les rédactions en langues étrangères de RFI se sont toutes d'ores et déjà reconverties au numérique. Pour la plupart, elles diffusent sur la bande FM, parfois même par satellite – car dans beaucoup de pays, la radio s'écoute en fixe, et non pas seulement en mobilité – mais elles ont aussi consenti d'énormes efforts concernant le numérique et tous les journalistes sont désormais polyvalents. C'est notamment le cas à France 24 en espagnol ; en ce qui concerne France 24 à Paris, nous avons créé des ateliers de travail qui préparent une réorganisation visant à mettre fin à la séparation entre les rédactions numériques et les rédactions de diffusion linéaire, et à rassembler les unes et les autres en les répartissant par langues. Ainsi, toutes les équipes arabophones travailleront ensemble, qu'elles soient numériques ou chargées de la diffusion linéaire, de même que les anglophones ou encore les francophones. En clair, nous modifions notre organisation, nous concentrons nos efforts sur la formation – et il serait bon que nous puissions procéder à quelques recrutements.

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