Intervention de Jean-Hugues Ratenon

Séance en hémicycle du jeudi 6 décembre 2018 à 21h30
Santé visuelle des personnes âgées en perte d'autonomie — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Hugues Ratenon :

Cette proposition de loi me donne l'occasion d'appeler une fois de plus l'attention de la représentation nationale sur la question du vieillissement de la population réunionnaise. Par conséquent, en plus d'exposer notre position sur ce texte, j'aborderai aussi la situation que La Réunion connaît depuis de nombreuses années à cet égard.

En ce qui concerne ce texte, il nous faut d'abord brosser le tableau général de la situation des personnes résidant en EHPAD pour comprendre ensuite ce que vous proposez. Dans un rapport très éclairant mais aussi alarmant, les députées Caroline Fiat et Monique Iborra ont décrit avec précision les conditions de vie et de soins des personnes âgées résidant en EHPAD, mais aussi les conditions de travail des personnels de ces établissements.

Depuis quelques années, même si l'espérance de vie ne recule pas, l'espérance de vie en bonne santé, elle, a reculé. Or, nous le savons depuis déjà de nombreuses années, les EHPAD manquent grandement de personnel : à l'échelle nationale, on compte vingt-cinq aides-soignants et six infirmiers pour cent résidents, alors que l'on sait qu'il faut soixante soignants pour cent résidents pour assurer des conditions de vie dignes et des soins adaptés. De tout cela émergent les images que nous avons déjà vues et qui suscitent au fond de chacun une certaine honte : la maltraitance institutionnelle est très largement répandue et le personnel est à bout.

Quelle a été la réponse de Mme Buzyn au rapport présenté par nos collègues Fiat et Iborra ? Elle les a convoquées au ministère, avant même la présentation du rapport en commission, pour leur dire qu'elle ne répondra pas positivement à leurs principales préconisations. Pourquoi toujours verrouiller les débats ? Ce n'est pas acceptable.

Entrons désormais au coeur du sujet qui nous occupe ce soir. Cette proposition de loi revient sur la situation particulière de la santé visuelle des personnes résidant en EHPAD.

La durée moyenne d'attente pour un rendez-vous chez un ophtalmologue est de quatre-vingts jours et, dans 10 % des cas, le délai dépasse même six mois. Pourtant 97 % des personnes de plus de soixante ans souffrent de troubles visuels et la moitié au moins des résidents en EHPAD ne bénéficient pas d'un équipement optique adapté à leurs besoins.

Cette proposition vise à permettre aux opticiens-lunetiers de pratiquer des examens dans les EHPAD. Il faudra bien sûr veiller à ce que l'encadrement soit suffisamment strict pour éviter les pratiques commerciales abusives. Néanmoins, au regard de l'urgence de la situation, nous pouvons nous prononcer pour cette proposition de loi.

Comme je l'ai annoncé en introduction de mon discours, je tiens désormais à rappeler à la représentation nationale la situation de La Réunion quant au vieillissement de sa population. C'est une véritable bombe à retardement, totalement négligée par la gouvernance publique actuelle. Parmi ses 860 000 habitants, La Réunion compte 132 000 personnes de plus de soixante ans, soit 15,3 %, et ces dernières seront presque 300 000 en 2050, selon l'INSEE, soit 29 % de la population totale, qui devrait alors atteindre 1,1 million d'habitants.

Les personnes âgées vivent actuellement dans une grande précarité. Qu'en sera-t-il en 2050 ? Alors que tout est plus cher à La Réunion, comment nos aînés peuvent-ils vivre avec seulement la moitié de ce que gagnent les hexagonaux ? Pire encore, les 10 % les plus pauvres gagnent quatre fois moins à La Réunion qu'ici : les personnes de soixante-cinq à soixante-quatorze ans gagnent 219 euros par mois à La Réunion, contre environ 850 euros dans l'Hexagone, ce qui est purement scandaleux, intolérable. Et tous les autres chiffres sont aussi alarmants : 12 % des personnes âgées n'ont pas accès à l'eau chaude ; 2,4 % n'ont pas de WC à l'intérieur de leur maison ; 45 % des personnes de soixante-cinq à soixante-quatorze ans vivent sous le seuil de pauvreté, et ce taux monte à 58,4 % pour les plus de soixante-quinze ans ; seulement 3,7 % des plus de soixante-quinze ans vivent en institution, contre 9,7 % ici ; on compte trente-six places en EHPAD pour 1 000 personnes de plus de soixante-quinze ans, contre quatre-vingt-quinze places ici, dans l'Hexagone ; enfin, à La Réunion, les admissions en affection longue durée se font beaucoup plus tôt et la mortalité précoce est plus importante.

Qu'a fait le Gouvernement pour répondre à ces problèmes ? Rien, et encore rien ! « Ce n'est pas le moment », « ça coûte trop cher » : voilà les réponses que vous nous faites à chaque fois et que vous nous ferez sûrement encore. Mme Girardin, ministre des outre-mer, est venue trois jours à La Réunion la semaine dernière. Et qu'a-t-elle annoncé sur le sujet ? Rien non plus.

Mes chers collègues, ne vous étonnez pas de la situation de désespoir qui règne à La Réunion. À chaque fois qu'un Réunionnais vous expose frontalement la réalité que nous connaissons, vous n'écoutez pas et vous répondez donc à côté – c'est malheureusement pareil dans l'Hexagone, d'ailleurs, les mobilisations sont là pour nous le démontrer. Le peuple est à la dernière extrémité ; il n'en peut plus, et c'est ce que vous voyez s'exprimer depuis le 17 novembre partout en France.

Merci de prendre mes remarques en considération.

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