Je me réjouis de vous présenter ce soir une proposition de loi ayant fait l'objet d'un vote unanime en commission des affaires sociales, il y a une semaine. Le grand âge est un moment où l'acuité visuelle évolue et devient un souci pour chacun ou presque.
Depuis 2007, les opticiens sont autorisés à réaliser des tests d'acuité visuelle dits « de réfraction » afin d'adapter les ordonnances délivrées par les ophtalmologues, dans des conditions strictement encadrées et négociées entre les différents acteurs de la filière visuelle. Parmi ces conditions, le pouvoir réglementaire a prévu que les tests réalisés par les opticiens ne peuvent être réalisés hors de leur boutique.
La présente proposition de loi a donc un champ d'application limité : c'est volontairement qu'elle se contente d'offrir aux opticiens la possibilité de réaliser ces tests au sein des EHPAD – les établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes – , afin d'adapter les ordonnances des résidents datant de moins de trois ans. Bien entendu, elle ne remet nullement en cause l'exclusivité de la délivrance de l'ordonnance originelle par les ophtalmologues – principe que certains voudraient mettre en cause – ni l'obligation faite aux patients de se soumettre à une nouvelle consultation médicale si la prescription date de plus de trois ans. Elle se contente d'ouvrir le champ de la négociation, en confiant au pouvoir réglementaire la mission d'organiser une concertation entre les acteurs de la filière visuelle et d'encadrer par décret les conditions dans lesquelles les opticiens pourraient effectuer des tests pour fournir des lunettes adaptées aux résidents des EHPAD.
Quel constat nous a amenés à présenter cette proposition de loi ? L'absence de lunettes ou de tout autre dispositif optique adapté n'est pas uniquement une question de confort pour les résidents des EHPAD. En effet, si une personne âgée n'est pas en mesure de voir correctement, les risques de chute et de blessure sont accrus. De plus, faute de dispositif de vue adapté, elle ne peut pas se joindre aux moments de socialisation et d'échange entre résidents, ce qui entraîne un risque d'isolement social au sein même des EHPAD. Par ailleurs, les difficultés de mobilité compliquent les consultations en ville. Enfin, l'accès des patients aux soins visuels reste difficile en raison de la pénurie d'ophtalmologues : il faut en moyenne cinquante-deux jours pour obtenir un rendez-vous. Et les perspectives de croissance démographiques ne sont pas réjouissantes pour les ophtalmologues ; en 2030, la densité moyenne en ophtalmologues libéraux devrait s'élever à six médecins pour 100 000 habitants, soit une diminution de 20 % par rapport à 2016. En conséquence, les personnes âgées portent trop souvent des lunettes inadaptées : près de 40 % d'entre elles souffrent d'un trouble visuel mal corrigé.
Compte tenu de ces constats, la présente proposition de loi a pour objet de lever un frein à l'accès aux soins visuels des résidents en EHPAD, dans des conditions déterminées par décret. Ainsi, les opticiens pourraient venir dans l'EHPAD pour tester la vue de leurs clients disposant d'une prescription datant de moins de trois ans. Ces patients devraient donc faire contrôler leur vision par un médecin ophtalmologue au moins une fois tous les trois ans.
Des mesures visant à pallier la pénurie d'ophtalmologues ont certes été adoptées, mais elles peinent à produire leurs effets. Si des expérimentations sont en cours, permettant notamment d'étendre le champ de compétences des orthoptistes, elles demeurent insuffisantes.
Depuis 2007, les opticiens-lunetiers bénéficient de délégations d'actes pour le renouvellement et l'adaptation des ordonnances d'optique médicale. Conformément aux recommandations d'un rapport de l'inspection générale des affaires sociales, ce dispositif a été modifié et étendu par l'article 132 de la loi du 26 janvier 2016 de modernisation de notre système de santé : les opticiens peuvent désormais adapter les ordonnances de verres correcteurs et de lentilles de contact dans le cadre d'un renouvellement. En cas de perte ou de bris des verres correcteurs d'amétropie, si l'urgence est constatée et en l'absence de solution médicale adaptée, l'opticien peut exceptionnellement délivrer un nouvel équipement sans ordonnance, après avoir réalisé un examen de la réfraction. En application de l'article D. 4362-11-1 du code de la santé publique, l'opticien-lunetier « reporte sur la prescription médicale l'adaptation de la correction qu'il réalise et en informe le médecin prescripteur ». Toutefois, les auditions que nous avons menées ont démontré que l'opticien-lunetier ne dispose pas des moyens de mentionner cette correction dans le dossier médical partagé.
La proposition de loi qui vous est soumise ce soir vise à améliorer la prise en charge de la santé visuelle des personnes âgées résidant en EHPAD. Elle vise à permettre aux opticiens de contrôler l'acuité visuelle des patients sur place et d'adapter les ordonnances prescrivant des dispositifs optiques aux personnes âgées résidentes. Il s'agit donc de leur permettre, non pas d'exercer une compétence supplémentaire, mais d'offrir en EHPAD un service qu'ils offrent déjà en magasin, au profit des personnes incapables de se déplacer.
La présente proposition de loi n'organise pas les conditions dans lesquelles les opticiens pourront réaliser les tests de vision des résidents des EHPAD et ne prévoit pas non plus les conditions de leur prise en charge. Elle renvoie au Gouvernement la mission d'organiser une concertation entre les acteurs de la filière visuelle, en particulier les représentants des ophtalmologues et des opticiens, pour définir un encadrement strict de la prestation prévue.
À cette fin, plusieurs pistes peuvent être explorées. Il pourrait être prévu que l'intervention des opticiens-lunetiers en EHPAD suppose qu'ils soient formés aux soins et aux spécifications de la vision dans le grand âge. Il pourrait également être prévu de prévoir que cette intervention et la réalisation des tests d'acuité visuelle soient effectuées sous la supervision du médecin coordonnateur de l'EHPAD. Enfin, il pourrait être prévu de déterminer si la situation des personnes âgées dépendantes justifie d'adapter la durée de validité des prescriptions.
Chers collègues, ce texte, quoique modeste, constitue une avancée pour la prise en charge de la santé visuelle des personnes résidant en EHPAD. Les représentants des établissements d'hébergement que nous avons auditionnés ont d'ailleurs salué les mesures envisagées, que je conçois comme un complément à celles prises par le Gouvernement en faveur de l'accès aux soins. Il ne s'agit pas d'une révolution en matière de prise en charge des troubles de la vue ni d'un glissement de tâche hasardeux, mais d'une mesure de bon sens, d'un tout petit pas, pour faciliter la vie des seniors.