En somme, vous nous demandez de signer un chèque en blanc sur des dispositions qui demeurent assez floues, ce qui risque – une fois encore – d'accréditer la thèse selon laquelle l'essentiel, en matière européenne, se négocie toujours à l'abri des regards, notamment celui du Parlement. Si d'aventure un débat est tranché par référendum, il est rare que la volonté exprimée par leur résultat soit mise en oeuvre.
Dans le contexte de montée des populismes que nous connaissons, vous comprendrez bien, madame la ministre, que cette façon de faire est encore plus inacceptable que d'habitude.
Dès lors que les ordonnances proposées ne répondent pas aux véritables questions – celles du moins que je considère comme telles – , je profiterai de cette tribune pour en évoquer quelques-unes, au premier rang desquelles le rétablissement des droits de douane. Je m'appuierai sur l'exemple le plus emblématique à ce sujet, celui d'Airbus – je pourrais en prendre d'autres, mais, outre le fait que ma circonscription se trouve dans la région Occitanie, celui-ci ne saurait nous laisser indifférents.
Les moteurs des avions sont fabriqués par Rolls-Royce au Royaume-Uni et montés sur ceux-ci à Toulouse. Un Brexit sans accord entraînerait dès le mois d'avril 2019 l'introduction de droits de douane, ce qui aurait l'une des deux conséquences suivantes : soit Airbus paie ces droits de douane – ce qui augmentera ses coûts de production et fragilisera sa compétitivité vis-à-vis de Boeing – , soit Airbus refuse de les payer, obligeant Rolls Royce à déménager son usine – et ses 12 000 salariés – sur le continent européen.
Sur ce point, le Gouvernement français est silencieux, à tel point qu'Airbus a dû récemment débourser 800 millions d'euros afin de renforcer ses stocks avant la date fatidique du 29 mars 2019. Le chiffrage des conséquences du rétablissement des droits de douane s'élève à plusieurs milliards d'euros.
Le Gouvernement n'en a fourni aucune évaluation. Pour l'heure, on ignore le nombre d'entreprises concernées et le montant des droits de douane – en milliards d'euros – qu'elles devront régler.
Mon deuxième point – un peu technique, certes – concerne la gestion des contrats financiers libellés en euros. Aujourd'hui, c'est la société LCH Ltd, filiale de la Bourse de Londres, qui est le principal acteur en matière de compensation des contrats dérivés de taux libellés en euro. C'est un paradoxe qu'à titre personnel je n'ai jamais accepté : le fait que la gestion de contrats libellés en euros soit assurée par la City londonienne – peu concernée par l'euro, en tout cas sur le plan politique – me pose un vrai problème. Le Brexit, quelle que soit l'option qui sera décidée par les parlementaires britanniques, doit être l'occasion pour nous de reprendre la main sur l'euro. C'est un enjeu de souveraineté. Sur ce point-là, madame la ministre, il faut que vous nous en disiez plus : la seule chose que vous proposez dans vos ordonnances est que le régulateur européen dispose d'un droit de regard sur les chambres de compensation installées au Royaume-Uni. Cela montre une chose : vous êtes sur un mode défensif et non offensif.
Je ne reviens pas sur la question des accords bilatéraux, qui a été abordée par Jean-Luc Mélenchon.
Cimenter l'Union européenne est une nécessité : nous devons renforcer notre droit. Le Brexit devrait susciter un sursaut de l'ensemble des acteurs européens pour réaffirmer ce qu'est notre droit européen partagé, qui constitue une force de frappe. Il faut une réponse offensive, et ce n'est pas l'esprit des ordonnances ; or votre attitude défensive n'est pas ce que nous voulons pour l'Europe, et ne constitue pas non plus une réponse adaptée au contexte politique, notamment face à la montée des populismes.