M. le rapporteur général a évoqué plusieurs sujets. En ce qui concerne ces fameux 13 milliards d'euros, il est question de la progression tendancielle. Notre position est de considérer que c'est « moins pire » que ce que l'on pourrait imaginer, mais nous sommes dans un brouillard à couper au couteau. Nous n'avons aujourd'hui aucune base de référence. Or la base de référence change tout. Ancien élu local, entouré de personnes compétentes, vous le savez, monsieur le rapporteur général : si vous prenez un critère ou un autre – un pourcentage du PIB ou l'évolution du coût de la vie, sans parler des différences d'appréciations entre les experts à propos de l'élasticité de tel ou tel point –, cela modifie tout, mais ce n'est pas le sujet. Notre problème, ce sont les 13 milliards d'euros. Vous nous dites ensuite qu'il n'y a pas de baisse de dotation pour l'année prochaine. Soit, mais alors on nous demandera d'atteindre l'objectif non pas en cinq ans mais en quatre ans. Je n'ai effectivement pas entendu le Président de la République ni le Gouvernement remettre en cause ces 13 milliards d'euros – dont je rappelle toutefois qu'ils ne sont pas un engagement du candidat Macron.
Maintenant, étant entendu que nous contestons l'objectif en tant que tel, et son niveau, nous préférons discuter sur la base du tendanciel.
L'idée d'une contractualisation avec ces 319 collectivités est probablement plus séduisante, mais il faudrait s'entendre sur les chiffres. Vous estimez qu'elles représentent 80 % des dépenses, mais nous parvenons plutôt au chiffre de 70 %. On va demander aux 319 plus grandes collectivités – en gros les communes de plus de 50 000 habitants et les agglomérations de plus de 120 000, 130 000 ou 150 000 habitants – de produire une partie de l'effort de solidarité en faveur de la ruralité. Après tout, cela peut se discuter, c'est l'esprit du Fonds national de péréquation des ressources intercommunales et communales (FPIC), c'est l'esprit des péréquations verticales ou horizontales, toutes choses que l'on connaît depuis très longtemps. En revanche, si vous mettez autour de la table des négociations le préfet, la ville centre et l'intercommunalité, et que c'est le préfet qui échenille a priori, potentiellement en opportunité, les différentes dépenses, en indiquant aux collectivités comment respecter la contrainte d'une progression limitée à 1,2 %, c'est simple : c'est l'acte I de la mort de la décentralisation. C'est un choix politique possible, mais il faut le dire.
Comme nous sommes dans le brouillard, il faut en rediscuter avec le Gouvernement, qui propose une méthode. Pour notre part, nous n'avons pas quitté la table des négociations de la CNT, et nous ne souhaitons pas le faire ; je rappelle d'ailleurs que toutes les sensibilités sont représentées au sein de l'AMF et que l'une de ses vice-présidences sera occupée par une représentante de La République en Marche à partir du prochain congrès – si le Front national n'est pas représenté, c'est simplement parce qu'avec neuf, dix ou douze communes il n'est pas représentatif. Les positions que nous prendrons seront donc l'expression d'un consensus, et cette question de la contractualisation inquiète profondément. Potentiellement, si, les uns et les autres, nous nous y prenons mal, c'est le retour du contrôle a priori, et sur des jugements d'opportunité – Jean-Louis Bourlanges connaît cela par coeur, car il a eu à traiter de ce type de sujets.
Quant au renforcement des règles prudentielles, franchement, quel intérêt ? D'ailleurs, à quel titre ? Certes, on peut plafonner le nombre d'annuités, mais nous avons déjà une règle d'or, ce qui n'est pas le cas de l'État : nous n'avons pas le droit de produire du déficit. Que voulez-vous donc de plus ? Des critères d'autofinancement ? Mais comment les fixer et à quel titre ? L'histoire de Nice n'est pas celle de Troyes ni celle de Marseille ou de Strasbourg, qui ont eu des majorités différentes en différentes périodes. C'est la décentralisation, l'État n'administre pas les communes de France ! Nous attendons du Président de la République qu'il garantisse et protège la Constitution, c'est-à-dire qu'il garantisse et protège la libre administration des collectivités territoriales, à moins qu'il n'ait un autre objectif et un autre projet, ce dont nous pouvons discuter, de même que l'on débat en Espagne de l'unité du pays. Il n'est pas douteux que les grandes régions et les organisations ouvriront un jour un débat de cette nature en France. Pouvons-nous avoir un État qui fixe une ambition sans plus en avoir les moyens ? Cela peut-il durer ? C'est un choix, mais il faut le dire. On ne peut pas en tout cas le faire par la bande.
Quant à la taxe d'habitation, il est difficile de demander à un maire d'accepter qu'on l'ampute des deux bras et qu'on lui retire une cheville, tout en lui disant qu'il courra aussi vite. J'ajoute, pour être tout à fait clair, que ma position est constante. J'étais pareillement très critique lorsque le président Sarkozy a annoncé la suppression de la taxe foncière unilatéralement et brutalement, sans informer personne et sans mettre autour de la table les collectivités territoriales. Je ne prétends pas qu'il se passe aujourd'hui la même chose – il y a un engagement du candidat – mais la suppression d'un impôt, quel qu'il soit, quel que soit le président, ne peut être bien vécu par une collectivité locale. Nous sommes déjà dépendants sur nos ressources propres. Le problème posé à la majorité est d'ordre constitutionnel : à quel moment peut-on parler d'une tutelle de l'État, ce qui expose au risque d'une censure ? Selon la jurisprudence du Conseil constitutionnel, la part des ressources propres dans l'ensemble des ressources des communes ne saurait être inférieure à 60,8 %... mais les dotations sont considérées comme des ressources propres. Comme vous, parlementaires, avez la main sur les dotations, la confusion règne dans les esprits, et Descartes n'y retrouvera pas ses enfants. Le risque constitutionnel est donc là. Nous ne l'acceptons pas.
Nous ne contestons pas que la suppression de la taxe d'habitation résulte d'un engagement présidentiel. Il est assez logique que le candidat devenu président, soutenu par une majorité forte et solidaire, l'inscrive dans le projet de loi de finances qui vous occupe – et qui nous préoccupe. Cela étant, 42 % des foyers bénéficient déjà d'exonérations partielles ou totales ou de dégrèvements. Certes, personne ne conteste le caractère injuste, de cet impôt, et personne d'intelligent, de sérieux, de compétent, d'expérimenté ne se risquera à prétendre que c'est un excellent impôt, à l'assiette large et au taux faible, appliqué de manière uniforme ou équilibrée dans les différents territoires, mais ce qui vaut pour la taxe d'habitation vaut aussi pour le foncier bâti et le foncier non bâti. En fait d'injustice, c'est donc toute la problématique de la fiscalité locale qui devrait être traitée. Comment donc ? De nombreuses options peuvent être imaginées, mais la première question à traiter est celle des valeurs locatives – c'est la première poupée russe à ouvrir. Si vous ne travaillez pas sur les bases, l'insincérité et l'injustice se retrouvent partout. Permettez-moi cette remarque malicieuse que j'ai déjà glissée dans le débat public : il sera tout de même difficile en 2020 d'expliquer qu'on a supprimé une injustice pour 80 % et qu'on l'a fait perdurer pour l'éternité pour les 20 % restants. Je dis cela pour animer un peu le débat, la matière des finances locales pouvant – je le comprends aisément – en endormir quelques-uns.
Cela étant, le choix de la modalité du dégrèvement est assez logique. Sinon, le Gouvernement s'exposait à un risque élevé de censure par le Conseil constitutionnel. D'ailleurs, je le dis, si la voie retenue n'est pas celle du dégrèvement, nous saisirons le Conseil constitutionnel, par la voie de la représentation nationale ou par d'autres, par la grande porte ou par la petite porte, en arguant d'une remise en cause du principe de libre administration des collectivités territoriales. Il est normal que le Gouvernement emprunte cette voie. Sinon, le risque de censure est majeur.
Avec le dégrèvement, on remplace un contribuable par un autre : c'est le contribuable national qui remplace le contribuable local. Les collectivités constateront donc les mêmes recettes, mais cela ne nous est garanti que pour 2018. Et comme vous évoquez, par ailleurs, cet objectif de 13 milliards d'euros, que se passera-t-il pour 2019 ?
J'ai déjà répondu aux uns et aux autres sur la contractualisation.
Quant au caractère transitoire du PLF, par définition, tous les PLF ont un caractère transitoire. Ce que le peuple souverain fait, par la voix de ses représentants, il peut le défaire le lendemain par une loi de finances rectificative. Évidemment, c'est transitoire, mais cela nous inquiéterait presque plus que cela ne nous rassure, même si, en nous asseyant autour de la table, nous pouvons imaginer quelque chose. Nous souhaitons le pacte de confiance, mais qui dit pacte suppose la signature de deux partenaires d'égal niveau et d'égal sens des responsabilités. Malheureusement, nous n'avons constaté que des annonces, et aucune des contre-propositions ou propositions adjacentes que nous avons formulées pour nourrir le débat n'a été retenue.
Monsieur Laqhila, en fait, il existe déjà une procédure du type de la procédure de déficit excessif, avec un comité d'alerte. Les chambres régionales des comptes et les préfets signalent à la direction générale des collectivités locales et à la direction générale des finances publiques les situations de possible déficit. Nous n'avons pas besoin de créer une procédure semblable à la procédure européenne : nous en avons déjà une.
Nous approuvons le rétablissement du jour de carence. Nous le demandions, nous le soutenons donc.
Enfin, l'objectif de contenir dans la limite de 1,2 % la progression des dépenses de fonctionnement est-il réaliste ? Nous n'en savons rien, nous n'en sommes qu'au début de la discussion, mais je crois que le Gouvernement retient, dans son projet de loi de finances, l'hypothèse d'une inflation de 0,8 %. Il faudra voir.
Je vous ai répondu sur la règle d'or.
J'approuve votre position sur la révision des valeurs locatives, madame Pires Beaune. C'est la plus logique et la plus saine. Peut-être le Gouvernement pourra-t-il répondre votre proposition.
Quant à la baisse des investissements publics, je vous ai indiqué l'impact d'une réduction de 25 %. Que ferons-nous à la suite du vote du Parlement ? Le ralentissement de l'investissement public local peut se poursuivre, ce qui s'ajoutera aux problèmes en matière de logement, qui ont un effet sur la production. On nous annonce 50 000, 60 000 ou 70 000 disparitions d'emploi dans les secteurs du bâtiment et des travaux publics confondus. Il faut regarder les investissements, et examiner l'effet de ciseau entre blocage des investissements annoncé par le ministère des transports et relance dans les contrats de plan, mais il y aura forcément un effet récessif, sans doute assez rapidement, mais nous ne pouvons dire quelle en sera l'ampleur.