Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je souhaite vous remercier de l'investissement dont vous avez fait preuve au cours des derniers jours au sein de cette commission spéciale. À l'heure où blanchit la campagne, nous sommes tous réunis pour examiner ce texte dans le cadre d'une procédure accélérée qui n'est jamais propice à l'approfondissement des réflexions. Nous avons toutefois pu auditionner l'ensemble des personnes autorisées, qu'elles aient contribué à l'élaboration du texte ou qu'elles soient directement concernées par le retrait, avec ou sans accord.
Un grand nombre de députés membres de la mission de suivi sur le Brexit, lancée par le président de l'Assemblée nationale en 2017, ont poursuivi les travaux sur le sujet au sein de cette commission spéciale. Je m'en réjouis car l'immense travail accompli par l'Assemblée nationale a ainsi pu éclairer nos débats de ces deux dernières semaines. Monsieur le président, je souhaite vous adresser des remerciements particuliers pour avoir dirigé les auditions de cette commission spéciale avec votre maestria habituelle.
Dans le contexte particulier que vous connaissez, il était particulièrement important de mener un travail constructif sur ce texte. En premier lieu, il s'agit d'un projet de loi d'habilitation autorisant le Gouvernement à légiférer par ordonnances en vertu de l'article 38 de notre Constitution. L'une des conditions propices à ce type de procédure, c'est l'urgence. Je pense que nous pouvons tous ici en accepter l'augure. Rappelons que, sans accord de retrait, le Royaume-Uni sortira de l'Union européenne le 30 mars prochain, autrement dit dans un peu plus de trois mois. Or ce projet de loi touche à de nombreux domaines, qu'il s'agisse du retour des Français qui vivent au Royaume-Uni, du statut des citoyens britanniques en France, de la construction rapide d'infrastructures destinées à assurer le contrôle aux frontières, du maintien de relations économiques entre la France et le Royaume-Uni. Toutes ces mesures devront être prises dans un temps record pour qu'un retrait désordonné ait le minimum d'impact sur les citoyens et les acteurs économiques.
Ces ordonnances se justifient aussi en raison de l'incertitude dans laquelle nous nous trouvons. Si les articles 1er et 2 du projet de loi traitent de la situation en cas d'absence d'accord, l'article 3 conserve toute sa pertinence en cas de ratification de l'accord de retrait. Je ne me garderai de commenter la position britannique : ce n'est pas notre rôle, d'autant qu'elle semble évoluer d'heure en heure : si le vote sur la ratification de l'accord de retrait par la Chambre des communes est bien maintenu au 11 décembre prochain, il me semble impossible d'en prédire le résultat. Or l'accord doit impérativement être ratifié par le Parlement britannique.
Sans préjuger de ce qui pourrait se passer après un éventuel rejet de l'accord, les mesures destinées à pallier les effets délétères d'une sortie sèche me paraissent plus justifiées que jamais. La marge de manoeuvre de la commission spéciale est donc très étroite en raison de l'exercice même que constitue l'examen d'un projet de loi d'habilitation qu'il ne nous revient pas d'étendre au-delà des limites fixées par Gouvernement. L'exercice a aussi ceci de particulier que nous ne sommes pas les seuls à le préparer – les auditions récentes l'ont confirmé : les institutions européennes, notamment la Commission, préparent aussi un paquet de mesures destinées à anticiper les conséquences d'un Brexit dur. Nombre d'États membres et de partenaires européens font de même. Chacun, dans son domaine d'intervention, contribue à l'effort indispensable de préparation. Cela nous enjoint d'autant plus de respecter une forme de coordination avec la Commission européenne : nos intérêts se rejoignent.
D'un autre côté, j'estime qu'il est dans l'intérêt de l'ensemble de l'Union européenne que la nouvelle frontière qui s'établira au nord de la France et tout le long de la bande côtière de la Manche soit dotée des infrastructures nécessaires au nouveau contexte frontalier. Les régions les plus touchées par l'apparition de cette nouvelle frontière sur les marchandises et, plus largement par le retrait du Royaume-Uni de l'Union européenne, doivent être accompagnées financièrement par la Commission européenne.
Notre commission doit prendre en compte ce que font les autres États membres. Il ne serait pas justifié, alors que le Royaume-Uni devient un État tiers sans lien avec l'Union européenne, que nous traitions avec lui de façon désordonnée et isolée. Dès lors, dans les domaines qui sont du ressort national et dans lesquels la Commission européenne ne peut pas assurer le nécessaire effort de coordination, nous devrons nous concerter avec nos partenaires européens dans le cadre de ces ordonnances et, plus largement, pour l'ensemble des mesures réglementaires prises pour faire face à la sortie sans l'accord.
Le cadre étant posé, je souhaite insister sur trois points qui me paraissent fondamentaux.
Le premier d'entre eux concerne l'article 1er et tout particulièrement la question sensible des fonctionnaires de nationalité britannique au sein de la fonction publique française. Ils sont approximativement 1 715 – ce chiffre est une extrapolation d'une étude de l'Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE) et non une certitude. Les auditions que j'ai menées m'ont permis de me rendre compte que l'administration ne connaît pas précisément leur nombre et leur identité. Ils exercent principalement dans l'Éducation nationale ainsi que dans la fonction publique hospitalière. Ces personnels doivent être maintenus dans les conditions de statut et d'emploi qui sont les leurs : c'est le sens des amendements défendus par des collègues issus de tous les groupes politiques ou presque. C'est la solution qu'envisage la Commission européenne ; c'est également ce que l'Allemagne semble mettre en place ; c'est la solution qui me paraît à la fois la plus humaine et la plus compatible avec les services que rendent ces fonctionnaires à l'État, parfois depuis de nombreuses années.
Le deuxième point concerne les citoyens français et européens qui vivent au Royaume-Uni. Il faut bien dire qu'ils vivent avec une espèce d'épée de Damoclès pendue au-dessus de leur tête. L'article 2 traite de leur sort. La question de la date butoir se pose, étant donné le temps que vont prendre les nombreuses procédures par lesquelles ils vont passer. Autrement dit, la question de leur éventuel retour en France ne sera pas entièrement réglée à la date du retrait du Royaume-Uni, que celui-ci ait lieu le 30 mars 2019 ou plus tard. Dès lors, il nous faut prévoir une période aménagée afin de permettre, par exemple, à des familles installées au Royaume-Uni de revenir en prenant en compte les contraintes inhérentes à la vie de famille dans le cas d'un retour.
Le dernier point concerne spécifiquement la question abordée à l'alinéa 5 de l'article 2 et dans l'article 3, à savoir le maintien des flux entre l'Union européenne et le Royaume-Uni. Elle est satisfaite par la rédaction actuelle du projet de loi, mais je préfère le rappeler pour que chacun l'ait en tête : la reconnaissance, en l'occurrence, des conducteurs de train va bien au-delà de la reconnaissance des qualifications professionnelles traitées dans une autre partie de cette habilitation. Nous ne pouvons tout simplement pas nous permettre de gêner d'une quelconque manière le flux de transports qui emprunte le tunnel sous la Manche. En 2017, le tunnel a enregistré le passage de plus de 2,7 millions de véhicules particuliers, de plus de 1,7 million de poids lourds et de plus de 20 millions de passagers si l'on cumule le train, les cars et les voitures. Il va sans dire que les conséquences économiques et sociales d'un dysfonctionnement durable de cette infrastructure, qui est véritablement l'artère reliant le continent au Royaume-Uni, seraient catastrophiques.
Au-delà de la seule question du projet de loi, les délais dans lesquels nous allons devoir opérer sont extrêmement contraints. Une question va se poser pratiquement sur ce qui se passera par la suite. Cela concerne au premier chef les ressortissants britanniques sur le territoire français, mais pose plus globalement la question de notre préparation. L'administration doit être suffisamment mobilisée pour traiter des dossiers très divers : des Britanniques prenant la nationalité française, des Français susceptibles de rentrer, le passage pour de nombreuses PME du statut de fournisseur à celui d'exportateur.
Sommes-nous capables d'atteindre rapidement les objectifs sur lesquels nous sommes appelés à nous prononcer ce matin, alors que la sortie du Royaume-Uni a un impact très concret sur la vie des gens ? Toutes les institutions de l'État, à commencer par les préfectures, vont devoir faire face à un pic de demandes. Il sera absolument indispensable d'y apporter une réponse adaptée. Aussi les ordonnances doivent-elles amener des réponses claires qui se penchent autant, si ce n'est plus, sur des adaptations de procédures que sur les moyens qui seront alloués à l'exécution.
Je voudrais enfin évoquer un dernier sujet d'inquiétude : l'information dont disposent les citoyens mais aussi des entreprises et notamment les PME. L'appréhension des mesures qui seront prises, ainsi que des obligations qui leur échoiront, semble réellement poser difficulté. Je remercie le Gouvernement, qui fait un travail de pédagogie notable, d'avoir mis en place un portail clair et simple à destination de tous sur ce que représente le Brexit. Je vous encourage, mes chers collègues, à visiter le site brexit.gouv.fr et à y renvoyer vos interlocuteurs qui recherchent des réponses à leurs questions. En attendant, nous devons nous assurer que tous les acteurs concernés peuvent prendre en main les processus mis en place dans le cadre des ordonnances. Je vous remercie à nouveau de l'attention que vous avez portée à l'examen de ce rapport.