Intervention de Bruno le Maire

Réunion du mercredi 4 octobre 2017 à 16h15
Commission des affaires économiques

Bruno le Maire, ministre de l'économie et des finances :

Je me félicite de la qualité de ce débat, qui fait honneur à la Représentation nationale. Il pose bien les enjeux et permet à chacun d'apporter ses réponses. Nous avons des désaccords, c'est le fondement de la démocratie, mais, au moins, les enjeux sont clairement posés pour les Français qui nous écoutent.

Oui, la part de l'industrie en France a baissé, elle a même chuté, pour une raison simple : nous n'avons pas fait les bons choix en matière fiscale, en matière de formation, de droit du travail ou d'organisation du travail, et nous le payons. Nous sommes tous d'accord sur un point : nous croyons à la France comme puissance industrielle. Quelles qu'aient été mes fonctions, j'ai toujours considéré que la France devait être une grande puissance agricole, une grande puissance industrielle et une grande puissance dans le domaine des services, où nous réussissons remarquablement bien. Nous sommes arrivés à un moment de notre histoire où il nous faut débattre des conditions qui nous permettront de rester une grande puissance agricole, alors que nous avons perdu du terrain, et une grande puissance industrielle, alors que nous avons perdu beaucoup de terrain.

La comparaison est souvent faite avec l'Allemagne. C'est parfaitement légitime, puisque c'est notre premier partenaire et notre premier concurrent. Je ne donnerai que deux faits.

Depuis très longtemps, les revenus du capital sont imposés à 27 % en Allemagne, alors qu'en France, depuis trente ans, l'imposition des revenus du capital varie de 30 %, pour les dividendes, à 60 %, pour les plus-values – je ne parle même pas de l'impôt de solidarité sur la fortune, dont l'équivalent allemand a été supprimé en 1997. La France a cru que c'était possible, mais une industrie sans capital cela n'existe pas. Si nous voulons de l'industrie, il faut du capital et, dans une économie de rupture, il faut encore plus de capital. Prenons l'exemple très concret de l'industrie du décolletage dans la vallée de l'Arve, particulièrement illustratif compte tenu de la proximité du concurrent suisse. Pour être au niveau, il faut robotiser, former les techniciens de maintenance, digitaliser ; ce sont là autant d'investissements qui coûtent une fortune. Là où autrefois il fallait un peu de capital pour consolider notre industrie, il en faut aujourd'hui beaucoup si nous voulons reprendre pied en matière industrielle. C'est le choix que nous faisons. Il n'est pas forcément facile à expliquer, mais c'est celui que nous faisons.

Par ailleurs, l'Allemagne a fait preuve d'une modération salariale totale. On peut juger que c'était une modération excessive et qu'il est bon qu'elle évolue, on peut saluer qu'elle ait instauré un salaire minimum, mais la France avait, elle, un dispositif de revalorisation annuelle du SMIC, avec ces fameux « coups de pouce ». Ce que nous avons à dire n'est pas forcément facile à entendre, et je comprends bien toutes les difficultés qu'il peut y avoir ensuite, mais je crois profondément que nos choix économiques, fiscaux, en termes de droit du travail sont de nature à permettre la réindustrialisation du pays. Il s'agit de parler non pas uniquement d'usines, mais aussi du cadre économique et fiscal que nous mettons en place.

Une première question m'a été posée sur STX. Nous avons proposé aux salariés d'entrer dans le capital des Chantiers de l'Atlantique à hauteur de 2 %. Il me paraît très important qu'ils soient le plus possible associés aux décisions – je l'ai dit à leurs représentants. J'ai également proposé que le pacte d'actionnaires soit ouvert aux acteurs locaux à hauteur de 3,66 %. Enfin, parce que je crois aux symboles, j'ai obtenu d'Alstom que l'appellation de Chantiers de l'Atlantique soit rendue à STX, afin que les chantiers de Saint-Nazaire retrouvent ce beau nom.

Monsieur Sébastien Jumel, ma posture n'est pas une libérale. Une posture libérale impliquerait de dénier tout rôle de l'État dans l'économie. Or, vous le savez, ce ne sera jamais ma position. Si je crois au marché, je crois aussi à la nécessité d'en corriger les excès, et à la nécessité d'un État qui régule l'économie et qui y garde un rôle. La preuve en est que l'État investira ailleurs, et que nous allons mettre en place un fonds pour l'innovation de rupture, qui permettra de piloter, à partir de la puissance publique, le financement de l'innovation de rupture. Quant au pacte d'actionnaires, je souhaite que les représentants du comité d'entreprise y aient accès. C'est une garantie pour eux, et c'est un geste de confiance à leur endroit que de leur y donner accès.

Je crois au projet « Magellan » visant à rapprocher Naval group et Fincantieri, mais je considère que c'est un projet de beaucoup plus long terme. Dans la construction de frégates, il y a la partie facile, c'est-à-dire les coques, mais il y a aussi tout ce qui est embarqué, qui est évidemment beaucoup plus sensible. Il faut prendre tout le temps nécessaire avant de parvenir à un accord dans le domaine militaire.

Les engagements de préservation des emplois et des sites valent pour l'ensemble des sites français, donc évidemment pour Tarbes. En ce qui concerne les tractions, Tarbes relève de centres de décision totalement français. L'engagement ayant été pris de donner la préférence à la filière nationale pour les commandes françaises, il n'y aura aucun transfert en Allemagne des activités établies à Tarbes. Par ailleurs, le site de Tarbes travaille pour l'ensemble des sites intégrateurs d'Alstom – Valenciennes, La Rochelle et Reichshoffen – et sur tous les types de matériel roulant : RER, TGV, métros. Il est donc polyvalent, parfaitement apte à résister à la concurrence et, par ailleurs, positionné sur tous les marchés porteurs, notamment celui des chaînes de traction des matériels innovants, comme le nouveau métro de la ligne 14, le TGV 2020 ou le RER de nouvelle génération. Il n'y a donc pas d'inquiétude à avoir pour ce site ; il sera préservé et, je le souhaite, développé.

Pas de défaitisme, Monsieur Éric Coquerel ! Je suis persuadé qu'avec les décisions que nous prenons, la France peut retrouver sa puissance industrielle perdue. Il est cependant vrai que nous faisons un pari différent du vôtre. Plutôt que de faire preuve d'un volontarisme de façade en proclamant la démondialisation, l'investissement de l'État, la participation dans les entreprises, démarche qui a échoué, nous faisons le choix d'une politique qui crée un cadre plus favorable à l'industrie nationale, en réduisant le coût du travail, en ouvrant une réflexion sur le coût du travail qualifié et en prenant des dispositions fiscales plus favorables. Et je ne récuse absolument pas le mot de souveraineté nationale que vous avez employé ; il est effectivement important de la garder dans certains secteurs, mais je rappelle également que la France a racheté 94 entreprises industrielles allemandes l'année dernière, tandis que seules 26 entreprises allemandes rachetaient des entreprises françaises.

Enfin, on claironne très souvent le nom d'Airbus, en parlant d'un « Airbus naval » ou d'un « Airbus ferroviaire ». N'oublions cependant pas, que, même dans le cas d'Airbus, il y eut des difficultés. La répartition des sites de production a donné lieu à des combats homériques ! Souvenez-vous de la question du câblage et de l'usine de Hambourg. Qui récupérerait quoi ? Le partenariat entre grands industriels européens est toujours difficile. Dans le cas d'Airbus, cela a été très difficile. Qui allait fabriquer les nacelles, les moteurs, les cockpits, le système de navigation, le câblage ? Combien d'emplois à Toulouse, en Normandie, à Hambourg, dans le nord de l'Allemagne ? Ce furent des combats difficiles. Une alliance entre Européens, contrairement à ce que l'on croit, cela ne va pas de soi, c'est un travail quotidien, difficile, astreignant. Aujourd'hui, il y a deux constructeurs aéronautiques : Boeing et Airbus. Si nous n'avions pas fait Airbus, il n'y aurait que Boeing, et, demain, c'est inéluctable, un constructeur chinois. Airbus est la preuve qu'il est possible de rassembler les forces européennes, mais n'oublions jamais que ce n'est jamais gagné d'avance et que cela passe par une remise en cause permanente. Cela vaut pour Airbus, cela vaudra pour Fincantieri et les Chantiers de l'Atlantique, cela vaudra aussi pour l'alliance entre Siemens et Alstom. Rien n'est acquis, il faut être vigilant en permanence ; la bataille de l'emploi, de l'innovation, des sites industriels est quotidienne.

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