Intervention de Bruno le Maire

Réunion du mercredi 4 octobre 2017 à 16h15
Commission des affaires économiques

Bruno le Maire, ministre de l'économie et des finances :

Madame Valérie Rabault, en ce qui concerne General Electric, je rappelle que le délai de trois ans partait de la date du closing, ce qui nous mène donc bien à la fin de l'année 2018 et nous veillerons, comme j'ai eu l'occasion de le dire à plusieurs reprises, au respect de l'engagement pris par General Electric quant à la création nette de 1 000 emplois. Il y a une difficulté particulière à Grenoble : j'ai eu l'occasion, lorsque je m'y suis rendu il y a quelques semaines, de mesurer à quel point le sujet était sensible. Je suis prêt à recevoir à Bercy les salariés grenoblois concernés pour examiner avec eux toutes les solutions susceptibles de répondre à leurs inquiétudes.

S'agissant de la manière dont l'État actionnaire peut veiller au grain, il y a ici des députés qui sont directement concernés par Renault, qui ont connu – comme M. Sébastien Jumel – les péripéties de l'usine de Sandouville. J'ai moi aussi vécu cela très directement. Nous savons donc bien que lorsque l'État est minoritaire au capital d'une entreprise, il a le pouvoir d'un actionnaire minoritaire. Je pense très sincèrement que l'État aura sur Siemens-Alstom davantage de pouvoir en gardant la capacité de mobiliser des financements pour passer des commandes publiques de transport ferroviaire qu'en dépensant de l'argent pour être membre du conseil d'administration en situation minoritaire. L'exemple de Sandouville est assez typique : lorsqu'un site n'est plus rentable et que l'actionnaire majoritaire décide d'y réduire le nombre d'emplois, l'État n'a malheureusement pas la capacité de bloquer l'opération, à moins de monter au capital pour devenir majoritaire. Mais s'il procède ainsi dans chaque entreprise industrielle française, il y a fort à parier que le niveau d'endettement français explosera dans des délais très rapprochés. Je rappelle par ailleurs que cela n'a pas empêché Renault de prendre par la suite d'autres décisions favorables à l'emploi en France – je pense en particulier au site de production d'Alpine à Dieppe. Bref, je ne vous dis pas que l'État est impuissant car ce n'est pas du tout ma conception du rôle de l'État en matière économique. Je pense qu'il a un rôle important à jouer. Mais, pour moi, les leviers d'action de l'État sur l'économie ne résident pas dans des participations minoritaires dans des entreprises du secteur concurrentiel. S'il est majoritaire dans La Poste, la SNCF ou EDF, c'est parce qu'il s'agit d'activités de service public, pour certaines stratégiques. Il n'est pas question – car il n'y a pas de raison – que l'État devienne minoritaire dans ces entreprises. En revanche, pour ce qui est des activités du secteur concurrentiel – automobile et ferroviaire –, il me semble que les moyens d'action de l'État – qui sont réels – sont différents. Lorsque GMS est menacé, l'État, bien qu'il ne soit pas au capital de cette entreprise, a les moyens d'obtenir de Peugeot et de Renault qu'ils investissent chacun 5 millions d'euros pour que l'usine redémarre. C'est ma conception d'un État présent dans l'économie, qui garantit l'intérêt général et qui veille à ce que l'argent des Français soit investi dans l'avenir et l'innovation.

Enfin, Siemens a effectivement la possibilité – ce n'est pas la réalité pour l'heure – de monter à 52 % dans le capital mais je rappelle que les trois administrateurs français ont un droit de veto sur les décisions stratégiques prises au sein du conseil d'administration, notamment concernant les fermetures de sites. J'aurai l'occasion de l'expliquer aux salariés de Belfort lorsque je me rendrai sur place d'ici à quelques jours.

Monsieur Fabien Roussel, nous avons eu l'occasion de discuter ensemble à Valenciennes. Si nous avons des points de désaccord, nous avons aussi des points d'accord sur tous ces sujets. Je voudrais simplement revenir sur la désindustrialisation. Si l'on regarde les choses plus finement, on s'aperçoit que la désindustrialisation touche notamment l'industrie à faible valeur ajoutée et l'industrie de moyenne gamme. En revanche, on observe une réindustrialisation dans tous les secteurs industriels de haute technologie. Je vous ferai passer, si vous le souhaitez, un très bon rapport rédigé par mes services sur le sujet qui montre bien que si l'on affine l'analyse de la désindustrialisation en France – dont je ne nie pas l'impact social et politique –, il y a des motifs d'espoir dans les activités à haute valeur ajoutée et de haute technologie. Cela doit nous amener à prendre des décisions, en termes d'investissement et de formation, qui, je crois, correspondent exactement à celles que nous prenons.

Cela rejoint la question que posait M. Damien Adam tout à l'heure sur notre stratégie industrielle : j'ai la conviction profonde que la réindustrialisation de la France passe par un investissement massif dans l'innovation, les technologies de rupture et les nouvelles technologies de communication. La politique fiscale, qui fait aujourd'hui l'objet de tant de débats – parfaitement légitimes –, repose sur le choix d'alléger la fiscalité sur le capital pour financer l'innovation qui fera l'industrie de demain. C'est un choix stratégique : on peut le contester ou en débattre, mais c'est notre choix, avec le Président de la République et le Premier ministre.

J'ai ouvert le débat sur le coût du travail, que personne ne voulait ouvrir. On a allégé les charges sur les salaires au niveau du SMIC pour répondre au défi de l'emploi. Cet allégement de charges est nécessaire, car on sait bien que le niveau de chômage est plus important lorsque les niveaux de formation et de qualification sont plus faibles. Mais cela ne règle pas le problème de compétitivité de notre industrie qui s'explique par un écart de trop important entre l'Allemagne et la France au niveau des salaires plus élevés. Cela vaudrait donc la peine d'ouvrir un débat, auquel je propose d'associer les parlementaires, sur le déplafonnement de l'allégement de charges au-delà de 2,6 SMIC. Ce déplafonnement ne nous permettrait-il pas de participer à la réindustrialisation de la France sur la base d'un niveau d'innovation et de technologie plus élevé ? Compte tenu du coût pour les finances publiques, il faudra s'assurer que l'argent public est bien employé et donc que cet allégement est efficace. Sans doute la mesure a-t-elle des avantages et des inconvénients, mais il serait regrettable de refuser ce débat sur la montée en gamme de l'industrie et la réindustrialisation de la France, et par conséquent, sur l'allégement de charges sur les niveaux de salaire plus élevés.

Le troisième élément de cette stratégie est la logique de filière – dont vous avez tous beaucoup parlé. Oui, la filière est ce qui permet de porter la réindustrialisation du pays. Dans le domaine aéronautique – Normandie AéroEspace en est un bon exemple –, nous voyons à quel point nous pouvons construire toute une filière de production où sous-traitants et donneurs d'ordres travaillent ensemble : telle est la bonne logique pour l'industrie de demain.

Enfin, il y a un enjeu de formation que vous connaissez tous et qui est absolument vital. Il n'est pas normal que, dans la vallée de l'Arve, autant de décolleteurs continuent à chercher des compétences qu'ils n'arrivent pas à trouver parce que notre système de formation ne prépare pas les futurs salariés aux emplois disponibles.

Je suis favorable au Buy European Act. C'est évidemment un combat difficile. Le débat sur la taxation des Google Apple Facebook Amazon (GAFA) a été incroyablement difficile à lancer et le restera. Mais il vaut le coup d'être mené. Celui sur le commerce équitable sera lui aussi très difficile à porter car beaucoup de nos partenaires européens ne veulent pas se confronter à la Chine. Quant au débat sur le Buy European act, il vaut lui aussi le coup d'être mené car il n'est pas illégitime d'opter pour une préférence communautaire concernant certains achats. Sur ce sujet, je pense que nous pourrions nous rejoindre.

Monsieur Jean-Louis Bricout, je rappelle que Bombardier Transport est le deuxième constructeur ferroviaire, avec 70 % de ses effectifs en Europe : ceux-ci sont principalement en Allemagne, mais Bombardier a un site industriel important dans le Nord, qui emploie environ 2 000 personnes près de Valenciennes. Ce site collabore avec celui d'Alstom dans les marchés du RER pour l'Île-de-France. Bombardier a supprimé 7 000 postes à la fin de l'année 2016 en raison d'un manque de commandes. Il a réussi à remplir à nouveau son carnet de commandes grâce à une demande, provenant de la région Île-de-France, de matériel Regio 2N et de RER de nouvelle génération, ce qui lui assure aujourd'hui un plan de charge jusqu'en 2022. Il est intéressant de noter que toutes ces entreprises des secteurs ferroviaire et roulant dépendent totalement de la commande publique : on n'achète pas un train pour aller se promener avec ses enfants le week-end… En règle générale, ce sont de grandes agglomérations ou des États qui achètent du matériel roulant. Mais le jour où ces entreprises ne sont plus compétitives dans l'appel d'offres, elles sont mortes ! Et c'est très brutal car leurs plans de charge s'étalent sur plusieurs années. Si ces entreprises ne sont pas compétitives et ne s'allient pas avec les plus forts comme nous le faisons avec Siemens, le jour où elles n'auront plus de plan de charge, c'en sera fini pour elles. Je rejoins ce qui a été dit concernant la commande publique : je préfère que l'État français garde la capacité de passer de telles commandes. Mais il serait extraordinairement dangereux de faire dépendre l'avenir d'Alstom de la seule commande publique française. Je précise d'ailleurs, à cet égard, qu'Alstom avait un contrat important avec le Venezuela, qu'en raison des difficultés politiques actuelles, la garantie export risquait d'être remise en cause ; que j'ai pris la décision de la prolonger pour garantir la crédibilité de la signature d'Alstom sur les marchés à l'étranger et permettre à Alstom de poursuivre son opération sur le marché public du métro de Caracas.

Monsieur Julien Dive, je partage entièrement ce que vous avez dit concernant l'usine du futur et je reprendrai mot pour mot vos propos : ce ne sont pas des productions qui sont dépassées, mais les modes de production. La production de trains n'est pas dépassée mais si vous en construisez un train sans parvenir à garantir un niveau de sûreté, de connectique et d'autonomie maximum – autrement dit à fabriquer un train sans conducteur –, vous êtes mort. Si, en revanche, votre mode de production intègre un degré élevé de technologie et un savoir-faire – assez fascinant chez Alstom –, si vos rames et vos wagons intègrent des systèmes de freinage électrique, de récupération d'énergie, d'automatisation, de contrôle à distance et de connectique beaucoup plus développés, vous serez bien armé pour affronter les marchés extérieurs et pour réussir dans le futur.

S'agissant de la signalisation, il n'est un mystère pour personne qu'une tentative de rapprochement a été faite il y a quelques années par le précédent Gouvernement, entre Alstom et Thales. Thales n'a pas voulu donner suite à cette offre, estimant qu'un accord de signalisation avec Alstom n'était pas dans son intérêt – pour des raisons d'ailleurs liées aussi à des considérations d'ordre militaire. Dont acte ; nous n'avons pas, avec 20 % de Thales, la capacité de forcer la main de cette entreprise pour qu'elle s'allie avec Alstom si le conseil d'administration de Thales estime que ce n'est pas dans son intérêt stratégique. Une fois que les discussions sont closes, vous êtes dans l'impossibilité de forcer une discussion. Thales avait d'ailleurs de bons arguments pour ne pas aller plus loin dans ce projet de fusion. Quant à la fusion entre Alstom et Siemens, elle fera du nouvel ensemble non seulement le deuxième acteur du matériel ferroviaire roulant au monde mais aussi – et là est notre avantage comparatif – le premier acteur mondial de la signalisation. Je peux vous garantir que c'est un atout absolument majeur pour le nouvel ensemble.

Enfin, je ne chanterai pas ici les louanges des pôles de compétitivité ; je rappelle qu'ils ont été créés il y a plus de dix ans, quand Dominique de Villepin était Premier ministre…

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