Je tiens en introduction à remercier le président Yves Blein pour la qualité avec laquelle il a su diriger ce travail. Je voudrais dire en préambule qu'au-delà du contenu de la loi, la façon dont nous avions travaillé en 2015 mériterait, à elle seule, une évaluation et un enseignement par rapport aux travaux que nous avons menés par la suite, et que nous menons actuellement.
Cette commission spéciale avait impliqué un travail du ministre au quotidien, de la manière la plus rapprochée des députés, avec l'administration mise à sa place. Je pense que ce texte est vraiment issu de l'Assemblée nationale et non de l'administration.
Deuxième point, nous avions mis en place, avec M. Richard Ferrand, une mission de suivi. Celle-ci nous a permis d'encadrer finalement le travail de l'administration et de faire en sorte que les décrets que nous avions prévus puissent être promulgués aux dates inscrites dans la loi et que le contenu des décrets soit le plus proche possible du dispositif législatif. Vous savez tous que c'est n'est pas une mince affaire que d'obtenir cela – et, en tout cas, de le vérifier.
Troisième point, cette mission de suivi a facilité le travail que nous avons eu à mener aujourd'hui. Nous avons tous constaté, je pense, que le travail réglementaire avait été effectué et que les travaux d'appréciation que nous avons menés sont largement dus à cette façon que nous avons eue d'entrer dans ce travail législatif.
Nous avons conduit, pour notre part, une trentaine d'auditions. Nous avons effectué un déplacement à Chalon-sur-Saône, où nous avons rencontré des professionnels locaux, car nous souhaitions rencontrer des professionnels exerçant dans des villes moyennes et en zone rurale. Enfin, nous avons adressé un questionnaire écrit à toutes les organisations représentatives des employeurs et salariés concernés.
Avant d'entrer dans le détail de ce travail d'évaluation, permettez-moi de souligner que, sur ce texte extrêmement technique, j'avais l'avantage de travailler avec mon collègue Bruno Questel, dont je tiens à souligner ici les qualités. J'ai pu apprécier la qualité avec laquelle il a pu s'associer à ce travail d'évaluation et y apporter un souci d'innovation auquel j'ai été très sensible.
Les effets de la réforme sont globalement satisfaisants et conformes aux objectifs qui étaient recherchés, en particulier l'amélioration de l'accès aux prestations juridiques et le renouvellement des professionnels, notamment pour les jeunes diplômés qui, on le savait, étaient en difficulté par rapport à leur vocation d'exercer des missions de professionnels du droit.
La mise en oeuvre de la libre installation régulée des notaires, qui est assurément l'un des points centraux et emblématiques de la réforme des professions réglementées, nous a valu beaucoup de contestations dans la presse et même dans la rue. Nous avons dressé un bilan de la première vague d'installations, qui a pris fin en septembre dernier. 1 620 nouveaux professionnels libéraux ont été nommés dans les 247 zones de libre installation, dites « zones vertes ». Ces dernières avaient été déterminées à partir d'une évaluation innovante de l'Autorité de la concurrence. Ces créations d'offices ont favorisé le rajeunissement, mais également la féminisation de la profession, puisque 58 % de femmes figurent parmi les créateurs d'offices. L'introduction d'un âge limite de 70 ans est également un facteur dont les effets iront dans le sens du rajeunissement de la profession.
L'autorisation reconnue aux sociétés existantes de se porter candidates à la création d'un office en zone verte leur a permis de se voir attribuer de nouveaux offices. Elle ne semble cependant pas avoir remis fondamentalement en cause l'objectif qui était le nôtre, à savoir la nomination de nouveaux notaires primo-installants dans les territoires. En effet, seuls 10 % des nouveaux notaires ne sont pas des primo-installants.
L'impact complet des installations est encore difficile à évaluer, le caractère très récent de celles-ci en limitant la portée. Mais les nouveaux notaires que nous avons rencontrés saluent cette réforme qui leur a ouvert des perspectives et permis de réaliser un projet, parfois ancien, qui leur tenait à coeur. Beaucoup ont souligné, en revanche, les difficultés qu'ils ont rencontrées lors de leur installation, telles que l'accès aux financements, l'accès à l'information, la recherche d'un local, etc. Vous imaginez bien que les professionnels installés n'ont pas toujours accueilli avec grand enthousiasme ces nouveaux notaires sur leurs territoires.
La procédure de tirage au sort qui a été mise en place en raison du nombre élevé de candidats, plus de 36 000, a eu certains effets négatifs. Afin d'augmenter leurs chances d'obtenir un office, de nombreux candidats ont déposé des dossiers dans plusieurs zones, sans avoir de réel projet professionnel : plus de 30 000 candidatures ont été enregistrées dans les premières 24 heures, ce qui a entraîné des lourdeurs administratives. Je dois saluer le travail de la Chancellerie qui n'était pas du tout équipée pour une innovation de ce type, assez brutale.
Pour ce qui est du tirage au sort, après du contentieux, un dispositif fiable a été mis en place, où l'entre-soi n'avait plus sa place et où l'indépendance dans le choix était garantie.
Nous formulons plusieurs propositions afin d'améliorer la mise en oeuvre de la libre installation.
Tout d'abord, il conviendrait de favoriser le recours à la publicité, qui permettra aux nouveaux notaires de se faire connaître et d'apporter des prestations différentes et innovantes – car c'était aussi notre souci, et notre objectif.
Ensuite, afin d'améliorer et de fluidifier la procédure de nomination, il serait préférable de limiter les candidatures à une zone, qu'elles soient en société ou en individuel, les candidats pouvant ensuite décider d'exercer individuellement ou collectivement. Nous souhaitons que l'on puisse recourir désormais à des tirages au sort électroniques, la dématérialisation faciliterait grandement le travail mené par la Chancellerie. Nous notons également avec satisfaction que le Gouvernement envisage d'encadrer les conditions de renonciation, ce qui devrait avoir pour effet de limiter le nombre de zones dans lesquelles une personne se portera candidate.
Il s'agit enfin de permettre aux créateurs d'offices de mieux anticiper leur installation grâce à une meilleure information sur leur date de nomination et à un allongement du délai entre la nomination et la prestation de serment.
Je suis désolée d'entrer à ce point dans les détails, mais ces éléments étaient importants pour les officiers publics ministériels qui s'installaient.
Du point de vue des clients, la mise en oeuvre de la réforme a eu un effet positif, puisqu'elle a permis l'accroissement et la diversification de l'offre notariale. Une hausse de 15 % de notaires libéraux par rapport à 2016 est la progression que nous avons enregistrée.
S'agissant du maillage territorial, qui était aussi l'un de nos objectifs, parce qu'au-delà de cette réforme, il s'agissait d'éviter le désert juridique, le dispositif de zonage et l'étude appuyée de l'Autorité de la concurrence ont permis d'éviter que ce soient les métropoles qui, comme toujours, en tirent bénéfice. Nous avons donc non pas une concentration de notaires dans les grandes agglomérations, mais le maintien dans les différents secteurs de nos territoires de la présence de ces officiers publics ministériels. J'émettrai toutefois une réserve : cela n'a peut-être pas été le cas en Seine-Saint-Denis par rapport à Paris. Mais l'Autorité de la concurrence estime impossible de définir des zones géographiques alternatives aux zones d'emploi qu'elle a retenues. Nous en restons donc là pour le moment, et nous suivrons cette évolution.
Enfin, l'installation des nouveaux notaires n'a pas remis en cause la rentabilité des offices existants. Il ne s'agissait pas de paupériser une profession, encore que le danger ne fût pas immédiat. La médiane par zone d'installation se situe actuellement à 550 000 euros de chiffre d'affaires par notaire libéral. On peut considérer que l'on n'a pas encore bouleversé les orientations économiques de ce dispositif, ce qui est d'ailleurs une vraie question parce qu'il existe malgré tout des inégalités entre les territoires, entre un notaire rural et ceux qui oeuvrent dans une métropole, et dont les actes sont sans doute plus rémunérateurs que ceux auxquels peuvent prétendre les notaires ruraux.
En conséquence de cette évaluation, nous souscrivons pleinement au nouvel objectif d'installation de 700 nouveaux notaires libéraux d'ici à 2020, proposé par l'Autorité de la concurrence en juillet dernier. Nous souhaitons que la Chancellerie accueille favorablement cette proposition.
Nous recommandons également de poursuivre les créations d'offices d'avocats au Conseil d'État et à la Cour de cassation. Après les quatre créations déjà intervenues fin 2016, l'Autorité de la concurrence a proposé quatre créations supplémentaires. Ce n'est pas rien au regard du nombre d'avocats au Conseil d'État et à la Cour de cassation, puisque nous avions 60 études, et qu'avec ces huit créations, nous sommes à un peu plus de 10 %. Mais il importe de le faire.
Pour cette profession, nous proposons de supprimer – le ministre, à l'époque, en était d'accord mais le Gouvernement l'avait maintenue – la commission de classement des candidats et de recourir à l'horodatage des candidatures afin d'éviter le risque d'un entre-soi incompatible avec l'ouverture voulue par le législateur. Il est, par ailleurs, nécessaire d'abroger certaines règles déontologiques qui limitent la concurrence entre les professionnels, notamment l'interdiction faite à un avocat aux conseils de traiter un dossier déjà confié à un confrère sans son accord préalable et certaines règles très restrictives concernant la sollicitation personnalisée.
Le processus d'installation des nouveaux huissiers de justice et commissaires-priseurs judiciaires est, quant à lui, beaucoup moins avancé. Un délai d'un an s'étant écoulé entre l'avis de l'Autorité de la concurrence et la publication de l'arrêté relatif à la carte des zones d'installation et aux objectifs de nomination, les tirages au sort sont terminés, mais les créations d'offices ne sont pas encore achevées. Par ailleurs, la création de la profession de commissaire de justice, qui remplacera les deux professions à partir de juillet 2022, nécessite encore une série de textes réglementaires d'application.
Pour terminer, je souhaite parler des greffiers des tribunaux de commerce. Nous notons que douze candidats ont été admis début 2018, à l'issue de la première session du nouveau concours que nous avons mis en place dans le cadre de cette loi et qui renforce le caractère méritocratique de l'accès à cette profession. Ce n'est pas suffisant ; il conviendrait de développer la publicité dont ce concours doit faire l'objet, en particulier dans les universités de droit – ce qui relève du Conseil national des greffiers des tribunaux de commerce.
Enfin, la création d'une seconde voie d'accès pour les professions d'administrateur et de mandataire judiciaires, par un nouveau diplôme spécifique de master, a été prévue par la loi. Cela se traduit dès à présent par une ouverture importante de ces professions. Il faudra veiller à ce que les obligations relatives au stage ne constituent pas un obstacle à l'installation des jeunes diplômés.