Intervention de Gilles Lurton

Réunion du mercredi 28 novembre 2018 à 16h30
Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaGilles Lurton, co-rapporteur de la commission des affaires sociales :

Le troisième chapitre est celui de la réforme de la justice prud'homale.

Cette réforme avait pour objectif de mettre fin à une série de difficultés au sein de cette juridiction, que reflètent les délais de traitement anormalement longs des dossiers, la condamnation répétée de l'État liée à des dysfonctionnements, les taux d'appel extrêmement élevés par rapport aux autres juridictions, la professionnalisation parfois insuffisante des conseillers prud'homaux, etc. Je précise malgré tout que ce n'était pas le cas dans tous les tribunaux prud'homaux et que certains fonctionnaient très bien, avec quasiment aucune affaire renvoyée au départage.

De manière synthétique, les principales modifications apportées par la loi peuvent être résumées en sept points, qui figurent dans le rapport. Je passe donc directement aux conclusions auxquelles nous sommes rendus.

Trois ans après l'entrée en vigueur de la loi, nous constatons que ses dispositions ont permis de mettre en chantier les nécessaires rationalisation et professionnalisation de l'office du juge des relations individuelles du travail. Les mesures visant à permettre l'instruction et la mise en état du dossier semblent atteindre leurs objectifs. Les intéressés sont désormais plus souvent en état de se prononcer utilement sur les dossiers, qui ont fait l'objet d'un examen préalable, plutôt que de devoir multiplier les renvois à une audience ultérieure.

Toutefois, les modifications procédurales qui semblent revenir sur le paritarisme sont vouées à l'échec. Les conseillers prud'homaux demeurent attachés à leur statut et à leur rôle de juge et ne sont pas volontaires pour développer des procédures revenant à remettre en cause leur rôle. Il convient de conforter et de professionnaliser ces juridictions paritaires plutôt que de les contourner.

Sujet plus sensible : il nous apparaît que les ambitions du législateur se heurtent à des questions de moyens, ce qui est le problème de la justice en général. La baisse du contentieux est réelle. C'est un point positif : nous sommes passés de 184 000 saisines en 2015 à 127 000 en 2017, soit une baisse d'un tiers. Cette évolution est la conséquence des réformes intervenues depuis une dizaine d'années : l'instauration de la rupture conventionnelle, la « loi Macron », les ordonnances du 22 septembre 2017. En revanche, les auditions que nous avons menées ne nous ont pas démontré d'amélioration des délais de jugement, qui était pourtant un objectif recherché par la « loi Macron ». Le nombre d'affaires aboutissant à une conciliation reste limité : 5,6 % des affaires avec un délai moyen de trois mois. Au total, en 2017, chaque dossier met en moyenne 17,3 mois avant d'être jugé. Le pire est lorsque l'affaire doit être renvoyée au départage d'un magistrat : le délai moyen de ces affaires a fortement augmenté depuis la « loi Macron », atteignant 32 mois. Le recours aux juges départiteurs du pôle social du tribunal de grande instance (TGI), choisis en fonction de leurs compétences et affinités pour le droit du travail, plutôt qu'aux juges d'instance, ne semble pas avoir permis d'améliorer l'efficacité globale des procédures Nous craignons que se multiplient les décisions indemnisant les justiciables victimes de ces délais. Cela pose à l'évidence la question de l'insuffisance de moyens accordés à la justice du quotidien. Faute de moyens adéquats, les modifications législatives n'ont pas permis d'améliorer sensiblement les délais de traitement du contentieux. Dans ce cadre, nous appelons à ce qu'aboutissent au plus vite les concertations en cours visant à accorder aux conseillers prud'homaux un temps accru de préparation des dossiers et à améliorer l'indemnisation.

Dans le même ordre d'idée, nous proposons que plus de magistrats soient affectés au départage, par exemple, en y affectant des magistrats à temps plein.

Quant aux dispositifs de « barémisation », nous constatons une situation paradoxale : le législateur a exclu de l'application du barème les licenciements intervenus à la suite de harcèlement ou de la violation d'une liberté ou d'un droit fondamental. En conséquence, la stratégie de certains avocats est désormais de rechercher systématiquement une clause de nullité fondée sur ces motifs pour contourner le barème et demander une indemnisation supérieure. Cela conduit à limiter la portée du barème. Or, dans le même temps, la possibilité de demander l'indemnisation de l'ensemble du préjudice subi est une condition de la conformité du dispositif aux dispositions de la Charte sociale européenne et des conventions de l'Organisation internationale du travail (OIT).

Un point très positif mérite d'être relevé : l'organisation de la formation initiale des conseillers prud'homaux par l'École nationale de la magistrature (ENM). Sur ce sujet, les intéressés nous ont tous fait part d'une satisfaction globale.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Cette législature étant désormais achevée, les commentaires sont désactivés.
Vous pouvez commenter les travaux des nouveaux députés sur le NosDéputés.fr de la législature en cours.