Après ce point sur cette évolution majeure de la politique commerciale européenne, je voudrais pour ma part revenir sur l'accord – ou plutôt les accords – entre l'Union européenne et le Vietnam.
Le premier accord est un accord de libre-échange de « nouvelle génération » dont l'objet est très large. Très brièvement, il contient les dispositions suivantes :
– le libre accès des entreprises européennes à de nombreux secteurs des services (services aux entreprises, services bancaires, matériaux de construction…) ;
– la suppression à terme de 99 % des droits de douane sur les biens échangés entre les deux parties, droits qui peuvent atteindre, s'agissant des exportations de voitures, 78 %, et 50 % pour celles de vin ; le Vietnam supprimera ainsi 65 % des droits de douane sur les exportations européennes dès l'entrée en vigueur de l'accord et les droits restants sur une période de dix ans ; des contingents seront maintenus toutefois pour certaines exportations agricoles vietnamiennes vers l'Union européenne ;
– des dispositions spécifiques visant à éliminer les barrières non tarifaires dans le secteur automobile pour les entreprises européennes ;
– l'ouverture des marchés publics de l'État, des certaines entreprises publiques et des deux plus grandes villes vietnamiennes (Hanoï et Ho Chi Minh ville) ;
– la protection de 169 indications géographiques européennes, dont 36 françaises (essentiellement vins, spiritueux et fromages).
Quant à l'accord de protection des investissements, il organise la libéralisation des investissements et leur protection. C'est ainsi que les investisseurs européens au Vietnam bénéficieront d'un traitement juste et équitable, non discriminatoire, les protégeant en particulier contre toute expropriation sauf pour motif d'intérêt public et après versement d'une indemnité compensatoire de la valeur de l'investissement. Les investisseurs européens pourront par ailleurs voir leurs différends avec l'État vietnamien régler non pas par les juridictions vietnamiennes mais par un système ad hoc créé par les accords de protection des investissements (API), à double degré de juridiction, composé de juges permanents et indépendants, en lieu et place des tribunaux d'arbitrage privés qui, jusqu'alors, étaient la règle dans les API. Cette protection matérielle et procédurale apparaît particulièrement importante dans un pays où, comme vous le savez, l'État et le parti communiste ne font qu'un et où l'État de droit n'est pas forcément respecté, en particulier lorsque sont en jeu des décisions étatiques à l'encontre de sociétés étrangères.
Enfin, l'API réaffirme le droit à réguler des États pour atteindre – je cite – « des objectifs politiques légitimes tels que la protection de la santé publique ou de l'environnement ». À ce propos, je voudrais revenir sur l'accord de libre-échange qui contient, comme l'ensemble des accords négociés par l'Union européenne, un chapitre relatif au développement durable. La Commission présente ce chapitre comme très ambitieux Il comporte notamment les dispositions suivantes :
– la ratification par la Vietnam des conventions de l'OIT qu'il n'a pas encore ratifiée et la mise en oeuvre effective de celles-ci ;
– la mise en oeuvre effective des accords internationaux en matière d'environnement, tels que l'Accord de Paris sur le climat ;
– la promotion des droits de l'homme, la violation de ceux-ci pouvant entraîner la suspension de l'accord de libre-échange.
Toutefois, malgré ces dispositions, ce chapitre apparaît très en retrait des ambitions européennes en matière de développement durable et ce, pour plusieurs raisons :
– la formulation de certaines dispositions les prive largement de portée ; par exemple, le Vietnam « fera des efforts soutenus pour ratifier les conventions fondamentales de l'OIT » ; il aurait été plus simple et efficace de demander au Vietnam de prendre l'engagement de les ratifier et de fixer un délai ;
– les nombreuses instances de dialogue sur le développement durable masquent le refus de la Commission européenne de créer un comité chargé spécifiquement de la question des droits de l'homme, doté notamment d'un budget propre et de la capacité de prendre en charge des réclamations en la matière ;
– le mécanisme de règlement des différends en cas de violation alléguée d'une disposition du chapitre sur le développement durable est purement interétatique, sans intervention d'une tierce partie ou de la société civile, contrairement au mécanisme de règlement des différends État-investisseurs.
Le moins que l'on puisse dire, c'est que cet accord mérite qu'on s'y intéresse de près. Le rapport d'information sur la prise en compte du développement durable dans les accords de libre-échange, que notre commission a lancé, pourrait être le cadre d'un tel travail.
En conclusion, je voudrais rappeler que le Vietnam est un partenaire important de l'Union européenne et, en particulier, de la France. Le Premier ministre s'est rendu au Vietnam en octobre dernier et le président de la République devrait s'y rendre lui aussi en 2019, après avoir reçu en mars à l'Elysée le Secrétaire général du parti communiste vietnamien. Il est donc dans l'intérêt de notre pays que ces accords entrent en vigueur, tout en restant vigilant sur les questions relatives au développement durable.
Sous cette réserve et celle d'un futur travail plus approfondi sur cet accord, nous vous proposons d'acter ces quatre textes.