Intervention de Michèle de Vaucouleurs

Séance en hémicycle du jeudi 6 décembre 2018 à 21h30
Fonds spécifique destiné à la recherche oncologique pédiatrique — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMichèle de Vaucouleurs :

Une semaine après l'adoption à l'unanimité de la proposition de loi de Nathalie Elimas visant à renforcer la prise en charge des cancers pédiatriques, nous examinons la proposition de résolution de notre collègue Lagarde visant à créer un fonds spécifique destiné à la recherche sur les cancers pédiatriques, abondé d'au moins 20 millions d'euros par an.

Sur le fond, l'idée d'accroître de manière conséquente les moyens de la recherche est plus que louable et doit être encouragée. Toutefois, il est nécessaire de procéder avec méthode et avec toutes les précautions nécessaires, ce à quoi notre groupe s'est attelé dans le cadre de sa niche parlementaire. En effet, avant toute chose, il s'agit de fixer un cadre à cette recherche en établissant une stratégie de long terme pour définir les axes prioritaires et les affectations de crédits, en associant l'ensemble des parties prenantes.

La recherche médicale doit être une dynamique collective mais encadrée. Notre groupe soutient l'ambition d'un accroissement des financements à destination de la recherche sur les cancers infantiles, mais pas de n'importe quelle manière. Or la proposition de résolution qui nous est soumise soulève un véritable problème de forme : en effet, elle lie la création de ce fonds à l'institution d'une contribution spécifique sur les laboratoires pharmaceutiques, qui ne serait ni plus ni moins qu'une taxe affectée. Comme vous le savez, la majeure partie des financements dédiés à la recherche sur le cancer sont destinés à l'Institut national du cancer, agence sanitaire de l'État. Une telle mesure reviendrait donc à faire financer indirectement cet opérateur par les industries pharmaceutiques. Cela soulève une difficulté éthique, puisque cela pourrait mettre à mal l'indépendance de la recherche.

Comme la ministre des solidarités et de la santé l'a rappelé sur ces bancs la semaine dernière, il nous incombe de garantir l'entière indépendance des financements de nos agences sanitaires, sans quoi nous nous retrouverions dans une situation intenable, à la limite du conflit d'intérêts. Si notre responsabilité est de trouver les financements les plus appropriés pour conférer davantage de moyens à nos chercheurs, elle doit être guidée par la cohérence. Les organismes destinataires des crédits de la recherche assurent un éventail de missions très large, qui inclut l'émission de recommandations sur l'utilisation des médicaments. Ils souffriraient d'un déficit d'image et de crédibilité si l'argent qu'ils distribuaient provenait des industriels. Il revient aux hommes de science de décider, en toute indépendance, comment répartir ces budgets. À nos yeux, pour être efficace et juste, le financement de la recherche, qu'elle soit fondamentale ou spécifique, doit absolument être déconnecté de tout lien avec les opérateurs privés. Nous faisons entièrement confiance à Mme la ministre Agnès Buzyn, qui connaît cette problématique mieux que quiconque. La semaine dernière, dans cet hémicycle, elle nous a fait part de ses craintes en tant que praticienne, ancienne présidente de l'INCa et ministre. Si ses positions n'ont pas varié en dix ans, ce n'est pas un hasard.

Mes chers collègues, vous l'avez constaté la semaine dernière, notre groupe est en première ligne sur la question des cancers pédiatriques. Il ne s'agit pas ce soir de se prononcer pour ou contre l'augmentation substantielle des fonds dédiés à la recherche sur cette terrible maladie, qui tue encore 500 de nos enfants chaque année, même si chacun d'entre nous souhaiterait que des millions d'euros soient débloqués pour faire progresser la connaissance sur ces pathologies. Il s'agit de se prononcer sur l'origine du financement de cette recherche. À cet égard, il y aurait un risque majeur à introduire une taxe dédiée pesant sur les laboratoires pharmaceutiques, dont l'influence déjà grande ne cesserait de croître.

Il existe par ailleurs des leviers et des marges de progression, comme Mme la ministre de la recherche nous l'a expliqué. Nous avons besoin des industries pharmaceutiques pour créer de nouveaux médicaments. Cependant, les cancers pédiatriques étant moins nombreux que les cancers frappant les adultes, ces industries ne priorisent pas leurs investissements en faveur du développement de thérapies spécifiques aux jeunes malades. Nous soutenons donc la démarche du Gouvernement visant à renforcer le règlement pédiatrique européen pour contraindre les laboratoires à développer des médicaments spécifiques à la pédiatrie.

Les enfants et les adolescents traités pour des cancers subissent des traitements extrêmement lourds et peu adaptés à leur métabolisme. La très grande majorité des anciens patients guéris souffrent de séquelles irréversibles et handicapantes du fait des traitements reçus. Dès lors, il apparaît primordial de changer de paradigme pour contraindre les acteurs de l'industrie à développer des innovations thérapeutiques pédiatriques. C'est une condition primordiale pour que soient mis au point des traitements et une offre de soins qui leur soient véritablement adaptés.

Par ailleurs, rappelons que la loi de finances pour 2019 réalise un effort inédit, en allouant 5 millions d'euros à la recherche contre le cancer pédiatrique, à travers un dispositif pérenne. Si ce montant demeure sans doute insuffisant, il faut néanmoins saluer cette démarche et s'en inspirer pour aller encore plus loin à l'avenir.

Mes chers collègues, le groupe du Mouvement démocrate et apparentés tient à saluer la constance du travail réalisé par notre collègue Jean-Christophe Lagarde. Nous partageons son ambition d'augmenter les financements de la recherche sur les cancers de l'enfant. Néanmoins, nous ne souscrivons pas à l'idée d'une taxe dédiée via l'industrie pharmaceutique, car cela entraînerait un problème de méthode qui, à terme, pourrait s'avérer contre-productif. Ainsi, notre groupe s'opposera à cette proposition de résolution.

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