Il y a un an, le 7 décembre, nous avons adopté à l'unanimité une mesure de solidarité en faveur des proches aidants. Pour mémoire, le proche aidant se définit comme « la personne non professionnelle qui vient en aide à titre principal, pour partie ou totalement, à une personne dépendante de son entourage, pour les activités de la vie quotidienne ». Selon une étude réalisée en 2008 par la direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques, les proches aidants seraient entre 8 et 12 millions.
Depuis un an, donc, nous sommes mobilisés sur ce sujet ; notre action se poursuit sans relâche et avec cohérence. Après avoir adopté la proposition de loi défendue par notre collègue Paul Christophe portant sur la possibilité, dans une entreprise, de faire un don de jours de congé à un collègue proche aidant, nous avons voté cet été la loi ESSOC, pour un État au service d'une société de confiance, qui prévoit l'expérimentation du relayage, dispositif qui permet à un aidant de prendre un peu de répit – j'y reviendrai. En outre, un service d'information et de réservation de places de répit, dénommé « SOS répit », a été créé. Nous comptons à ce jour 4 000 places de cette nature.
La loi ELAN, portant évolution du logement, de l'aménagement et du numérique, a permis, quant à elle, de faire reconnaître l'habitat intergénérationnel. Ce type de logement s'appuie sur des valeurs de solidarité, sur la volonté de lutter contre l'isolement et sur celle de proposer une meilleure qualité de vie. Ce dispositif permet à un jeune d'être logé sans loyer chez une personne âgée en échange de quelques services. Il offre ainsi aux personnes âgées un environnement plus sécurisant et plus vivant.
Le rapport rendu en juin 2018 par Mme Dominique Gillot, présidente du Conseil national consultatif des personnes handicapées comporte trente-quatre recommandations visant à préserver les aidants, au titre d'une solidarité nationale. Il s'appuie sur de nombreuses approches.
Enfin, une concertation sur le grand âge et l'autonomie, dite « mission Libault », a été lancée en octobre dernier. Son objectif est de formuler des propositions concrètes. Elle est articulée autour de plusieurs ateliers thématiques participatifs, qui intègrent l'ensemble des dimensions du grand âge et de la perte d'autonomie. Le champ de réflexion de cette concertation est large, puisque les ateliers thématiques concernent : la gouvernance et le pilotage ; le panier de biens et services et le reste à charge ; les nouveaux financements ; le parcours des personnes âgées, la prévention et le bien-vieillir ; les métiers ; les aidants, les familles et le bénévolat ; l'offre de demain ; le cadre de vie ; l'hôpital et la personne âgée.
Tout cela témoigne de la dynamique engagée depuis un an sur ce sujet de société.
L'atelier « aidants, famille et bénévolat » regroupe des représentants de la société civile, d'associations d'aidants, de professionnels du secteur social et médico-social, des collectivités territoriales, d'administrations et de bénévoles, ainsi que des DRH d'entreprises. Tous sont là pour proposer une politique globale et solidaire en faveur des aidants. Les conclusions de ces travaux seront remises au plus tard au début du mois de février.
La mission de l'atelier est d'identifier les mesures qui permettront de renforcer les solidarités de proximité autour de la personne âgée et de favoriser leur inclusion sociale. Ces mesures devront améliorer la reconnaissance et l'accompagnement des aidants, accroître leur capacité à se saisir de leurs droits, dans l'ensemble du territoire. L'atelier s'attachera aussi à mieux faire reconnaître les aidants et leurs besoins, mais aussi leur rôle. Par ailleurs, il devra faire des propositions pour prévenir et rompre l'isolement social.
Son objectif est donc de proposer des actions pour faire société autour des vulnérabilités et de la solidarité familiale, amicale, associative avec les professionnels et les entreprises.
Alors que les actions concrètes sont là, et que nous sommes nombreux à travailler sur ce phénomène de société, la question n'est pas de savoir si nous adoptons ou non une proposition de loi du Sénat, mais de choisir quelle politique et quelle vision nous voulons pour les proches aidants, plus largement pour le duo aidéaidant qui ne peut se penser séparément.
Pour cela, nous devons avoir une vision périphérique du sujet et considérer les aidants dans toutes leurs dimensions : aidants de personnes en perte d'autonomie, en situation de handicap, atteintes d'une maladie chronique, en emploi ou non, jeune, adulte ou plus âgé. Il s'agit non de multiplier les initiatives, mais de prendre acte de l'expression de nombreuses personnes engagées dans la mission Libault, dont l'objectif est de proposer un plan complet pour répondre aux besoins de tous. C'est ce travail qui est mené au sein de l'atelier « aidant, famille, bénévolat ».
Mardi, comme tous les mois, nous étions réunis pour regrouper l'ensemble des réflexions et des propositions à soumettre. Elles sont nombreuses et très intéressantes. Certaines rejoignent celles de la proposition de loi.
Au cours des dernières semaines, j'ai consulté extensivement les acteurs concernés. Nombreux sont ceux qui s'accordent sur l'idée qu'il faut attendre les conclusions de la mission pour inscrire des propositions dans un cadre plus large.
Jeudi, j'étais avec vous, madame la secrétaire d'État, à la maison des aînés et des aidants de Paris nord-est. Au cours des échanges, une dame qui avait assisté son mari pendant des années nous a expliqué pourquoi elle ne se percevait pas comme aidante : ce qu'elle a fait, elle trouvait cela normal. Pourtant elle avait eu besoin d'échanger avec d'autres personnes dans la même situation qu'elle.
Une autre, en activité, qui a accompagné son père, puis sa mère, n'a jamais parlé dans son entourage professionnel de sa situation d'aidante par crainte d'être identifiée comme fragile et de perdre ses responsabilités.
Ces témoignages expriment bien la difficulté à se reconnaître comme aidant, par altruisme certainement – en premier lieu, les aidants pensent à leur proche – ou par refus d'un état qui peut être vécu comme enfermant, mais aussi parce que le travail est parfois le seul espace où la maladie n'entre pas.
En outre, selon le baromètre de la fondation APRIL d'octobre 2017, seuls 50 % des Français connaissent le terme d'aidant et identifient ce à quoi il renvoie. C'est seulement en 2006 que la notion a émergé, ce qui a permis de mettre un nom sur une réalité, premier pas vers la reconnaissance sociale.
Au-delà de ces quelques constats largement partagés, des questions essentielles demeurent : Qui sont les aidants ? Combien sont-ils ? Quels emplois occupent-ils ? Où habitent-ils ? Quel âge ont-ils ? Le rapport de Dominique Gillot préconisait de diligenter une enquête nationale. Ce sera fait en 2019 en complément de l'enquête CARE sur les capacités, aides et ressources des seniors, menée par la direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques – DREES – , et attendue en fin d'année. Cette enquête de caractérisation des aidants nous permettra d'en avoir une connaissance plus fine. Cela nous est indispensable, beaucoup s'accordent à le dire.
À ce stade, notre réflexion s'inscrit dans le cadre d'une action globale en plusieurs phases, qui aboutira à un projet de loi annoncé depuis plusieurs mois et attendu dans le courant de l'année prochaine.
Dès lors, il apparaît que la temporalité de la proposition de loi n'est pas en adéquation avec la conduite des travaux précités, qui mobilisent depuis plusieurs mois près de 250 personnes, représentant l'ensemble des acteurs concernés par l'accompagnement de l'âge, de la dépendance et de la fragilité.
Ce texte propose de bonnes mesures, essentiellement dans son article premier, qui vise à insérer dans le champ obligatoire de la négociation collective de branche la conciliation de la vie personnelle et de la vie professionnelle.
Toutefois, j'appelle votre attention sur le risque que présente une négociation au niveau de la branche : les entreprises pourraient se désengager d'une politique volontariste en faveur des aidants, au motif que la branche a statué. Des actions complémentaires et plus spécifiques doivent toujours être conduites au plus près du salarié.
Nous sommes aussi d'accord avec les modalités d'application du congé de proche aidant et avec la priorisation des actions de formation pour les salariés aidants, à l'issue de leur congé.
En revanche, il existe entre nous une divergence fondamentale sur l'indemnisation du congé de proche aidant proposée à l'article 2. Nous sommes tout à fait favorables à l'indemnisation de ce congé, mais celle-ci ne doit pas se faire sur la base d'une surcote de certains contrats d'assurance mais impérativement reposer sur la solidarité nationale. Le Gouvernement, et je l'en remercie, s'est d'ores et déjà engagé à indemniser le congé de proche aidant au plus tard lors du PLFSS pour 2020.
En cela aussi, l'enquête de caractérisation des aidants nous sera utile pour affiner l'impact budgétaire de la mesure, que la DGCS a établi avec les informations actuellement disponibles. Les conditions d'éligibilité au congé de proche aidant, telles que définies actuellement, méritent quant à elles une discussion plus approfondie et plus consensuelle.
Les mesures relatives à la majoration de la durée d'assurance vieillesse, ainsi qu'à l'affiliation obligatoire à l'assurance vieillesse proposées aux articles 3 et 4, font sens en termes de droits sociaux à accorder aux proches aidants, mais, là encore, la temporalité n'est pas la bonne, puisque la réforme des retraites est en cours et que les aidants y trouveront leur juste place.
La demande d'extension de la dérogation à certaines dispositions du code du travail pour le secteur public, inscrite à l'article 5, n'est pas opportune. Le décret est attendu pour la fin de l'année. Pour mémoire, l'article 53 de la loi ESSOC introduit une mesure pour encourager le répit de l'aidant. Il prévoit une expérimentation des prestations de suppléance de l'aidant à domicile. Une dizaine de départements entrera dans cette expérimentation dès le début de l'année 2019.
L'article 6 propose d'identifier le proche aidant, ainsi que la personne aidée, au niveau de la carte Vitale et de désigner une personne de confiance. Il propose également divers systèmes d'information.
À ce stade, sans dévoiler les conclusions de la mission Libault, nous savons d'ores et déjà qu'une des premières attentes des proches aidants, quand ils font la démarche de se reconnaître comme tels, est d'accéder facilement à une information claire, fiable et d'identifier rapidement les interlocuteurs locaux, ce qui, pour l'heure et à certains endroits, n'est pas toujours aisé.
Les initiatives de terrain ne manquent pas. Les propositions foisonnent et se multiplient. Elles pallient certes des manques, mais aujourd'hui, il semble nécessaire, face à un trop-plein d'informations, d'harmoniser et de généraliser, plutôt que de légiférer.
En l'état actuel, nos territoires se sont organisés de manière éparse autour des aidants, car jusqu'à présent, nous n'avons pas su créer les conditions d'un réseau de solidarité autour des aidants. Force est de constater qu'ils restent aujourd'hui très exposés à l'isolement social.
Un aidant, hier, lors d'une audition, me rappelait qu'être aidant est avant tout une joie avant de devenir un fardeau et qu'il nous appartient à tous de développer une culture de la bienveillance et de la non-culpabilisation.
Vous l'aurez compris : il est essentiel d'attendre les conclusions de la mission Libault. Nous ne pouvons plus nous permettre d'apporter des réponses partielles à un enjeu de société d'une importance majeure, le vieillissement de la population, qui nous impose d'accompagner un nombre plus grand de personnes en situation de vulnérabilité et de fragilité.
La mission Libault, c'est aussi une consultation citoyenne, qui a entraîné une mobilisation inédite : 414 000 participants et 1,7 million de votes à ce jour. Légiférer avant la fin de ses travaux serait faire offense à tous ceux qui ont bien voulu nous apporter leur contribution, ce dont je les remercie vivement.
Voilà les raisons qui me conduisent à proposer un renvoi en commission, puisque c'est le terme consacré. En vérité, il s'agit d'un renvoi…