La loi NOTRe de 2015 prévoit pour 2020 le transfert aux communautés de communes et aux communautés d'agglomération des compétences « eau » et « assainissement », transfert déjà obligatoire pour les communautés urbaines et les métropoles, mais jusqu'à présent optionnel pour les autres communautés. Votre proposition de loi veut revenir sur le caractère obligatoire de ce transfert.
Je rappellerai quelques chiffres de cadrage : 36 000 communes en France ; 30 000 syndicats de gestion d'une extrême diversité ; entre 20 et 30 % de taux de fuite sur le réseau d'alimentation en eau potable, que ce soit sur celui des très grosses communes, des moyennes communes ou des petites communes ; près d'un million de kilomètres de réseau d'alimentation en eau potable (AEP) et 400 000 kilomètres de réseau d'eaux usées ; un chiffre essentiel enfin : la baisse de 2 milliards d'euros en six ans du montant des investissements dans ces deux réseaux, avec, pour conséquence, leur inexorable vieillissement.
Depuis l'entrée en vigueur de la loi NOTRe, 38 % des communes ont déjà effectué le transfert des compétences « assainissement» aux communautés de communes ou aux communautés d'agglomération, contre seulement 22 % pour le transfert de la compétence « eau », ce qui montre que ce transfert est plus simple dans un cas que dans l'autre.
Notre groupe souhaite se saisir des enjeux attachés à la gestion de l'eau et, plus globalement, à l'ensemble du cycle de l'eau, tout en prenant parallèlement en compte les enjeux propres à la gestion des territoires. Ces deux approches ne sont pas contradictoires et, sans s'enfermer dans une opposition clivante et caricaturale, nous devons faire preuve de pragmatisme et d'efficacité. Il nous faut prendre le temps d'articuler ces enjeux avec cohérence.
Chacun s'accorde sur la nécessité de garantir une relative stabilité législative en matière de gestion des territoires, et notre groupe ne s'engagera pas sur la voie du détricotage de la loi NOTRe, a fortiori par le biais d'une proposition de loi héritée de la précédente législature. Je rappelle en outre que la loi NOTRe a été approuvée en CMP par ceux-là mêmes qui ont abordé ce sujet, quelques mois avant les élections sénatoriales. Je rappelle également que les sénateurs ont reporté le transfert de la compétence « gestion des milieux aquatiques et prévention des inondations » (GEMAPI) au 1er janvier 2018, question que n'aborde pas la proposition de loi, malgré les difficultés de mise en oeuvre de cette disposition dans ces délais.
En effet, les enjeux sont complexes et le changement d'échelle fait sens à plusieurs titres. Au plan sanitaire d'abord, car il faut construire et entretenir un réseau séparatif qui assure la séparation entre les eaux pluviales et les eaux usées pour optimiser le retraitement en usine et éviter toute dilution. Il faut également contrôler les réseaux collectifs et les installations individuelles, pour éviter la pollution accidentelle qui touche ensuite toutes les communes en aval.
Au plan économique, il s'agit de mutualiser les compétences et les savoir-faire, afin que les communes qui ont su investir dans leurs réseaux d'eaux usées et d'alimentation en eau potable partagent solidairement ce savoir-faire à l'échelle intercommunale. Il s'agit également de relancer l'investissement pour compenser les deux milliards de baisse que j'ai évoqués et maintenir la qualité des réseaux. Tout cela permettra à terme de rationaliser les dépenses de fonctionnement.
Au plan écologique, rationaliser l'usage de l'eau et économiser la ressource me paraît indispensable, tout comme l'est le réemploi des eaux pluviales, dès lors que les réseaux séparatifs seront généralisés. Il faut enfin songer à appliquer le principe de pollueur-payeur à grande échelle, notamment pour les grandes entreprises, ce qui n'a rien d'évident dans les petites communes, mais participe, comme le reste, d'une approche plus systémique du cycle de l'eau.
Les enjeux se traduisent également en termes de gestion des risques, puisque la gestion des eaux usées et de l'alimentation en eau potable est directement liée aux considérations d'aménagement du territoire et d'urbanisation. Cela implique notamment de freiner l'imperméabilisation des sols, de gérer les eaux pluviales en fonction des bassins versants et des risques d'inondation, de ruissellement ou de remontée de nappes. En d'autres termes, la gestion des compétences « eau » et « assainissement » ne peut être envisagée qu'en cohérence avec celle des compétences GEMAPI.
J'évoquerai enfin les enjeux démocratiques, car il est essentiel, d'une part, de garantir l'accès de tous aux services et à la ressource en eau et, d'autre part, d'uniformiser ou, à tout le moins, d'encadrer les tarifs d'accès à ces services.
C'est en temps voulu et sans précipitation qu'il nous faudra débattre de ces éléments de cadrage, des modalités de leur mise en oeuvre et des moyens affectés. Sans tabou, en tenant compte des spécificités territoriales et en se fondant sur les bonnes pratiques, notre nouvelle assemblée pourra alors appréhender le sujet de façon dépassionnée.