Intervention de Nicole Le Peih

Réunion du jeudi 6 décembre 2018 à 10h05
Commission des affaires européennes

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaNicole Le Peih, référente de la commission des affaires étrangères :

L'objet de la présente communication est de revenir sur le vote, intervenu hier dans la Commission des affaires étrangères, du projet de loi autorisant l'approbation de la décision du Conseil du 13 juillet 2018 modifiant « l'Acte électoral ». Cette décision du Conseil est née du constat qu'ont fait les institutions européennes, et notamment le Parlement européen, d'une désaffection progressive des électeurs envers les élections européennes, trop souvent qualifiées d'élections de second rang par rapport aux échéances nationales. Si ces élections peinaient à mobiliser en 1979, avec 60,7 % des électeurs, les élections de 2014 ont été loin d'attirer plus d'un électeur sur deux, avec un taux de participation de 43,5 %, ce qui demeure toutefois le meilleur taux de participation depuis 1999. Ces élections sont pourtant cruciales, j'aurais l'occasion d'y revenir.

Le premier suffrage européen, comme vous le savez, eut lieu en 1979, même si les États membres n'ont pas réussi à se mettre d'accord sur une procédure unique. Nous vivons actuellement sous le régime d'une décision du Conseil des 25 juin et 23 septembre 2002. Cette décision a fixé des principes qui demeurent encore valides : un mode de scrutin proportionnel, avec scrutin de liste préférentiel facultatif dans tous les États membres ; la possibilité pour certains États membres, dont la France fera partie, de constituer des circonscriptions territoriales, à la condition expresse de ne pas porter atteinte au caractère proportionnel du scrutin ; l'incompatibilité de la qualité de membre du Parlement européen et de parlementaire national, cette double fonction ayant été autorisée dans l'Acte initial ; la possibilité pour chaque État de fixer un plafond pour les dépenses de candidats relatives à la campagne électorale.

Le Parlement européen a mené plusieurs travaux sur la rénovation du suffrage européen. Il y est d'autant plus légitime que le Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne stipule, dans son article 223, paragraphe 1, que « le Parlement européen élabore un projet en vue d'établir les dispositions nécessaires pour permettre l'élection de ses membres au suffrage universel direct selon une procédure uniforme dans tous les États membres ou conformément à des principes communs à tous les États membres ». Je citerai en particulier le rapport du député Andrew Duff, de 2011, qui évoquait la possibilité d'élire 25 députés européens au sein de listes transnationales, dans une circonscription unique correspondant à l'ensemble du territoire de l'Union européenne. M. Duff envisageait des listes transnationales composées de candidats provenant d'au moins un tiers des États et garantissant une représentation équitable des hommes et des femmes. Dans le système de listes transnationales tel qu'imaginé par M. Duff, chaque électeur exprimait une voix pour la liste paneuropéenne de son choix en plus de son vote pour une liste nationale ou régionale. La voie des listes transnationales, comme nous le savons, n'a pas été choisie pour l'instant, et c'est regrettable. Le Parlement européen avait adopté le 11 novembre 2015, avec sa résolution visant à développer de nouveaux principes communs et à tenir compte des nouvelles dispositions du traité de Lisbonne, un rapport d'initiative législative dans lequel il prévoyait la création d'une « circonscription électorale commune » dans laquelle les candidats auraient été élus sur la base de listes transnationales « emmenées par le candidat ou la candidate de chaque famille politique à la présidence de la Commission ». Je note toutefois que les chefs d'État et de gouvernement ont convenu, le 23 février 2018, de revenir sur ce sujet ultérieurement. Cette avancée vers une véritable européanisation du scrutin sera donc discutée pour les élections de 2024, il faut s'en réjouir.

Les débats en Commission des affaires étrangères sur ce texte se sont concentrés sur cette question des listes transnationales, qui font relativement consensus même si certains y voient des obstacles techniques rédhibitoires. La question de la circonscription unique, issue de la loi du 25 juin 2018 relative à l'élection des représentants au Parlement européen, est également revenue souvent, les oppositions ayant réitéré leurs craintes que cela n'éloigne les députés européens de leurs territoires. La rapporteure, Mme Lætitia Saint-Paul, a rappelé que cela pourrait au contraire contribuer à repolitiser le débat européen et que dès 2014, la grande majorité des États (23 sur 28) avait choisi d'organiser les élections européennes sur la base d'une circonscription unique.

La décision que ce projet de loi permettra d'approuver contient donc peu d'innovations fondamentales, mais je souhaite partager avec vous quatre points.

Le premier d'entre eux est peut-être symbolique, mais témoigne bien du nouveau rôle du Parlement européen. L'article 1er de la décision du Conseil dispose que les élus au Parlement européen sont des « représentants des citoyens de l'Union », en accord à la fois avec le Traité de Lisbonne et le nouveau rôle du Parlement européen comme co-législateur. De même que nous sommes élus dans une circonscription, tout en incarnant l'intérêt général national, les représentants des citoyens de l'Union ont certes chacun leur nationalité, mais ils agissent chacun en fonction de l'intérêt général européen.

Ensuite, la nouvelle décision introduit un nouvel article 3 ter, qui prévoit la possibilité de faire apparaître sur les bulletins de vote le nom ou le logo du parti politique européen auquel est affilié le candidat ou la liste de candidats. L'article L. 52-3 du code électoral français prévoit certes déjà que « chaque candidat ou liste de candidats peut faire imprimer un emblème sur ses bulletins de vote ». Le Gouvernement n'envisage pas de rendre obligatoire la mention de l'affiliation politique sur les bulletins. Mais cette possibilité permettrait de politiser et de rendre plus lisible le débat européen – nos concitoyens n'ayant que trop peu souvent une véritable connaissance des partis politiques européens, comme cela a également été rappelé en Commission des affaires étrangères.

En outre, la plupart des modifications introduites par cette décision n'ont que peu de portée pour la France, dans la mesure où notre droit est déjà conforme à ces dispositions. Je pense par exemple à la fixation d'un seuil minimal de 2 % à 5 % des suffrages pour l'attribution des sièges – la France ayant fixé dès 1977 un seuil à 5 %. C'est le cas également pour la date limite pour le dépôt des candidatures, ou encore pour la possibilité de voter pour les citoyens résidant dans les pays tiers.

Enfin, je voudrais mentionner que l'article 4 bis, qui est facultatif et porte sur la possibilité de prévoir le vote par correspondance, le vote électronique ou par internet, ne sera pas appliqué en France. En effet, la sécurité et la sincérité du scrutin ne pourraient être, en l'état, totalement assurées. Le vote électronique, par exemple, est très encadré en France et peut exister dans certains bureaux de vote, sur autorisation préfectorale. Mais les risques liés à la cyber-menace, aux doubles votes et aux failles techniques restent trop importants à l'heure actuelle pour en envisager une généralisation. Toutefois, cela ne nous empêche pas de continuer à réfléchir aux innovations possibles pour inciter les électeurs à se rendre plus massivement aux urnes, notamment lors des élections européennes.

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