Le 23 juin 2016, les Britanniques ont choisi de quitter l'Union européenne, avec une majorité de 51,9 %. La semaine dernière, la Chambre des communes a voté, pour la première fois de son histoire constitutionnelle, l'outrage au Parlement, contre le gouvernement de Theresa May. Aujourd'hui, la même Theresa May, dancing queen en déroute, a annoncé le report du vote de l'accord entre la Grande-Bretagne et l'Union européenne, parce qu'elle sait qu'elle n'a pas de majorité, à l'heure qu'il est.
Le projet de loi dont nous discutons vise à habiliter le Gouvernement à prendre par ordonnances les mesures de préparation au retrait du Royaume-Uni de l'Union européenne, à la suite du Brexit. Le Gouvernement a d'abord choisi de faire traîner cette préparation, comme plusieurs collègues l'ont rappelé, sauf pour tout ce qui concerne les intérêts de la finance. Les intérêts des peuples passent après et sont traités avec brutalité, puisque nous voilà en procédure accélérée, sans attendre le résultat du vote britannique, afin, nous dit-on, d'« envoyer un signal à Londres ».
Cette stratégie de mise sous pression des parlementaires britanniques et français est, comme beaucoup de stratégies du Gouvernement, totalement hors-sol, au regard du déroulement des débats en Grande-Bretagne et surtout des enjeux de ce débat et des choix qui doivent être faits par le peuple britannique. Cette méchante manoeuvre, sortie tout droit du manuel de la diplomatie jupitérienne, dont on se rappelle les réussites éclatantes auprès des États-Unis, de la Russie ou de l'Arabie saoudite, n'est pas à la hauteur de la situation. Mais, venant de votre majorité, nous y sommes désormais habitués. Elle exprime, une nouvelle fois, le profond mépris de votre gouvernement et de votre majorité à l'égard des parlementaires et des peuples, en France et en Europe.
Par respect pour notre mandat de parlementaires, nous devrions occuper notre temps à autre chose qu'à voter en cadence, en rejetant systématiquement et sans réfléchir les amendements de l'opposition et en signant un blanc-seing au Gouvernement. Pour notre part, nous allons nous efforcer de mener un débat de fond et d'aborder certaines questions en particulier.
Nous voulons d'abord réaffirmer le respect de la souveraineté populaire et du choix exprimé lors du référendum britannique. Nous refusons que les futures relations de travail entre les deux pays soient régies par le régime du travail détaché. Nous proposons à la place que s'impose le droit du travail français pour toute personne travaillant en France. Nous défendons également le protectionnisme solidaire qui impose la garantie des conditions matérielles d'existence et le respect de la règle verte dans les relations commerciales entre États.
Nous proposons d'instaurer une taxe sur l'achat d'actions de sociétés françaises par des opérateurs britanniques et d'aligner les taux des transactions financières sur le taux britannique. Nous voulons renégocier les accords du Touquet et de Sandhurst, pour que le Pas-de-Calais ne serve plus de garde-frontière du Royaume-Uni. Ces ordonnances portent sur la circulation des biens, des capitaux et des personnes – plus exactement de « certaines » personnes, tant il est vrai que toutes n'ont pas droit, pour vous, à la même dignité ni au même respect.
Sur tous ces sujets, nous vous proposerons des amendements, que nous vous invitons à voter. Ce débat est important. Il a lieu à un moment crucial, en Grande-Bretagne, en France et en Europe. Le Brexit, dans tous les territoires qui ont voté « Leave », a fait retentir la clameur d'un peuple pour le retour à une forme de souveraineté nationale. Les expressions xénophobes qui se sont exprimées ont été nourries par l'Europe de la City, qui a mis en compétition les employés agricoles sans-papiers venus de Somalie, des travailleurs détachés d'origine polonaise et ces précaires britanniques, dont les riches de Kensington ou de Chelsea se moquent en les nommant « chavs », comme d'autres ici parlent des « riens » ou des fainéants.
Reprendre le contrôle, récupérer le pouvoir de décider ensemble, en tant que peuple. Pouvoir prendre part et s'opposer aux décisions qui touchent son quotidien.
Ces demandes des Brexiters, souvent issus des populations les plus pauvres, les plus âgées, les plus éloignées des centres-villes, des perdants et perdantes de la mondialisation financière qui bat son plein à la City, ont une résonance particulière ce 10 décembre en France, que tous et toutes ici, je n'en doute pas, perçoivent clairement.
Elles font écho à celles d'un mouvement qui présente de nombreuses similitudes avec celui des Brexiters, notamment dans le profil des personnes concernées, celui des Gilets jaunes, soutenu par une large majorité de la population.
Accepter ces ordonnances, quand on sait comment elles ont été proposées et comment nous en débattons ici, quand on sait l'objectif qu'elles poursuivent, celui d'influencer les débats britanniques, ce serait fouler aux pieds le peuple britannique et renier son choix mais ce serait aussi préparer de nouveaux renoncements démocratiques pour le peuple français. Pour ces raisons, nous ne voterons pas en faveur de votre projet de loi d'ordonnances mais nous proposerons dans les prochains mois une alternative à l'Europe que vous déconstruisez.