Le texte qui nous est présenté vise à apporter des réponses à cet enjeu de société majeur que représentent les proches aidants. On estime en France à plus de 8 millions le nombre de personnes qui aident un proche en situation de maladie ou de perte d'autonomie. Ce chiffre ne fait que progresser, et pour cause : l'espérance de vie a augmenté au cours des dernières décennies et, si nous vivons plus longtemps, nous sommes aussi dépendants plus longtemps. Cette évolution fait partie des raisons qui obligent nombre de nos concitoyens à soutenir au quotidien, et de façon constante, des proches en situation de dépendance à cause de leur âge, d'une maladie ou d'un handicap.
Un aidant, ce peut être une épouse qui prend soin de son conjoint atteint de la maladie d'Alzheimer ; ce sont aussi des parents qui élèvent un enfant autiste, ou encore un collègue de bureau qui veille sur un parent en perte d'autonomie. Les aidants sont le symbole de la solidarité intergénérationnelle au sein de notre société. Nous pouvons ainsi estimer que, dans les années à venir, nous serons tous, à un ou à plusieurs moments de notre vie, en situation d'aidant familial.
Mais il faut dire le quotidien compliqué des aidants : bouleversement de l'équilibre professionnel, difficulté à prendre soin de sa propre santé, disparition de la vie sociale. Nous avons tous rencontré, dans nos circonscriptions, des personnes qui sont dans cette situation et nous avons tous été confrontés à la faiblesse des solutions destinées à soulager leurs difficultés.
Nous devons donc mieux accompagner. Mieux accompagner les aidants, d'abord, pour que disparaisse leur sentiment d'être seuls, isolés, perdus ; les accompagner pour que leur vie ne soit pas un parcours du combattant, entraînant toute une série de difficultés personnelles durables. Mais aussi – c'est indiscutablement lié – mieux accompagner les personnes dépendantes, grâce à des solutions plus adaptées, pour que l'expression de la solidarité familiale reste bien une aide, et non le sacrifice de toute une vie.
Devant ce défi majeur pour notre pays, le lancement de la concertation grand âge et autonomie, présidée par Dominique Libault, est essentiel. De ce point de vue, et même si je salue l'initiative parlementaire, le texte qui nous est soumis me semble anachronique. Comment justifier, en effet, qu'en pleine consultation nationale, réunissant 415 000 participants, et alors que plusieurs groupes de travail ont été formés, dont l'un est spécifiquement consacré à la question des proches aidants et composé de l'ensemble des acteurs concernés – représentants d'aidants, associations, parlementaires, administrations, agences régionales de santé, professionnels de santé – , un texte puisse être voté qui ne tient pas compte de leurs travaux ? Le groupe de travail dont je viens de parler doit remettre des propositions concrètes début 2019 : ne court-circuitons pas ses réflexions. Je le répète, nous saluons l'initiative mais, compte tenu de l'enjeu, nous choisissons la coconstruction. D'autant que le calendrier est déjà précisé : remise des propositions début 2019 et projet de loi débattu au Parlement la même année, comme s'y était engagé le Président de la République.
Cela étant dit, la philosophie du texte est la bonne – nous avons tous ici la même volonté d'apaiser le quotidien des aidants. Mais il ne cerne pas l'intégralité des enjeux et n'apporte pas les bonnes réponses. Pour le montrer, je ne citerai que deux exemples ; mes collègues compléteront.
Vous proposez l'indemnisation du congé de proche aidant, à laquelle nous sommes favorables ; d'ailleurs, Mme la secrétaire d'État s'est prononcée en sa faveur il y a plusieurs jours et vient de confirmer sa position devant la représentation nationale. Mais vous proposez de financer cette indemnisation par la création d'une nouvelle taxe sur les contrats d'assurance, donc, notamment, sur les mutuelles. Vous comprenez bien que, dans le contexte actuel, cette mesure est totalement inenvisageable. Nous ne partageons pas la vision dont elle découle : augmenter le prix des mutuelles et d'autres contrats d'assurance, ce serait fragiliser davantage certains de nos concitoyens qui pourraient renoncer à y adhérer et réduire ainsi leur protection santé. Ce n'est pas acceptable. Nous pensons que cette indemnisation doit être financée par la solidarité nationale, non par une nouvelle taxe.
Vous proposez également de protéger les droits à la retraite des proches aidants. Cela répond effectivement à un besoin réel. Mais une réflexion globale est déjà engagée sur ce point, qui sera traité dans le cadre de la réforme des retraites.
Notre groupe ne votera donc pas en faveur de l'adoption de ce texte, bien que l'ensemble de mes collègues et moi-même saluions l'intérêt de la représentation nationale pour cette question fondamentale. Si le texte n'est pas opportun, puisqu'un projet en cours apportera des solutions plus précises et plus complètes, les travaux dont il fait l'objet ne sont pas inutiles en ce qu'ils contribuent à la réflexion collective.
Écoutons et continuons à travailler, main dans la main, avec les associations, les représentants des aidants et les personnels de santé, pour voter une loi plus ambitieuse qui répondra non seulement aux besoins des aidants, mais aussi à ceux des personnes qu'ils aident, puisque leurs destins sont inévitablement liés et que les dissocier serait une erreur.
Ces sujets du quotidien, qui touchent la vie de millions de nos concitoyens, méritent que nous proposions à ces derniers une loi complète, réfléchie et concertée, faite de solutions construites par les aidants, pour les aidants et pour les aidés.